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1. Introduction

L’activité des médecins du travail en France est traversée par des dilemmes résultant pour partie de l’existence de contradictions fondatrices dans l’histoire de ce métier (Buzzi et coll., 2006). C’est le constat auquel nous sommes parvenus dans le cadre d’une étude portant sur les actions des médecins du travail dans la prévention des TMS (Caroly et coll., 2011). On peut ainsi relever que tel que les choses ont été tranchées dans le Code du travail français, la médecine du travail est une spécialité préventive, ce qui sous-entend qu’elle n’est pas une médecine de soin au sens où l’on n’y prend pas en charge les pathologies (les médecins du travail n’ont pas le droit de prescrire). Pourtant le médecin du travail réalise des visites médicales (il y consacre même la plus grande partie de son temps) au cours desquelles il peut procéder à un examen physique (qui, dans les autres spécialités de la médecine, a une visée diagnostique à finalité de soin) :

« Afin d’exercer ces missions, le médecin du travail conduit des actions sur le milieu de travail, avec les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire dans les services de santé au travail interentreprises, et procède à des examens médicaux » (Décret 2012).

La place de cet examen physique est alors problématique et pourtant peu discutée dans le métier (Jegou, 2006 ; 2007). Cette place étant centrale dans l’histoire de la médecine, elle peut donner le sentiment aux médecins du travail de faire des examens « pour de faux ». Pour le moins, il y a des raisons de se préoccuper de la vitalité de ce métier par ailleurs dévalorisé (Bachet, 2011 ; Marichalar, 2010 ; 2011). Sur le plan psychologique, la dévalorisation prend la forme d’un sentiment que nous avons pu constater : un sentiment « d’inefficacité » ou « d’inutilité » est très largement évoqué par les médecins du travail. Nous avons pu démontrer ailleurs (Poussin, 2014) la construction sociale de ces sentiments.

L’intervention dont il va être question mobilise la clinique de l’activité (Clot, 2008). Celle-ci repose sur la mise en place d’un cadre dialogique d’analyse de l’activité visant à provoquer le développement du pouvoir d’agir des professionnels sur eux-mêmes et sur leur milieu (Clot, 2008 ; 2014). Nous avons démontré ailleurs les liens entre la transformation des sentiments[1] et le développement du pouvoir d’agir (Poussin, 2014 ; Poussin et Miossec, 2015). Nous nous interrogerons ici plus particulièrement sur les effets de la méthode d’analyse mobilisée (le mime).

Dans une première partie, nous reviendrons brièvement sur le dispositif d’intervention et notamment l’utilisation inhabituelle du mime. Dans une deuxième partie, nous proposons une analyse de nos résultats en nous intéressant aux processus affectifs à l’œuvre. Enfin, nous nous interrogerons sur les effets affectifs de l’utilisation du mime dans notre dispositif d’intervention.

2. Une intervention auprès de médecins du travail

2.1 Présentation de l’intervention

De 2009 à 2012, à la suite d’une étude qui portait sur le rôle des médecins du travail dans la prévention des TMS (et qui avait mobilisé quinze médecins durant deux ans), nous avons conduit, en réponse à la demande d’une partie de ces médecins du travail (cinq), une intervention portant sur les conditions de possibilité, dans un contexte de dévalorisation et de mutation du métier[2], de développer leur sentiment d’efficacité. Le choix a été fait de prendre pour objet de l’analyse la partie jugée la plus intime et la moins usuellement discutée de leur activité, à savoir l’examen physique du salarié. La méthode choisie a été celle de l’autoconfrontation croisée. Pour rappel, le dispositif « classique » de l’autoconfrontation croisée en clinique de l’activité déroule trois phases : constitution du groupe d’analyse (observation, choix de séquences, désignation par les professionnels de volontaires, film sur des situations comparables) ; autoconfrontations (filmées) simples puis croisées (chaque professionnel dont l’activité ordinaire a été filmée regardant son film d’abord seul avec le chercheur, puis avec l’un de ses collègues) ; retour au groupe de professionnels (Clot et coll., 2000). Les médecins du groupe ont jugé indispensable de faire une demande d’autorisation de filmage de ce moment de la visite médicale au Conseil de l’Ordre[3]. La demande fut faite et la réponse – négative – nous a contrainte à une innovation.

Voici le dispositif d’analyse tel qu’il a été élaboré et décidé conjointement avec les médecins du travail à partir du moment où nous n’avons pas pu filmer l’activité ordinaire :

  • Chacun des médecins effectue un mime[4] des gestes de l’examen (à vide) accompagné d’instructions sur la manière de réaliser ces gestes à l’attention de l’intervenante ; ce mime est réalisé dans le cabinet de chacun d’entre eux, il est fait sur la base d’un scénario commun à tous (3e visite de l’après-midi, visite de suivi, salarié qui se plaint du dos) et il est filmé ;

  • Chaque médecin est confronté par l’intervenant à un montage du film de son mime (montage resserré sur les réalisations gestuelles, coupant notamment les nombreuses explications par exemple d’ordre anatomique adressées à l’intervenante) ;

  • Autoconfrontations croisées des médecins sur ces mêmes montages.

2.2 Remarques générales sur les effets du mime

Tous les médecins du travail ont été « troublés » par l’exercice de mime, de manières diverses. Ils ont parfois buté sur l’exercice du mime lui-même, ils ont alors marqué un temps d’arrêt et fait part de leur impossibilité de retrouver comment ils font ou de l’incertitude sur le fait que ce qu’ils miment soit vraiment la manière dont ils s’y prennent dans l’activité ordinaire (on pourrait dire : le geste ne leur vient pas ou il vient mais accompagné d’incertitude sur sa ressemblance avec le geste quotidien). Ils ont parfois été surpris après-coup de l’écart entre ce qu’ils ont mimé et ce qu’ils font habituellement, c’est parfois dans la consultation qui a suivi la séance de mime filmée, au moment de poser les mains sur le salarié qu’ils ont perçu cet écart (qui a alors pu provoquer des rires). Ils ont pu aussi s’apercevoir, lors de l’autoconfrontation simple, en se revoyant faire sur le film du mime, qu’il manquait quelque chose à leur geste (par exemple « qu’est ce que je fais de l’autre main ? ») sans retrouver alors de quoi il s’agissait. Ils ont pu aussi ne pas manifester d’étonnement particulier ni montrer de difficulté particulière mais en fin d’intervention, caractériser, sous forme de plaisanterie, ce mime de véritable « torture ». L’image a alors été prise (toujours de manière humoristique) de la conduite automobile et de ses automatismes que l’intervenante aurait cherché à « court-circuiter », autrement dit cherché à les « dérouter » au risque toujours possible d’accident. Précisons encore que dans le cours de l’exercice de mime, l’intervenante s’est souvent placée en position de miroir, reproduisant, ou plutôt tentant de reproduire les gestes mimés par les médecins, son questionnement s’appuyant bien souvent sur son impossibilité à réussir cela. Nous avons pu constater que ce mime en miroir produisait des effets sur les médecins qui ont pu chercher à corriger la manière de mimer de l’intervenante et/ou en être troublés.

2.3 Le cas de M1

Pour pousser plus loin sur les effets du mime, nous allons décrire plus précisément l’expérience réalisée par l’un des médecins M1 dans l’intervention. M1 est médecin du travail depuis vingt-cinq ans. Elle exerce cette spécialité depuis le début de sa carrière après un internat en partie réalisé en neurologie et quelques remplacements en médecine générale. Son discours, au début de l’intervention, montre son attachement à la pratique de l’examen qu’elle dit faire « de la tête aux pieds ».

Lors du film du mime de l’examen, M1 est conduite à reproduire un geste de percussion[5]. Il s’agit d’un geste qu’elle dit faire de manière systématique lors de chaque examen de salarié. Elle le mime une première fois, très rapidement, puis en réponse à la demande de l’intervenante de préciser son geste, une deuxième fois, à nouveau très rapidement.

Lors de l’autoconfrontation simple, M1 indique que ce bref moment a été un moment très particulier pour elle, qu’elle y a comme perdu ses moyens.

« Ça ne s’est pas vu, dit-elle, mais moi je ne savais plus faire. »

Elle précise : « Je sais que pour la percussion, je t’ai pas bien montré […] Je m’en suis rendu compte après. Et pourtant je fais ça tout le temps […] je fais ça tout le temps et j’étais incapable de te montrer le geste.[6] »

Il est important de préciser que ce geste familier est le seul qu’elle n’a pas « réussi » à mimer. Elle ajoute :

« C’était dans ma tête et je me suis dit : ah au fait euh, je fais, je fais comment ? C’est vrai que bon, et après je t’ai dit : bon je mets mes mains comme ça (elle mime un geste de percussion), etc. Mais sur le moment j’ai eu, je sais pas, un temps mais comment je fais ? »

Autrement dit elle parvient à réaliser le geste (elle le fait d’ailleurs à nouveau lors de l’autoconfrontation simple), mais le problème qu’elle semble rencontrer est qu’elle ne le reconnaît pas, qu’elle ne se retrouve pas dans le geste réalisé alors. On regarde cette perte de moyens, ce trouble, comme le signe d’un affect[7] lié à la perte du sens de son activité.

Lors de l’autoconfrontation croisée, avec sa collègue M2[8], au moment où elles regardent ce moment du mime de la percussion, on peut voir que cette nouvelle confrontation au film ne laisse pas M1 tranquille puisqu’elle mime à nouveau le geste sous la table. On peut faire l’hypothèse qu’elle continue à chercher ce geste qu’elle ne retrouvait plus et sur lequel elle s’était « trompée » et qu’elle vérifie qu’il est bien à sa disposition pour pouvoir s’engager dans l’échange avec sa collègue.

Mais une autre surprise l’attend : M2 arrête le film et déclare : « J’avoue ça, je ne le fais pas ». L’élément de surprise ne vient pas de l’arrêt du film[9] mais de l’affirmation que la percussion ne fait pas partie, selon elle, des gestes à réaliser lors de l’examen d’un salarié.

Le dialogue qui s’engage alors va porter sur la pertinence, l’intérêt, la nécessité ou non de faire ce geste. Cela donne lieu à un débat soutenu entre elles et à un échange d’arguments en faveur de l’exécution ou non de ce geste. Ce débat a été analysé ailleurs (Poussin, 2016). Nous reprenons ici les principaux arguments développés. C’est d’abord la question de l’utilité du geste qui est avancée comme objet de discours par M2, qui justifie initialement l’arrêt de ce geste et son inutilité par le fait qu’il soit « barbant » à réaliser, qu’il prenne trop de temps. M1 reprend l’argument sur le versant de la difficulté en développant l’hypothèse que M2 aurait renoncé à ce geste trop difficile, M1 continuant elle à affronter la difficulté. M2 développe alors ses idées en trois temps : la percussion est utile en complément d’un autre moyen d’investigation ; elle prend ainsi du temps, mais apporte peu, les contraintes temporelles de réalisation de l’examen obligent à faire des choix ; in fine la percussion est inutile dans le contexte de la médecine du travail.

M1 et M2 s’accordent sur la nécessité de faire des choix en raison de la contrainte de temps. Mais M1 maintient que pour elle ses gestes « s’enchaînent[10] » et qu’elle les fait de « la manière orthodoxe » « dont on l’a appris ». Se dessine ici la situation du médecin (de tout médecin et non de M1 à titre personnel) pris dans une tension entre l’examen idéal orthodoxe et la clinique.

Arrêtons-nous maintenant sur ce que M1 indique retenir du travail d’analyse réalisé, lors de la réunion de bilan de l’intervention :

« On a le sentiment que tout le monde nous dénigre. Tout le monde passe son temps à dire : la médecine du travail ça sert à rien, le médecin du travail c’est que les nuls qui vont là-dedans. Enfin bref, on en entend de tout, qu’on n’est pas des vrais médecins, que ça sert à rien, etc. Et finalement de se retrouver là et d’avoir le sentiment que ce qu’on fait ça a du sens, c’est utile, euh… Voilà c’est, c’est, ça redonne confiance ça redonne de l’énergie pour continuer. Et c’est bien voilà (léger rire) ».

L’ambiance émotionnelle de ce moment est palpable tant dans la tonalité de M1 que dans le silence dans lequel ses collègues l’écoutent. L’intervenante lui demande alors de préciser quel lien elle peut faire entre le travail d’analyse réalisé et la modification de son sentiment. Voici sa réponse :

« Par exemple, moi, depuis qu’on a parlé de l’examen clinique eh ben je me suis rendu compte qu’il m’arrivait, oh sacrilège ! (ton ironique) qu’à certaine consultation, je n’examine pas ». Cet énoncé déclenche un rire puissant de ses collègues. M1 poursuit : « C’était une chose inimaginable. Dans mon esprit, la consultation médicale, c’est obligatoirement un examen médical. Même si c’était qu’un coup de stétho et la tension. Mais fallait qu’il y ait un semblant d’examen […] il fallait quand même que je termine toujours par un petit quelque chose d’un examen médical. Et là maintenant je suis arrivée à me détacher de ça, sans culpabilité, formidable ! Et, et, encore hier eh bien je l’ai fait ! » À nouveau ses collègues éclatent de rire et elle les rejoint dans ce rire. Beaucoup de joie circule à l’annonce inattendue de cette transformation de sa manière d’agir.

3. Une analyse des processus affectifs à l’œuvre dans l’intervention et de leurs effets

3.1 Une production d’embarras

On peut faire l’hypothèse que la décision de réaliser tout ou partie de l’examen médical est à la fois anodine et centrale. Elle traduit la position personnelle du médecin du travail face au dilemme de la profession que l’on peut formuler ainsi : soigner les personnes/s’occuper du travail et qui peut se manifester par le sentiment de ne pas être de « vrais médecins ». En ce sens, la réalisation d’un geste d’examen est bien plus qu’un déplacement de segments corporels, il cristallise toute une histoire à la fois celle de la médecine du travail, drôle de médecine, privée du droit de prescrire et procédant à des examens médicaux de salariés non malades, et celle personnelle de ce médecin, son propre parcours, aux prises avec cette histoire du métier.

Ceci permet de mieux comprendre pourquoi l’embarras de ce médecin au moment de la « perte » du geste est si fort. M1 s’est trouvée démunie face à la demande de l’intervenante de reproduire ce geste. Un affect est alors provoqué par la situation d’analyse qui a eu pour effet de délier ce qui d’habitude fonctionne ensemble, d’un seul tenant (le geste, la situation, le contexte), ce qui est d’habitude « pris en bloc » (Clot, 2016). Cet affect est un ébranlement de son organisation habituelle dans laquelle le geste a sa place. En consultation, M1 fait de manière automatique une percussion, son activité et les émotions qui l’accompagnent, les « guides silencieux » (Rimé, 2005, p. 83) accompagnent la réalisation de ce geste. Lors de l’activité de mime, ce geste n’étant plus disponible, c’est l’embarras qui prend la place. On peut d’ailleurs si l’on visionne à nouveau la trace filmique du mime voir des traces de l’émotion qui a « pris le relais », « l’intérim » (Rimé, p. 77) : on constate alors un temps d’hésitation dans sa réponse, un temps d’arrêt suivi d’une sorte d’emballement dans le rythme de sa phrase.

Mais l’embarras rencontré pendant le mime se double dans l’autoconfrontation croisée d’un nouvel embarras puisque sa collègue discute l’utilité et l’efficacité de ce geste. M1 cherche alors à valider auprès de sa collègue mais aussi d’elle-même son choix de réaliser ce geste. In fine c’est « en elle-même » que le choix de ce geste va être poussé dans ses retranchements.

L’examen physique et plus particulièrement ce geste de percussion, jusqu’alors automatisé, incorporé, parce qu’il n’est plus là, plus disponible pour être fait en mode automatique est redevenu une énigme. L’énigme ouvre la voie au problème : quel est le but poursuivi dans l’exécution de ce geste ? Le geste automatisé auquel elle ne réfléchissait plus redevient objet de réflexion. L’échange avec sa collègue l’oblige à chercher des arguments alors même que la perte de ce geste marque déjà une prise de distance avec celui-ci.

Nous posons, en suivant Clot (2008, 2015, 2016), que l’affect provoqué dans l’intervention est une perte de contenance dans l’activité (gestuelle, langagière…) et qu’il entraîne dans le meilleur des cas la recherche d’une nouvelle contenance. L’affect est une désorganisation, une forme de court-circuit des comportements habituels, de déliaisons et la recherche de nouveaux liens. Ainsi, les médecins dans l’activité d’analyse ont « buté » sur un geste (la percussion) ou sur une objection de leur collègue (« Moi ça je ne fais plus »). Momentanément et partiellement, ils ne savent plus faire ou dire comme d’habitude. Cela a provoqué un trouble que le cadre de l’intervention leur a permis de reprendre et de mettre au travail.

3.2 Une reprise des conflits de l’activité

Le développement du pouvoir d’agir est en lien avec les conflits de l’activité réelle des sujets et des collectifs aux prises avec les objets, les destinataires, les instruments de cette activité et de ce que ces conflits vont provoquer d’affect (Clot, 2008 ; 2016).

Il y a affect parce qu’il y a conflit dans l’activité :

« Le sens est engendré non par la signification mais par les conflits vitaux qui affectent l’activité des sujets » (Clot, 2012, p. 147).

Derrière chaque débat tenu entre les médecins du travail se dessinent ces conflits porteurs de tensions. Ainsi, on peut distinguer derrière le trouble de M1 un conflit en elle, mais qui existe au-delà d’elle dans le métier, entre plusieurs manières de faire vis-à-vis du salarié, une tension qui semble vive entre soin et prévention, soin de la personne et soin du travail.

Le nouveau contexte posé par l’intervention (des réunions entre pairs aux mimes, des mimes aux autoconfrontations simples puis croisées, des autoconfrontations aux réunions) permet de reprendre différemment ces conflits de l’activité par les changements de destinataires provoqués, par l’enrichissement des significations rendu possible.

Pour les médecins qui ont traversé les différentes étapes de l’analyse, l’affect a permis par la mise au travail de la pensée autour de la signification de certains mots et par la réévaluation concomitante des buts, des mobiles et des opérations, la transformation des sentiments, l’augmentation du « stock » de sentiments disponibles pour la suite, véritables instruments de leur pouvoir d’agir (Poussin, 2014). C’est ce développement du pouvoir d’être affecté qui rend possible l’expérimentation d’une nouvelle manière de faire « inimaginable » jusqu’alors, qui consiste à renoncer au « semblant d’examen ». En retour, cette nouvelle manière de faire alimente l’affectivité : ce médecin n’a plus besoin de faire semblant pour se sentir médecin, « utile », « confiante » et pleine « d’énergie », en quelque sorte cela a permis un « recyclage de l’énergie perdue dans cette impasse » (Clot, 2003, p. 39).

3.3 Une reprise des buts et des mobiles de l’activité

Les échanges entre les médecins du travail ont permis une reprise et une réévaluation des buts poursuivis dans l’activité. Ainsi, dans l’analyse du geste de percussion, on peut distinguer des rapports entre le but prescrit de la percussion confronté au but personnel de M1 (notamment faire un examen le plus complet possible pour tenir son rôle de médecin) au but de M2 (tenir la « rentabilité clinique »). Mais au-delà de la contradiction des buts ici réévalués il nous semble que c’est du sens du travail dont il est question. Un rapport entre ce qui occupe et ce qui préoccupe, entre les buts poursuivis et les mobiles définit le sens (Léontiev, 1975/1984). Le dérèglement de ce rapport a pour effet une perte de sens de l’activité pour les professionnels. Le concept de sens tel que nous le mobilisons ici renvoie à la possibilité d’une nouvelle hiérarchisation des buts entre eux et des mobiles entre eux, par la formation de nouveaux buts, le développement des mobiles, par une réorganisation du rapport entre but et mobile et par une réévaluation des moyens utilisés. L’ancrage des analyses dans la réalisation des gestes leur a donné la possibilité de reprendre les choix réalisés : quels gestes sont faits ou non ? Comment sont-ils réalisés quand ils le sont ? Quelles sont les manières économiques ou non de faire ? Dans quel ordre les réalise-t-on ? Les questions de l’efficacité et de l’utilité, remises en débat d’une manière profondément affective dans les autoconfrontations, rouvrent pour chacun des professionnels la question du sens de l’activité et de l’efficience de celle-ci.

De là, nous pouvons conclure que l’efficacité de l’activité est ici remise en jeu en suivant Clot qui pose « l’efficacité dynamique du bien faire » comme un synonyme du développement du pouvoir d’agir (2008, p. 18) dont les ressorts sont dans une alternance, sans coïncidence, entre développement du sens (de nouveaux rapports mobiles/buts) et développement de l’efficience (de nouveaux moyens pour atteindre les buts).

Les médecins du travail lors de l’analyse de leur activité ont éprouvé des affects, sources de déstabilisation, qui les ont portés à cette réorganisation, cette nouvelle hiérarchisation des buts.

Pour M1, le sentiment d’être plus efficace est associé à un renoncement, dans certains cas, à certaines actions dont l’efficacité a été réévaluée (ne plus faire la percussion en systématique). Le passage qu’elle a éprouvé là, dans son activité ordinaire, cet affect qui la détache du « déjà fait » (l’examen en systématique) « sans culpabilité » est en quelque sorte un affect plus grand que l’embarras éprouvé dans l’analyse, affect plus grand qui lui donne le sentiment d’être à l’origine des choses. Il y a développement affectif de nouveaux buts « inimaginables » jusqu’alors parce que le vécu devient moyen de vivre autre chose, le tout dans la joie (rapportée dans le collectif, partagée avec lui et, de ce fait, enrichie avec lui). Autrement dit, le sentiment développé dans l’autoconfrontation croisée, à la suite de l’éprouvé d’un affect qui l’a poussée à débattre avec M2 des raisons de réaliser ce geste, a pu devenir un instrument de réalisation de l’affect en situation ordinaire permettant de mener celle-ci différemment, d’imaginer d’autres manières et de s’y essayer. Il a permis la prise de conscience du développement possible de l’action, action dont on peut alors se sentir auteur, d’où son sentiment « revivifié » évoqué lors de la réunion de bilan.

Dans le cas de M1, nous pouvons constater le développement d’un pouvoir d’agir qui correspond à l’existence d’« un champ de forces sur le clavier duquel le sujet peut jouer plus ou moins librement » d’une « latitude subjective » (Clot, 2008, p. 28) conquise. Ce pouvoir d’être affecté (Clot et Simonet, 2015) renvoie à une capacité à supporter la déstabilisation, le décontenancement (qui correspond à une perte momentanée de maîtrise, en lien avec des affects qualifiés ailleurs de « passifs », voir Bonnemain, 2015 ; Bonnefond et Clot 2016) et à en faire une source d’énergie pour transformer les manières de voir et de faire. En cela, il n’y a pas seulement réorganisation « cognitive » des buts mais réévaluation du rapport entre buts et mobiles, les « dessous réels, affectifs et volitifs » (Vygotski, 1934/1997, p. 494) de la pensée.

4. regard sur le dispositif d’intervention

Il nous faut, plus précisément que nous ne l’avons fait jusqu’alors, revenir sur la méthode inhabituelle que nous avons mobilisée dans cette intervention. Ne pouvant filmer la situation ordinaire de travail, nous avons décidé avec les médecins du travail d’organiser des séances fictives d’examen médical durant lesquelles chaque médecin, à son tour, devait montrer et donner les consignes à l’intervenante pour pouvoir faire les gestes de l’examen à sa place.

Nous allons chercher maintenant à catégoriser plus avant cette méthode, en prenant deux points de comparaison : l’entretien pour l’analyse ergonomique du travail, l’entretien d’explicitation et de décryptage.

4.1 Mime ou simulation ?

Tout d’abord, une précision s’impose quant au choix du terme « mime ». Mimer est défini comme le fait d’« exprimer ou reproduire par des gestes, des jeux de physionomie, sans le secours de la parole ». Simuler c’est « reproduire artificiellement une situation réelle à des fins de démonstration ou d’explication »[11]. Du point de vue du sens courant de ces termes, notre méthode en proposant un « artifice » gestuel accompagné d’une verbalisation se rapproche davantage de la simulation. Mais le terme de simulation est déjà bien installé dans le champ de l’analyse du travail (Béguin et Weill-Fassina, 1997). Dans les analyses mobilisant la simulation, ce qui est recherché c’est

« une projection, c’est-à-dire “une localisation externe d’impressions ressenties” (Le nouveau Petit Robert, 1982). La situation de simulation sollicite une extériorisation de représentations » (ibid., p. 21).

La simulation, telle qu’elle est mobilisée, en ergonomie notamment, peut être définie comme

« une extériorisation de représentations par laquelle est poursuivie une finalité de transformation des significations et des représentations internes des acteurs en interaction dans la situation de simulation » (ibid.).

Or, en demandant aux médecins du travail de produire des gestes hors de leur activité quotidienne, « à blanc », « à vide », nous ne cherchions pas à extérioriser leurs représentations ni même à transformer celles-ci. Les interventions en clinique de l’activité ont pour visée le développement du pouvoir d’agir des sujets sur eux-mêmes et sur leur milieu (Clot, 1999, 2008). L’objet éventuel de la transformation se situe dans les manières d’agir et non dans les représentations. Dans notre approche, une modification de celles-ci serait plutôt une conséquence des transformations de l’activité.

C’est pourquoi nous préférons retenir le terme de mime. Il nous permet de mettre en exergue l’ancrage corporel de l’analyse. En effet, en proposant aux médecins du travail de focaliser les analyses sur les gestes de l’examen médical, nous avions l’idée que le passage par le geste pouvait suspendre, perturber un certain nombre de discours convenus, de rationalisations toutes faites, de justifications « prêtes à penser » qui circulaient parfois entre eux. Il s’agissait en quelque sorte de mettre en échec, pour éventuellement les développer, les représentations partagées. Le corps devait être ramené au centre, celui des salariés et le leur, de manière différente, l’un en tant qu’objet de l’activité mimée mais absent de la situation de mime, l’autre sortant de la position assise dans laquelle l’intervention l’avait jusqu’alors cantonné et s’exposant debout, face à la caméra, dans une situation mêlant intimement l’habituel (habitudes de l’examen routinisé, habitudes de l’analyse de son activité[12]) et l’inhabituel (faire sans le corps du patient, être debout dans la situation d’analyse). Le terme de mime est celui qui convient, nous semble-t-il, le mieux pour décrire cette situation de création gestuelle.

4.2 Mime et re - présentation

Ce terme est d’ailleurs celui utilisé par Teiger (1993). Elle évoque la fréquence des situations dans lesquelles, en cherchant à faire de l’analyse ergonomique du travail, c’est-à-dire à obtenir des professionnels une « mise en mots de « ce qu’on ne sait pas qu’on sait » » (Falzon et Teiger, 1995, p. 7), à partir de la méthode de

« l’expression guidée » consistant à « décrire de la façon la plus détaillée possible, devant l’assistance, son activité de travail, ses conditions de réalisation et les conséquences éventuelles perçues ou soupçonnées sur sa santé au sens large du terme » (Teiger, 1993, p. 331), elle assiste à des « mimes » de celle-ci.

Le mime est ici

« une véritable reproduction des gestes et postures […] le sujet revit activement son activité de travail et la joue exactement tout en la décrivant verbalement succinctement » (ibid., p. 332).

Il peut aussi être regardé comme une « représentation au sens théâtral du terme, de mise en scène » (ibid., p. 333). Le terme de « représentation » en ce sens indique également la re-présentation, l’aboutissement d’un travail maintes fois répété, et finalement joué devant un auditoire.

À partir des analyses de Teiger, nous retenons l’idée que quelque chose se « rejoue » lors du mime pour expliquer son activité, sur une autre scène, face à un auditoire inhabituel, et dans une mise en scène inhabituelle.

4.3 Mime et production d’affect : le rapport vécu/vivant

Vermersch fait un constat proche de celui de Teiger :

« Quand le sujet met en mots son action, on voit apparaître des gestes qui expriment ce qu’il fait avant ou même à la place de sa verbalisation explicite » (1994/2010, p. 197).

Faingold, dans la continuité du travail de Vermersch, propose de développer la manière de mener l’entretien d’explicitation. Pour elle, « l’ancrage corporel du travail de remémoration par la reprise et l’accentuation des gestes est un levier puissant pour aider à la mise en mots de ce qui se joue dans un moment clé. Le geste est un “signe-de-sens” qui “veut dire”, c’est une invitation à donner accès à la parole, à laisser s’exprimer le message crypté dont le corps s’est animé » (Faingold, N., 2014, p. 6). Il s’agit alors de préciser le guidage à mettre en œuvre lors de l’entretien d’explicitation, ce qui l’amène à proposer l’entretien de « décryptage ». L’interviewer développe, selon Faingold, un travail bien spécifique qui

« relève d’une compétence à accompagner l’émergence du sens par un maintien en prise très ferme qui prend pour point d’appui le contexte sensoriel de la situation, et l’accroche corporelle des gestes du sujet » (ibid, p. 5).

Un véritable accompagnement se met alors en place, cet « accompagnement des « arrêts sur geste » est à la fois corporel et verbal. L’objectif de cet accompagnement est de trouver le mot juste à poser sur le vécu, ce moment est alors rempli d’émotion :

« Le moment où le sujet accède aux mots justes qui expriment exactement ce que le geste indique corporellement, et qui rendent compte de ce qui s’est joué dans une situation, est vécu comme un moment de coïncidence avec soi-même, un moment de prise de conscience identitaire, de congruence entre la dimension personnelle et la dimension professionnelle » (ibid, p. 7)

et de sentiment : « Le sentiment de justesse qui résulte de la coïncidence moment-geste-sens correspond à des expériences où les enjeux identitaires ont été de fait incarnés dans une pratique » (ibid, p. 8).

Nous rejoignons ces auteurs dans la proposition de passer par le geste pour ainsi suspendre pensée et discours spontanés, « convenus » dirions-nous. Mais, comme l’ont déjà fait d’autres avant nous (Clot, 1999 ; Scheller, 2003 ; Tomàs, 2005), nous interrogeons la conception du vécu qui est alors mobilisée. Il nous semble qu’un fait est sous-estimé ici, non pas dans la manière dont l’action est menée mais dans la manière dont celle-ci est analysée. Ce fait est la force de ce qui est en cours, de ce qui est train d’être vécu qui ne laisse pas intact le vécu « retrouvé ». Clot le précise :

« Du coup, pour nous l’évocation des opérations vécues ne peut pas être un simple rappel d’événements passés indépendants des intentions présentes du sujet à l’égard des autres et de lui-même, même à son insu. […] C’est une action en cours entre des sujets et pas seulement une représentation de l’action passée de l’interviewé » (1999, p. 148-9).

Dans l’activité, le vécu se dédouble, il change de place :

« Le vécu, revécu dans une situation transformée change de place dans l’activité du sujet. D’objet, il devient moyen. Dans ce déplacement on ne retrouve pas le vécu antérieur. On découvre qu’il est encore vivant, qu’il n’est pas seulement ce qui est arrivé ou ce qu’on a fait mais ce qui n’est pas arrivé ou ce qu’on n’a pas fait et qu’on aurait pu éventuellement faire » (Clot, 2008, p. 226).

Il nous faut maintenant, pour finir, revenir sur la méthode de l’autoconfrontation croisée telle qu’elle est utilisée usuellement en clinique de l’activité. Nous le ferons en la regardant comme une technique pour « exposer » l’activité des sujets, ce qui est susceptible de provoquer des affects, justement parce qu’en proposant de prendre des réalisations de l’activité comme objet de l’activité d’analyse, elle organise la migration fonctionnelle du vécu (Clot, 2004).

Dans le dispositif mis en œuvre, cette confrontation se fait sur des films de l’activité ordinaire où les professionnels se voient (et sont vus par leurs collègues) à l’œuvre. Du coup, chaque professionnel vit plusieurs épreuves : celle d’être observé dans son activité, celle d’être filmé, celle de regarder le film de son activité réalisée, celle d’être regardé par son collègue en train de réaliser cette activité, celle de regarder le film de l’activité réalisée par son collègue. Mais à cela s’ajoute l’activité langagière provoquée par les différentes situations. L’une des difficultés sur laquelle butent les professionnels est que « l’essentiel finalement ne se voit pas, ne trouve pas à se verbaliser dans l’ordre du linéaire » (Clot, 2008, p. 106) ce qui les met de force à distance d’eux-mêmes (ibid., p. 120), dans un accès renouvelé, à chaque étape différente au réel de leur activité (ibid., p. 126).

L’important alors n’est pas tant la réussite par les professionnels de la mise en mots que l’expérience réalisée par eux des limites de celle-ci. Ainsi, ils se confrontent, ils éprouvent la différence entre le réalisé et le réel[13]. Pour le dire à la manière de Clot, la mise en mots de l’activité n’existe que par la mise en activité des mots. Le résultat de cette mise en activité des mots est un affect, celui consécutif à l’éprouvé du réel, de l’ensemble des possibles non réalisés, qui peut être transféré sur l’objet de l’analyse, c’est-à-dire l’activité ordinaire, et en permettre, dans le meilleur des cas, le développement. Pour obtenir cela, la voie la plus directe est d’utiliser un film d’activité. Mais même lorsqu’il est possible de filmer l’activité ordinaire, l’intervenant en clinique de l’activité ne cherche pas à la filmer comme s’il n’était pas là, comme s’il pouvait, en quelque sorte, capter la « vraie » activité, non affectée par sa présence. Il cherche à confronter les professionnels à une réalisation de leur activité, une réalisation possible parmi d’autres. Et il sait que cette réalisation est modifiée par sa présence, par la présence de la caméra, par la multiplication des destinataires que cette situation génère (a minima, l’intervenant, les collègues qui feront les autoconfrontations, mais aussi l’ensemble des collègues). Mieux, il utilise ce phénomène, l’observation comme le fait de filmer étant des moyens de pousser les professionnels à se prendre eux-mêmes comme objets d’observation et d’analyse (Clot, 2008, Simonet, Caroly et Clot, 2011) et à « provoquer » le développement de leur activité.

Ainsi, la manière d’utiliser l’autoconfrontation en clinique de l’activité se distingue de la manière dont on peut l’utiliser à des fins de connaissance de l’activité. En poursuivant un objectif de connaissance, il est probablement souhaitable de chercher à saisir les situations les moins modifiées possibles. Elle se distingue aussi de la manière de l’utiliser dans une visée semblable à celle de l’entretien d’explicitation (Cahour, 2012), c’est-à-dire en cherchant à remettre les sujets dans le vécu passé, à le retrouver pour mieux s’en expliquer. Cahour pose d’ailleurs bien la différence puisqu’au terme autoconfrontation, elle préfère celui d’« explicitation du vécu avec le support des traces » (p. 35) de l’activité, celles-ci constituées, autant que possible, « du point de vue du sujet » (par exemple, en caméra subjective).

Dans le protocole d’intervention en clinique de l’activité, il en va autrement et on peut ainsi résumer ce que cherche à faire l’intervenant-chercheur : non pas

« à comprendre “pourquoi” ce qui est fait est fait. Cette “vérité” n’est pas directement accessible. Il cherche plutôt à obtenir que les travailleurs s’interrogent sur ce qu’ils se voient faire. Autrement dit, il les invite à décrire le plus précisément possible les gestes et opérations observables sur l’enregistrement vidéo jusqu’à ce que les limites de cette description se manifestent, jusqu’à ce que la vérité établie soit prise en défaut dans la véracité du dialogue, par l’authenticité dialogique » (Duboscq et Clot, 2010, p. 265).

Dans une telle démarche, ce que l’on cherche à provoquer chez les professionnels est davantage de l’étonnement qu’une production de connaissances. L’étonnement suscité pourra se développer dans l’autoconfrontation croisée par l’« exploration des conflits et des dissonances de l’activité » (ibid., p. 266). Les professionnels sont soutenus dans leur recherche des mots justes pour décrire leur activité, l’expliquer jusqu’à ce qu’ils touchent aux limites de ce discours. Là est « l’épreuve » affective que nous cherchons à leur faire vivre, à la condition bien sûr qu’ils soient volontaires et demandeurs d’une telle expérience.

En ce sens, notre impossibilité à accéder aux réalisations de l’examen médical de l’activité ordinaire nous a contrainte à inventer une autre manière de faire qui nous a permis de développer l’expérience réalisée par les professionnels dans cette étape du filmage. En effet, des processus normalement à l’œuvre dans les étapes d’autoconfrontations ont été rapatriés dans l’étape du mime filmé.

Notamment, si l’on reprend à Faïta l’idée que

« le sujet autoconfronté s’engage dans une phase débutant par un dialogue entre les deux situations : la situation d’origine et la situation actuelle » (2007, p. 8),

il nous semble que dans notre intervention, dès la phase de filmage du mime, ce dialogue avec la situation ordinaire s’est ouvert. Lequel dialogue entre les différentes situations réalisées explique pourquoi « il ne s’agit pas, du moins pas seulement – et c’est peu dire dans ce cas – d’une pause ou d’un détour réflexif prenant pour objet les actes de l’opérateur concerné. Le film, objet de ce visionnement, fonctionne aussi, et peut être essentiellement, comme outil d’investigation pour ces opérateurs, confrontés à leurs propres choix, épreuves, réussites ou échecs professionnels. On entend par là qu’il offre des moyens insoupçonnés d’interpréter en les revivant des situations concrètes les impliquant et de les transformer, en ce sens que les mêmes protagonistes ne les revivront plus de la même façon, fussent-elles identiques » (ibid.).

5. Conclusion

Être filmés en train de mimer un geste de métier et de tenter de transmettre les consignes à l’intervenant pour réaliser les gestes de l’examen médical a parfois amené les médecins aux limites du dicible, du pensable, du réalisable. Cette réalisation demandée hors contexte, sans le support du contexte habituel, sans le vivant de l’activité ordinaire en cours, en mêlant la réalisation gestuelle et verbale a déstabilisé, dérouté les médecins du travail. Ces mimes des gestes de l’examen médical filmés puis repris pour l’analyse par les médecins avec l’intervenant-chercheur et entre eux ont été l’occasion de décontenancement, d’embarras, d’étonnement. Les affects ainsi produits ont amené les médecins du travail à reprendre différemment leurs vécus, à la fois celui de la situation ordinaire (les gestes de l’examen médical) et celui de l’expérience du mime filmé. Dans l’activité d’analyse réalisée avec leurs collègues du collectif, en réévaluant le réalisé, ils ont alors œuvré à donner un avenir différent à ces vécus. Par la reprise des conflits de l’activité, une possibilité de développement du pouvoir d’agir s’est alors ouverte.