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Pour couvrir un événement médiatique, le journaliste présente des faits et le discours rapporté, en tant qu’événement de parole, s’y intègre. Cependant, des lieux frontières se manifestent entre paroles et états mentaux des acteurs liés aux événements à relater. Les textes présentent souvent des interférences et des glissements entre des phénomènes discursifs proches, comme la représentation des paroles et celle des sentiments, des perceptions et des positions de l’autre. Ces glissements peuvent avoir pour effet de construire des zones floues et notamment de brouiller les frontières énonciatives entre soi et l’autre.

Nous nous proposons d’analyser ces phénomènes dans la presse écrite, où ils apparaissent souvent comme intriqués. Pour cela, nous avons adopté des catégories conceptuelles distinctes qui feront l’objet d’une description systématique préalable. Seront présentées ensuite les quatre catégories de procédés que nous avons établies à partir de nos analyses. Dans un troisième moment, nous mettrons en évidence comment l’apparition et l’interprétation de ces phénomènes sont, comme d’autres fonctionnements discursifs, largement affectés par les contraintes génériques et, en particulier, par les schémas culturels liés au discours journalistique.

1. Les concepts « foyer énonciatif » et « foyer de conscience »

On pourrait, à la suite de Rabatel (1998), regrouper sous le terme de point de vue les diverses formes de représentation des sentiments, des perceptions, des positions et des discours proférés ou intérieurs. Ce terme est aujourd’hui, tant dans la plupart de ses emplois linguistiques que dans son acception narratologique comme synonyme de focalisation (Genette, 1972 et 1983), suffisamment large et fluctuant pour englober cet ensemble de phénomènes, en particulier ceux qui vont du discours indirect libre à la mention explicite de ce que voit ou entend un personnage. Mais, si nous voulons appréhender les formes d’agencement de ces différents phénomènes dans la presse, nous avons intérêt à ne pas les indifférencier en les regroupant sous la notion relativement commode de point de vue. Nous devons, au contraire, nous doter de catégories descriptives plus fines, susceptibles de nous aider à les discerner.

Chez Ducrot, le terme de point de vue ne reçoit pas une définition particulière ; il rejoint ainsi le sens courant d’opinion ou de position. Mais Ducrot établit clairement la différence entre l’énonciateur (l’instance qui apparaît dans l’énoncé comme un point de vue se manifestant directement dans les paroles du locuteur) et le rapport d’un point de vue : en rapportant un point de vue, c’est-à-dire en le mentionnant, le locuteur ne l’exprime pas dans ses propres paroles, mais l’intègre au seul point de vue exprimé, qui est le sien. Autrement dit, l’origine d’un point de vue rapporté ne joue pas, selon Ducrot, le rôle d’un énonciateur, « mais d’un objet à l’intérieur du point de vue du rapporteur, seul énonciateur » (1989 : 188).

En s’inspirant de Ducrot (1989 ; 1984 : 204), Vivero García (2001 : 71-109 ; 2004, 2006) introduit le concept de foyer de conscience et propose de distinguer deux façons différentes de construire l’autre dans le discours : comme foyer énonciatif et comme foyer de conscience. Selon cette distinction, on construit un foyer énonciatif différent du locuteur principal à partir du discours rapporté ou bien par la mise en scène, dans les propos mêmes de ce locuteur premier, d’un énonciateur (au sens de Ducrot) assimilé à un personnage. On trouve cette dernière forme de polyphonie dans des énoncés, dont le contexte ne fournit aucun indice de discours rapporté, mais qui présentent des comparaisons, des descriptions subjectives, des appréciations, des jugements ou des modalités non imputables au locuteur principal, ou pas seulement à lui. Le locuteur primaire introduit ainsi, dans ses propres paroles, une autre origine énonciative, même si celle-ci est construite non pas comme une voix, mais comme un simple énonciateur au sens de Ducrot. Ces deux procédés donnent accès au personnage à travers des paroles proférées ou à travers son discours intérieur. Il en va tout autrement d’un foyer de conscience distinct du locuteur principal, qui est construit à partir d’assertions sur la conscience d’un personnage (en rapportant son point de vue, pour reprendre l’expression de Ducrot) ou, implicitement, lorsque le texte fournit des indices pour attribuer, à un personnage, une émotion, une perception ou une opinion, c’est-à-dire un fait de conscience, sans pour autant mettre en scène ce personnage en tant qu’énonciateur.

Plutôt que d’indifférencier ces deux types de phénomènes en les regroupant sous le concept vague de point de vue, cette distinction permet au contraire d’analyser leur articulation dans les textes et les effets discursifs qui en découlent (voir Vivero García et Forget, 2007).

Nous retiendrons donc, pour cette étude, afin de rendre compte des divers procédés qui sont à l’origine de la construction textuelle du point de vue d’un acteur, la distinction entre foyer énonciatif (désormais FE) et foyer de conscience (désormais FC).

2. La mise en scène des faits de conscience dans les journaux

Notre corpus est constitué de cinquante articles de El País (le journal espagnol d’information générale qui compte le plus grand nombre de lecteurs) et de cinquante articles du journal québécois La Presse. Ils sont tous parus entre janvier 2003 et décembre 2004.

Nous avons repéré, dans ce corpus, quatre catégories de procédés, que nous illustrerons par des exemples ponctuels :

a) Le journaliste, qui représente le foyer énonciatif primaire (FE0), prend en charge des assertions sur des faits de conscience auxquels il a pu avoir accès, à travers le discours de l’autre, ou qu’il a pu facilement induire. Ainsi, dans un article sur Ted Moses, élu personnalité de l’année 2002 du journal La Presse, on rencontre des énoncés qui rapportent des sentiments et des croyances :

  • (1) Il pourrait lui-même quitter le Québec en songeant à poursuivre sa carrière internationale commencée aux côtés de la Guatémaltèque Rigoberta Menchu, Prix Nobel de la paix 1992. Avec elle, il a fondé l’Initiative autochtone pour la paix, une organisation internationale de dirigeants autochtones. Mais Ted Moses voit plutôt son avenir au Québec, parmi les siens. Le chef se voit aux commandes de l’entente Québec-Cris et de la gestion des retombées […].

    (« Ted Moses : Le Nord dans les veines », La Presse, 20 janvier 2003)

L’article, parsemé de discours explicitement rapportés, présente aussi des passages comme le précédent, plus flous quant aux responsabilités du journaliste, qui semble pouvoir s’immiscer dans la conscience du personnage (en songeant, voit, se voit), sans soulever de problèmes d’authenticité pour autant, car, si le journaliste connaît les sentiments de Ted Moses, on peut supposer que celui-ci les a très certainement exprimés lui-même.

En général, avec cette catégorie de procédés, que nous représenterons par la formule FE0:FC, apparaît un journaliste maîtrisant l’actualité et pouvant ainsi donner accès à un FC sans citer ses sources, c’est-à-dire en assumant pleinement la responsabilité de son dire. En s’appuyant sur sa connaissance du contexte social et politique comme sur une logique de légitimation, il peut même aller jusqu’à interpréter des indices induits (ou repérés préalablement). Dans tous les cas, son autorité suffit à accréditer l’information.

b) Le deuxième procédé produit surtout des effets d’objectivité, car le journaliste (FE0) met en scène un autre foyer énonciatif (FE1), auquel il attribue explicitement la responsabilité de la construction d’un foyer de conscience (FC). Nous représenterons ce procédé par la formule FE0:FE1:FC. Il peut être illustré par l’exemple suivant, tiré de la presse canadienne, sur la tragédie de Beslan en Ossétie du Nord :

  • (2) Les « terroristes » […] tentent d’effrayer la société russe « avec leur cruauté » afin de diviser le pays, a déclaré le président [Poutine].

    (« La Russie n’a pas compris », La Presse, 5 septembre 2004)

Le journaliste (FE0) cite le discours du président Poutine (FE1), en soulignant la responsabilité de celui-ci par l’emploi des guillemets. Il attribue ainsi explicitement au Président non seulement la caractérisation de ces personnes comme des terroristes cruels, mais encore la responsabilité des assertions sur le dessein des terroristes, qui tenteraient, selon lui, d’effrayer la société russe et qui se proposeraient, toujours selon lui, de diviser le pays.

c) Le journaliste (FE0) construit un FC, mais la responsabilité de cette construction ne lui revient pas entièrement, car le contexte intervient, souvent après coup, pour attribuer cette responsabilité à un FE1, ce que l’on peut représenter par FE0:FC-[FE1:FC]. Ainsi, dans l’exemple suivant, la vice-présidente aux communications de la compagnie d’aéronautique Bombardier, Mme Dionne, est interrogée au sujet des déclarations qu’a faites Stephen Harper, chef du Parti conservateur du Canada :

  • (3) Toutefois, le manufacturier montréalais n’apprécie pas du tout le vocabulaire utilisé par Stephen Harper dans ce débat. M me Dionne a fait valoir que l’entreprise n’avait pas bénéficié de subventions, mais de prêts. Elle a ainsi indiqué que Bombardier avait reçu un prêt de 45 millions de dollars du gouvernement canadien pour le développement du biréacteur régional CRJ200.

    (« Bombardier prend Harper avec un grain de sel », La Presse, 19 juin 2004)

Le premier énoncé rapporte le sentiment du fabricant, qui n’apprécie pas les déclarations du politicien ; les deux énoncés suivants mettent en scène un FE1 (Mme Dionne) à travers son discours rapporté, introduit par a fait valoir et par a indiqué. Dans le contexte de ce discours indirect, le premier énoncé peut être réinterprété comme appartenant, lui aussi, au discours de Mme Dionne, avec du tout manifestant l’oralité.

Ce troisième procédé est le plus fréquent dans notre corpus, tant dans les articles québécois qu’espagnols (voir, en annexe, le tableau représentant le nombre d’occurrences analysées et leur répartition en fonction des catégories). En voici un autre exemple :

  • (4) Plusieurs [résidants de Beslan] continuaient de parcourir les listes des hôpitaux dans l’espoir de retrouver leurs proches, tandis que les forces de sécurité limitaient l’accès aux décombres de l’école. « Je veux pouvoir mettre un corps, quelque chose, dans les cercueils de ma femme, de ma mère et de ma fille » a expliqué un homme de 30 ans.

    (« La Russie n’a pas compris », La Presse, 5 septembre 2004)

Ici, le FC et le FE1 correspondent au même acteur : les résidants de Beslan, construits d’abord comme un FC (lorsque le journaliste leur attribue un sentiment d’espoir) puis comme FE1 (quand il rapporte leur discours). De cette manière, le journaliste n’assume pas entièrement la responsabilité de la construction du FC, car le contexte permet de réinterpréter, après coup, qu’il ne faisait là qu’avancer ce qu’ont exprimé les résidants de Beslan eux-mêmes.

Si ce procédé est si fréquent, c’est peut-être parce qu’on y gagne sur les deux tableaux : l’effet d’autorité du journaliste qui nous livre l’actualité et l’effet d’objectivité assuré par le discours rapporté. Selon ce procédé, le journaliste peut avancer des déclarations, les interpréter ou même inférer, à partir de principes généraux, un FC toujours étroitement lié à un acte verbal. Si bien que la frontière, entre la représentation d’un discours et celle d’une conscience, s’estompe au bénéfice d’une zone floue, où il semblerait peu important de distinguer les paroles de l’acteur de celles du journaliste recréant la conscience de l’acteur. d) On ajoutera une quatrième catégorie plus rare, mais qui ne représente qu’un pas de plus vers la représentation « réaliste » de personnages pourvus d’épaisseur psychologique, avec lesquels le lecteur est appelé à s’identifier : le journaliste (FE0) construit un FC qu’il ne peut manifestement pas avoir inféré, dans des contextes qui ne permettent pas d’attribuer cette responsabilité énonciative à un FE1. Nous représenterons ce quatrième cas de figure par [FE0]#FC. Ce procédé, nous l’avons relevé dans les articles du corpus espagnol qui traitent des attentats du 11 mars 2004 à Madrid :

  • (5) Juan Cordero, profesor de Ética, Filosofía y Psicología en educación secundaria, se despertó el lunes después del 11-M atosigado por una noche de sueño inquieto y entrecortado. El cuerpo de su esposa, la madre de sus dos hijos, había sido identificado [...] en la madrugada del viernes tras 24 horas de búsqueda desesperada por los hospitales de Madrid. El día 15 por la mañana, el primer lunes después de los atentados, Juan tomó una decisión que venía meditando desde el fin de semana : se dirigió al instituto de secundaria [...] y se paró frente a sus estudiantes para hablar de la tragedia. (« Ética en carne propia », El País, 30 mars 2004)

    (Juan Cordero, professeur d’éthique, de philosophie et de psychologie au niveau secondaire, se réveilla le lundi après les événements du 11 mars, bouleversé par une nuit de sommeil inquiet et fragmenté. Le corps de son épouse, la mère de ses deux fils, avait été identifié [...] au début de l’aube, vendredi, après une recherche désespérée dans les hôpitaux de Madrid. Le 15 au matin, le premier lundi après les attentats, Juan prit une décision à laquelle il pensait depuis la fin de semaine : […] rencontrer ses étudiants pour leur parler de la tragédie. [Nous traduisons])

Voici un autre passage de la presse espagnole, à propos de ces mêmes attentats :

  • (6) José Antonio Serra Rexach, director de asistencia sanitaria, tiene un pequeño aparato de radio encendido en su despacho [...] del Hospital Gregorio Marañón. Ha escuchado la noticia de la explosión de una bomba, pero su vista está pendiente del ordenador : 125 enfermos en urgencias. La peor noche de estos últimos siete meses. De pronto oye el sonido de las sirenas de las ambulancias. Decide bajar a urgencias.

    (« ¡Este, a trauma!, ¡éste, a quirófano! », El País, 23 mars 2004)

    (José Antonio Serra Rexach, directeur du service sanitaire, possède un petit poste de radio à son bureau […] à l’Hôpital Gregorio Marañón. Il a écouté la nouvelle de l’explosion d’une bombe, mais son regard est accaparé par l’ordinateur : 125 blessés au service des urgences. La pire nuit de ces sept derniers mois. Soudain, il entend le bruit des sirènes d’ambulance. Il décide de se rendre au service des urgences. [Nous traduisons])

On découvre, au premier paragraphe de (6), un FC qui écoute la nouvelle, regarde son écran d’ordinateur et constate le nombre élevé de blessés arrivés à l’hôpital ; ce même personnage est construit ensuite comme FE1 à travers son discours intérieur : la pire nuit de ces sept derniers mois ; puis à nouveau comme FC : Soudain il entend le bruit... Il décide de se rendre au service des urgences. Le discours rapporté contribue ici à créer l’acteur, mais ce discours n’a pas pour objet ses perceptions et ses décisions ; il n’a d’ailleurs pas été proféré. C’est pourquoi on ne peut penser, comme on est porté à le faire dans d’autres articles du corpus, que le journaliste se fonde, pour mettre en scène cette conscience, sur un discours entendu. Par conséquent, la responsabilité de cette mise en scène retombe, dans ce cas de figure, sur le journaliste.

Dans ce style presque romanesque, on est un peu surpris par le savoir sans limites que montre celui-ci, en prêtant à autrui des états mentaux ou en insistant sur le détail d’actions qu’il n’a pu observer. Son savoir concerne non seulement la conscience des personnages, mais aussi des faits qui ne peuvent être connus qu’à condition d’en avoir été témoin. On perd alors, nous semble-t-il, en objectivité. Mais on gagne en effet d’autonomie des acteurs (par rapport au discours qui les construit) et donc en impression de réel. En outre, si le journaliste ne marque pas de distance vis-à-vis de ce FC (ce qui est le cas en général), il se produit un effet d’empathie, qui facilite l’identification du lecteur avec ce personnage doté d’épaisseur psychologique. Le partage des émotions est ainsi favorisé au détriment de l’effet d’objectivité.

En résumé, les quatre catégories de procédés discursifs que nous avons répertoriées pourraient être placées sur un continuum allant de la présence maximale d’un journaliste FE0 qui se montre bien informé (a) jusqu’à son effacement au profit d’un effet d’autonomie de l’acteur, dont la conscience prend le dessus (d).

Entre les deux, un premier effacement énonciatif se produit lorsque le journaliste cède la parole à un FE1 pour assurer des effets d’objectivité (b), et un deuxième effacement plus important a lieu quand il joue sur les glissements entre FE0 et FE1 (c). Comme nous l’avons souligné, le procédé (c) semble être fréquent dans la presse écrite : il présente l’avantage de combiner l’effet d’objectivité et l’impression de réel qui résulte de l’effet d’autonomie de l’acteur, avec lequel le lecteur est appelé à s’identifier.

Dans la dernière de ces catégories (d), le texte journalistique offrirait d’importantes similitudes avec le littéraire. Il accuserait la tendance à construire l’information en livrant l’événement à partir d’une soi-disant intériorité de l’acteur. Pour cela, le journaliste tend à créer directement des foyers de conscience et à investir lui-même le lieu d’où émane l’émotion, ce qui favorise l’identification du lecteur à ces acteurs/personnages et le partage de l’émotion, d’autant plus que l’événement est livré sur le plan informatif comme s’il était vécu. Or, cette stratégie, qui semble être très spécialement liée à l’actualité de faits bouleversants comme les attentats du 11 mars à Madrid, équivaut à renforcer une vision psychologique de l’événement, créant de véritables personnages émouvants, à la manière des textes de fiction.

3. Interprétation et schémas culturels liés au texte journalistique

Des nuances s’imposent, cependant. Si certains de ces phénomènes discursifs tendent à atténuer la frontière entre discours journalistique et discours de fiction par des similitudes d’écriture, les conditions issues du contrat de lecture déterminent l’interprétation du journalistique. Alors que le narrateur d’un roman peut avoir librement accès à la conscience des personnages, les conventions liées au discours d’information veulent que le journaliste s’attache aux faits observables et, en particulier, aux discours tenus.

En effet, ce type de discours reste marqué par une visée cognitive qui tend à privilégier l’informatif et la retransmission de l’événement à partir des faits. Le discours retransmis joue le rôle de pièce à conviction dans cette entreprise et confère sa légitimité au journaliste, qui se pose en témoin. Celui-ci est toujours lié au contrat présumé d’« informativité », selon lequel il retrace des faits, donc des événements actualisés, et cette condition sous-jacente fonctionne en arrière-plan conceptuel lors de la lecture.

Des schémas culturels liés au texte journalistique contrôlent ainsi l’interprétation et auraient pour rôle de contrebalancer les « écarts » informatifs par un cadre contraignant, même s’ils laissent aussi des marges de manoeuvre, dont profitera le journaliste pour jouer sur l’identification, à l’acteur/personnage mis en scène. Cette stratégie peut être récupérée par ailleurs, sur le plan informatif, comme souci de retransmettre l’expérience sur le vif.

On s’aperçoit ainsi que la prise en considération de ces conditions fait le plus souvent converger les formes vers la catégorie (c), qui favorise le flou et où le FC peut être interprété comme élaboré à partir des paroles exprimées. Il devient alors souvent impossible de véritablement distinguer (comme nous sommes portés à le faire lors de l’analyse) si le FC est sous la responsabilité directe du journaliste ou s’il passe par le dire d’autrui.

Tableau représentant l’analyse quantitative du corpus

Tableau représentant l’analyse quantitative du corpus

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Conclusion

Au terme de cette étude, on peut conclure que le concept de foyer de conscience permet d’opérer une distinction entre, d’une part, les phénomènes d’attribution d’émotions, perceptions ou opinions et, d’autre part, les phénomènes d’altérité énonciative, qui supposent une mise en scène d’un foyer énonciatif différent du locuteur primaire. Cette distinction nous a permis d’analyser et de décrire, dans la présente étude, quatre catégories de procédés de construction d’acteurs dans les journaux.

Malgré son caractère exploratoire, cette typologie nous permet de conclure, en ce qui concerne les stratégies journalistiques, que les états mentaux des acteurs liés aux événements sont construits par des modes discursifs oscillant entre des techniques que l’on attribue volontiers au romanesque et d’autres qui tiennent de l’informatif. Or, là où le littéraire laisse toute latitude pour la création des personnages, des situations, des états mentaux et des discours, le journalistique, même s’il « copie » certains procédés, suppose que les états mentaux des acteurs ou leurs perceptions soient cautionnés par le discours, qui donne prise à cette intériorité et légitime le rôle du journaliste. Nous poserons qu’il y a donc présomption de discours comme « normalité » sous-jacente au texte journalistique.

Cela ne permet cependant pas d’éclaircir, dans tous les cas, la responsabilité du journaliste dans la relation de l’état de conscience de tel ou tel acteur. Plus le journalistique s’étend à la sphère du privé, du personnel et de la vie intérieure, plus il se heurte à la question suivante : « Les faits de conscience décrits sont-ils authentifiés par des sources discursives, inférés de la situation par le journaliste ou tout simplement recréés par celui-ci ? ».

Cette question ne trouve pas toujours de réponse dans les textes. De manière générale, il y a lieu de postuler un schéma cognitif sur la nature textuelle du journalistique, qui oriente l’interprétation en favorisant la présomption de sources discursives, si bien que l’effet d’autonomie de l’acteur, même s’il est présent et fortement sollicité dans le pathos, repose en dernière instance sur un fond d’objectivité issu des conditions de réception mêmes du discours journalistique.