Pistes à suivre

Ignorance scientifique et inaction publique. Les politiques de santé au travail par Henry Emmanuel[Record]

  • Alexis Aulagnier

…more information

  • Alexis Aulagnier
    Doctorant en sociologie au Centre de sociologie des organisations (SciencesPo, CNRS), 119B Rue d’Avron, 75020, Paris, France, Alexis.aulagnier@gmail.com

La manière dont la science est mobilisée dans la gestion de technologies dangereuses s’est retrouvée au centre de l’attention à l’automne 2017 en Europe. De nombreux pays membres se sont opposés à la réautorisation du glyphosate, une substance active contenue dans de nombreux herbicides, malgré l’avis favorable des agences sanitaires communautaires. C’est la capacité de ces agences à produire une expertise indépendante qui était remise en question. En décrivant les dispositifs équipant la reconnaissance des maladies professionnelles en France, Emmanuel Henry apporte un éclairage original sur ces questions. Il dépasse les réflexions sur l’indépendance de l’expertise pour interroger les effets inhérents à cette manière particulière de mobiliser la science. Deux dispositifs sont décrits : les tableaux de maladies professionnelles et les valeurs limites d’exposition (VLEP). L’ouvrage est organisé en deux parties et quatre chapitres. Le point de départ de la première partie est le fonctionnement problématique du système français de reconnaissance des maladies professionnelles dans le cadre de l’AT/MP, branche de la sécurité sociale chargée de repérer et réparer ces maladies. En dehors des cancers liés à l’amiante et des troubles musculo-squelettiques, il ne reconnaît que 850 maladies liées à l’activité professionnelle chaque année, ce que l’auteur dénonce comme une sous-reconnaissance criante. Le premier chapitre décrit les tableaux de maladies professionnelles, sur lesquels repose ce système de reconnaissance de l’AT/MP. L’accent est mis sur les effets de ce dispositif et Henry nous montre qu’il impose un « régime de visibilité/invisibilité » qui aboutit à la sous-reconnaissance dénoncée. Le fonctionnement par tableaux implique en effet une définition restrictive de la maladie comme du lien entre exposition et pathologie, qui tend à rendre très visibles certaines maladies et rend la détection d’autres beaucoup plus complexe. Il a aussi pour effet de brider très fortement les négociations. Si industriels, scientifiques et syndicats se confrontent dans l’établissement de ces tableaux, les discussions sont limitées par la logique même du dispositif : il est très difficile d’y proposer une manière alternative d’envisager la reconnaissance des maladies professionnelles. Tous ces facteurs convergent vers une paralysie du système, qui n’évolue pas malgré le faible nombre de maladies qu’il contribue à reconnaître. Le deuxième chapitre va plus loin en interrogeant la place des connaissances scientifiques dans ce dispositif. Henry montre que les savoirs qui équipent le domaine de la santé au travail ont connu de profondes évolutions, qui ne se sont pas traduites par une réforme du système de reconnaissance des maladies professionnelles. L’hypothèse qu’il défend est même que le recours accru à l’expertise scientifique, et plus particulièrement la mise en place de phases d’expertise autonome, ont contribué au verrouillage du système de reconnaissance des maladies professionnelles. La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse à un second dispositif : les valeurs limites d’exposition (VLEP), qui sont des niveaux de concentration de produits dangereux au-delà desquels les travailleurs ne doivent pas être exposés. Les grandes lignes de l’argumentation développée dans les deux premiers chapitres sont reprises. Henry continue à s’intéresser à la manière dont les dispositifs contribuent à solidifier des rapports de force ainsi qu’à la place de la science dans ce processus. Dans le troisième chapitre, Henry montre que les VLEP sont une technologie complexe : elles portent en elles-mêmes la reconnaissance d’un certain niveau de risque et ne fonctionnent que si les débats qui président à leur élaboration ont lieu de manière très discrète, confinée. Leur utilisation en politique conduit donc paradoxalement à une euphémisation du risque. L’auteur montre également que, comme dans le cas des tableaux de maladies professionnelles, le fait d’autonomiser une phase d’expertise scientifique n’a pas permis de s’extirper de logiques de rapport de force, …