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La spécialisation a toujours été une question essentielle pour la sémiotique, d’abord pour sa constitution comme discipline autonome, épistémologiquement et institutionnellement, ensuite pour les raisons qui font sa particularité : son propre champ d’intervention et ses modèles se redéfinissent chaque fois dans des sémiotiques-objets ; là où la semiosis, dynamique de production et de réception du sens, aurait installé un sens articulable, énoncé et pris en charge dans un discours. Cette nature implique des choix institutionnels difficiles et produit une variété de regards : de l’approbation totale de son utilité à la négation de son approche originale dans la compréhension du sens.

Les études berbères, de par le savoir fondateur de l’Autre qui les a constituées en science depuis plus de deux siècles et de par la question linguistique qui les fonde en aire autonome, sont tournées vers les approches linguistiques et ethnologiques et sont restées, dans l’ensemble, fidèles aux sciences utilisées par les premiers berbérisants. L’intégration de la sémiotique dans ces études est à situer dans le contexte académique postcolonial et dans la perspective du contact avec la sémiologie française. Nous ne cherchons pas ici à limiter la portée de ces travaux à une aire dialectale[1] ou à opérer un découpage national, lequel est rarement pertinent lorsqu’il s’agit de traiter du sens.

On peut aussi formuler ce contact avec la théorie de façon factuelle en évoquant le rapport à la sémiologie de Roland Barthes : il arrive au Maroc en tant que professeur à l’université de Rabat pour l’année universitaire 1969-1970, au début d’une époque active sur le plan intellectuel et politique où les approches nouvelles étaient mises au centre du débat, reprises souvent par de jeunes chercheurs dans leurs travaux, mais aussi à une époque où la sémiologie française mûrissait et portait un regard analytique nouveau sur le signifiant textuel, et alors que d’autres grands noms de la sémiologie francophone, comme Jean Molino, diffusaient un savoir sémiologique à l’université marocaine. De ce contact sont issues des approches variées, mais très isolées, portant sur le texte berbère, où sont supposées, à partir de signes manifestants, des structures, des constantes formelles et une dynamique de sens singuliers.

L’intérêt postcolonial pour les cultures populaires, éveillé par l’archéologie foucaldienne, la grammatologie de Derrida et par la notion de texte chez Barthes, expose et relit le signe marginal non écrit et non alphabétique. Ainsi, dans La Blessure du nom propre (Khatibi, 1986), la complexité de l’identité marocaine n’est pas seulement perçue à travers les catégories installées par les savoirs arabo-musulman et occidental et consacrées comme certitudes ; elle se lit dans des métaphores de mouvement giratoire, stigmate, vibration, migration, et se conçoit dans un souci de l’intersémiotique (ouvrant un système à l’autre, comme une sémiose indéfinie) dans lequel se désarticule toute fixation ou formalisation du sens. Les systèmes relevant de sémiotiques verbales ou non verbales, plutôt diachroniques, mémorielles comme le tatouage ou synchroniques comme la parémiologie, sont intégrés dans la question plus vaste de la non-fixité du signifiant et de sa remotivation (ou sa non-remotivation) permanente :

Ce qui suscite notre attention, c’est la migration d’un signe (ou d’un symbole) à un autre, fût-il minime (un point, par exemple), et, de proche en proche, le déplacement si ample de graphèmes, ce répertoire inouï d’objets, s’étendant par exemple d’une gravure rupestre à une calligraphie en passant par un tapis, un tatouage, une vannerie ou un foulard dessiné. Or, un tremblement des signes n’est rien d’autre que le motif productif (lui-même voyageur) de notre interrogation.

Ibid. : 61

C’est justement en tant que questionnement que se situent ces approches sémiotiques et sémiologiques cherchant, dans l’oralité ou dans la visualité, les interstices d’un texte ou des pratiques de ce qui est aujourd’hui non seulement la présence, mais aussi l’absence d’un substrat berbère.

Par ailleurs, le discours écolinguistique, qui domine les études berbères récentes en privilégiant les travaux sur l’oralité et beaucoup plus marginalement sur l’écrit[2], visait, dans un souci de préservation des structures par l’étude de systèmes particuliers et fermés, à construire un savoir nouveau sauvant les langues berbères de l’effacement et de la disparition. Certains courants de la recherche en études berbères se présentent donc comme des priorités analytiques aux marges desquelles s’installe un intérêt sémiologique.

Cet état n’empêche pas l’existence d’un grand nombre de travaux sans ambition théorique sémiologique, mais qui présentent intrinsèquement une problématique commune du fait de leurs orientations structuralistes. Dans ce contexte, on peut inclure des tentatives de renouvellement et de critique de l’épistémè des études berbères – certains travaux comme le référentiel Essai sur la littérature des Berbères d’Henri Basset (1920) y sont perçus comme éclectiques du fait de leur négligence des formes du signifiant (Bounfour, 1994 : 68) – et le souci des différents contenus dans les genres littéraires berbères ; le double contexte historique colonial et scientifique évolutionniste préfigurant l’ouvrage n’est pas à négliger non plus. Ce que proposent ces travaux, c’est de montrer par le primat des formes et de la pertinence, au-delà des préjugés idéologiques ou scientifiques, à la fois l’existence d’une différence et celle d’un domaine comparable aux positions depuis lesquelles les langues et littératures berbères étaient pensées.

Interviennent ici des approches orientées, sémiologiquement, dans la diversité de leurs ancrages méthodologiques et leurs rapports à un courant théorique qui interrogent le sens dans le conte, dans le corps représenté et représentant, dans la figurativité de la culture matérielle ou encore dans les nouvelles formes d’écriture et de texte.

Nous voudrions, dans un premier temps, nous intéresser au rapport de ces approches à l’objectif qui sous-tend l’intérêt de la sémiotique appliquée à un domaine culturel et langagier : la sémiotique de la culture.

1. Le sens diachronique et la sémiotique de la culture

Le statut de l’énonciateur, qu’il soit identifié actantiellement à l’intérieur d’un genre oral comme le conte ou supposé dans une production diachronique visuelle, renvoie aux questions pragmatiques de la référentialité et de l’intentionnalité qui intègrent d’autres disciplines dans l’objectif annoncé ou apparent d’une macro-sémiotique de la culture. Le rapport entre modélisation et exemplification reste commun à toutes ces approches. Ainsi, le besoin analytique vise non pas à conforter les savoirs théoriques sémiotiques et berbérisant préexistants, mais à reconstruire, éventuellement par l’intervention d’autres sciences, ce qui fait un sens collectif dans un espace langagier et sémiotique partagé entre le postulat d’absence de sens, ou de sa raréfaction (écolinguistique), et les différents aspects d’intertextualité, d’interculturalité qui font surgir la question des valeurs et de la pluralité énonciative attestée ou supposée.

1.1 Le conte : statut du sujet et univers de valeurs

Les analyses sémiotiques du conte appartiennent à un courant (Merolla, 2006 : 61) assez récent des études berbères ; cependant, une berbérisante pionnière comme Paulette Galand-Pernet avait déjà amorcé une étude sémiologique du conte berbère en 1981. Le premier intérêt porté aux contes fut à ses débuts principalement ethnographique et documentaire. La variété dialectale extrême qui caractérise la langue se retrouve dans les corpus constitués ici par le regard analytique sémiotique.

Une analyse (Kaddouri, 2002), consacrée aux contes de voyage en tarafit (variété du berbère) recueillis[3] dans les montagnes de l’oriental marocain, traite de la question du symbole depuis une perspective peircienne. Les rites d’initiation, tels qu’illustrés par Marcel Mauss (1902-1938), sont ici des rites d’initiation au symbole (pris comme loi instituée) défini à partir de trois niveaux perceptifs (priméité, secondéité, tercéité) de saisie des phénomènes sur lesquels s’établit la semiosis peircienne. La démarche analytique par la logique de la triade peut se concevoir comme étapes (Fontanille, 2003 : 66) dans le processus de production du sens ; elle est adaptée ici au parcours initiatique du voyage de Mhend Ihemm[4].

De quel symbole s’agit-il ? Définissant le symbole peircien comme « la rencontre du signe et de l’objet sous le regard de la convention et l’habitude » (Kaddouri, 2002 : 145), la symbolicité se construit ici par une série d’interprétants de l’objet « voyage » en passant d’un programme narratif à un autre. D’abord le programme de l’habitude (ibid. : 147) qui prépare la nécessité du voyage et du changement. Ensuite, le programme de la perte (par manque de clarté) qui prépare à la nouveauté (la jument qui met bas) et à l’étrangeté (la jument qui dévore les chameaux). Finalement, la difficile stabilisation de la nouvelle identité, au sein du groupe adulte, par l’épreuve (la découverte de l’illusion), et la lutte (abattre l’ogresse) qui couronne le retour de Mhend par l’accomplissement, la reconnaissance (Propp, 1970 : 76-77) dans l’harmonie, du groupe à travers le mérite d’un savoir-faire (devenir adulte) et d’un pouvoir-faire (sauver du danger). En intégrant la triade peircienne dans l’analyse du conte berbère, forcément variant par rapport aux universaux supposés, l’analyste identifie le caractère méritoire et pédagogique du voyage, du mouvement, dans l’aire culturelle berbère qu’il étudie.

La thèse de Mouhsine-Ajjoul, soutenue en France à l’université de Toulouse, va dans le sens d’une analyse sémio-pragmatique du conte berbère de l’aire dialectale tachelhit (sud-ouest du Maroc) à la base d’une méthodologie sémiotique greimassienne. L’auteur articule la narrativité à une pragmatique s’occupant de la cohérence du discours et du système argumentatif qui oriente son énonciation. Cette interdisciplinarité visait, selon le propos de l’analyste, une saisie de l’intentionnalité (1992 : 464) communicative des contes et une « confirmation de la distribution actantielle, de l’articulation syntagmatique du récit et des rapports des personnages » (ibid. : 372). L’analyse de l’énonciation, dans une version du célèbre conte berbère « hmad Ounamir?»[5], se focalise sur la question de l’autorité et de son sujet.

Pour cela, Mouhsine-Ajjoul interroge l’énoncé d’état (Greimas, 1983 : 70) conjonctif qui ouvre le récit du point de vue argumentatif. L’auteure suppose donc une valeur argumentative sous-jacente à la valeur informative apparente : ikka t in ya ufrux tlla dar‑s mas (littéralement : il y avait un garçon, il a (avait) chez lui sa mère). En se basant sur l’aoriste tlla, seule marque apparente dans le discours qui définit le héros et le spécifie en même temps, l’inférence d’une valeur restrictive sous-entendue d’un virtuel que est possible : hmad n’a que sa mère. La double fonction de la mère, culturellement intolérable du fait de l’absence d’une figure paternelle, est ici accentuée et graduellement entamée par le récit de disjonction qui fonde les transformations (Propp, 1970 : 172-200) du conte (la stigmatisation, le mariage avec l’ange, le départ…). L’inscription de la parole d’Ounamir comme énonciateur responsable de son discours (sujet de l’énoncé à la première personne) sur la surface du récit, marquant le début de la rupture (le dialogue avec l’ange), est décrite par l’analyste comme une revanche illocutoire (Mouhsine-Ajjoul, 1992 : 379) par laquelle une fissure s’installe dans la parole collective, celle du maître gardien des valeurs religieuses et celle de la morale culturelle. Le dialogue appartenant au programme narratif de l’union avec l’ange installe donc ce refus de la répétition :

L’ange : Ṛzm iyyi a Ḥmad ur tẓḍart i ccṛuḍ inu (relâche-moi hmad tu ne peux pas satisfaire à mes conditions).

hmad : ur ad am ṛzmɣ, ar bdda fllawnt cctaɣ akuray (je ne te relâcherai pas, tous les jours je suis bastonné par votre faute).

L’adverbe temporel bdda (toujours) et la marque de la première personne (-v) construisent ici l’accès de hmad à son propre faire : alors qu’il subissait tous les jours l’orthodoxie (ou habitudes interprétatives rigides des textes religieux) qui condamne à la fois la figuration et le tatouage (revanche symbolique sous-entendue des pratiques graphiques berbères, dont la question de l’écriture) et l’atteinte à l’identité masculine (Bounfour, 1994 : 96), il décide non seulement de capturer l’ange comme ordonné par le maître, qui se positionne actantiellement comme le destinateur du programme de capture, mais aussi de proposer un contrat de conjonction basé sur la séduction (ayant choisi une seule femme-ange). Il change donc de statut actantiel : de sujet destiné par son maître-mandateur au statut de sujet destiné par son propre désir qui le lie à un monde surnaturel et le sépare des obligations culturelles et religieuses. La version du conte étudiée ici par l’analyste propose à juste titre une négociation des univers de valeurs : en adoptant le terme femme-ange, elle n’entame pas complètement l’idiosyncrasie religieuse, alors que dans d’autres versions du conte l’univers mythique berbère occupe sa place, la femme-ange devient tanirt (ibid. : 94) (créature mythique appartenant à un monde surnaturel pré-islamique) que l’on peut traduire comme « femme ailée », quoique ce terme reste ambigu dans l’usage et la lexicographie berbères.

L’étude de Mouhsine-Ajjoul concerne une problématique fondamentale en sémiotique : la sémiotique de la culture. Comment obtenir, à partir de textes et de pratiques produits dans un domaine aréal ou social, des spécificités culturelles de construction du sens installées comme des routines (Fontanille, 2006 : 69-70) ou des habitus ? Les travaux d’El-Mostafa Chadli sur le conte proposent un découpage différent. Ici, les visées générales de l’École de Tartu (les travaux de Iouri Lotman, Boris Uspenskii, etc.) sont maintenues dans leurs interrogations des textes et pratiques par leurs fondements axiologiques avec une base méthodologique greimassienne ouverte sur les autres sciences du discours (sémantique, linguistique textuelle…). La construction adoptée du corpus des contes merveilleux et leur nomination comme marocains conduisent certes à une identification aréale de leurs origines et participent d’une culture commune du récit, où l’on trouve fréquemment des niveaux d’intertextualité qui excluent la question d’une énonciation originelle dans l’une ou l’autre variante linguistique. On trouve également une coprésence (de motifs) relative à l’une ou à l’autre variante formant ce corpus (l’arabe marocain ou une variété du berbère au Maroc). Or, l’analyste identifie, dans les deux composantes de son corpus[6], quelques repères discursifs qui inscrivent les différences de chaque composante dans la construction de l’univers de valeurs. Ainsi, la négociation des valeurs est un aspect saillant dans les contes berbères où le monde est partagé entre le savoir profane et sensible des Hommes et la Parole sacrée. Ce partage est parfois problématique et soumis à modalisation véridictoire comme peut l’être la formule d’ouverture d’un conte berbère : « invoquons tout d’abord Dieu et non les contes ! » (Chadli, 2000 : 35). Dans les contes en arabe marocain, appartenant ici à l’espace citadin comme espace de l’institution du sacré, l’invocation divine est présente dans l’organisation énoncive et comme axiologisation.

Se pose ici la question des universaux sémantiques qui forment ce corpus comme l’une des deux approches : postuler l’existence d’une structure sémantique (Greimas, 1970 : 41) virtuelle ouverte à combinatoire ou celle des usages et des performances sémantiques relatifs à des domaines personnels ou culturels restreints et réalisés. L’analyste aboutit ici à cinq catégories génériques, dont on retrouve les grandes configurations universelles du conte, soutenues par les travaux anthropologiques et par les différentes structures sémantiques élémentaires appartenant à des domaines du construit, comme la philosophie ou la religion : Nature/culture, humain/divin, vie/mort, bien/mal, force/faiblesse. Le carré sémiotique, issu d’une tradition logique, permet ici de rendre compte, d’une façon globale, de l’univers sémantique, non encore investi dans la praxis énonciative et non spécifié par une syntaxe typique de chaque conte – ce qui constitue l’argument des critiques portant sur sa validité explicative. Ainsi, dans la catégorie générique prédominante, Nature/culture /vivre avec les animaux/ et /vivre à l’intérieur d’une communauté/ sont des termes contraires (nature versus culture) comme /vivre avec les ogres/ et /vivre avec les hommes/ (non-culture versus non-nature), alors que /vivre avec les animaux/ et /vivre avec les hommes/ et /vivre avec les ogres/ et /vivre dans une communauté/ sont des termes contradictoires – les relations d’implication incluent les axes latéraux du carré sémiotique.

Parmi les catégories spécifiques concrétisées par le corpus, la catégorie Homme/Femme est une catégorie pertinente dans sa validité interprétative, particulièrement dans un monde dichotomisé sexuellement (Chadli, 2000 : 102). Ici les termes valorisés sont ceux de la puissance (physique pour l’homme et procréatrice pour la femme), alors que la procréation du masculin permet de valoriser la femme aux yeux de l’homme – la procréation du féminin la dévalorise. De même pour l’homme, la valorisation et la dévalorisation sont tributaires (dans les contes du corpus) du sexe de la descendance :

Figure 1

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Si le conte représente une partie importante des études sémiotiques du domaine berbère, favorisé en cela par l’existence d’une tradition analytique et heuristique bien établie, l’interrogation de la culture visuelle du monde berbère participe d’un intérêt assez récent, bloqué par le statut de la diachronie en sémiotique.

1.2 La visualité : énonciation supposée et pragmatique difficile

Les quelques rares sémioticiens, qui se sont penchés sur les productions visuelles (objets décoratifs matériels), se sont heurtés à la question de savoir s’il faut séparer production de réception, diachronie de synchronie ou, au contraire, analyser les plans de l’expression considérés, dans leurs formes, comme hypothèses d’une fonction sémiotique désémantisée ou d’un couplage semi-symbolique qui autoriserait à parler d’univers de contenus spécifiques ou de styles visuels propres. S’ajoute à cela le fait que les autres disciplines, couvrant la compréhension et l’explication de ce domaine, aboutissent à des résultats importants et complémentaires, partant de considérations et de méthodes totalement différentes (l’histoire, l’archéologie, l’ethnologie ou la sociologie)[7]. Enfin, le statut même d’une sémiotique du visible qui s’autonomise rend pour le moins difficile le projet d’une grammaire visuelle et d’une pragmatique d’une culture visuelle berbère spécifique. Pour aborder la question de la méthode, l’interdisciplinarité s’avère plus que nécessaire : elle fonde un savoir intégré.

La thèse de Nadia Kajjou, soutenue à l’université de Limoges en France, suscite un certain nombre de remarques, parmi lesquelles la question de l’interdisciplinarité, c’est-à-dire comment la sémiotique cohabite-t-elle avec d’autres champs (ici, l’anthropologie et la psychologie) ? Il convient d’abord de reposer le rapport diachronie versus synchronie dans la perspective non pas de la distinction entre le passé et le présent du sens, mais bien de son aspect génératif (en tant qu’élaboration) et des nouvelles significations qu’il acquiert en réception, notamment celle de sa référentialisation (Kajjou, 1998 : 35). De ce point de vue, ce travail s’est construit sur un corpus de poteries historiques du site archéologique de Tiddis et de Gastel, à l’est de l’Algérie actuelle (l’ancienne Numidie), essentiellement étudié par Gabriel Camps dans ses travaux sur les rites funéraires en Afrique du Nord. L’étude s’offre comme description sémiotique de formants décoratifs (géométriques, figuratifs) visant des postulats pragmatiques d’intentionnalité, psychologiques et culturels.

En s’intéressant à la mort chez les proto-Berbères, Nadia Kajjou cherchait à définir une intentionnalité des formants liés à une conception ou à des valeurs relatives à la mort. Ainsi, abordant des oppositions aspectuelles de type itératif versus duratif, exprimées dans l’axe syntagmatique (triangles, formes organiques...), elle les met en relation avec l’hypothèse d’une conception de la mort comme moment transitoire entre la vie et l’au-delà, et non comme cessation d’être. Il serait évidemment intéressant de lire cette conception de la mort dans un rapport avec les cultures et les religions de contact (religions monothéistes préislamiques, cultures méditerranéennes et africaines). À ce propos, les hypothèses ontologiques sont ici analysées selon trois distinctions : le « je » en tant qu’être-avec, en tant qu’être soi-même, et le « on » que l’analyste appelle social. La répétition des formes liées à la vie (triangles représentant des montagnes, oiseaux, etc.) a pour fonction d’accompagner le mort, comme un récit posthume de conjonction avec une vie antérieure dans le monde ici-bas ; la conjonction du « je » avec les autres que le mort quitte pour devenir un Je pour lui-même : « La mort est une possibilité d’être que le “ je ” a à assumer lui-même » (ibid. : 241). La présentation même des formants plus naturalisants que géométriques renforce cette hypothèse. En effet, la question est abordable du point de vue de son aspect génératif. Alors que la stylisation aboutit à une abstraction, une non-motivation du plan de l’expression, la naturalisation offre les formants de la référentialisation grâce à la possibilité de lecture des figures du monde naturel. L’analyste voit, dans cette sémantisation, un renforcement de l’hypothèse de la non-cessation d’être, le mort emporte l’attribut de cet être-avec-les-autres pour continuer à exister.

En abordant ces niveaux de subjectivité dans un autre corpus contemporain des poteries funéraires, celui des inscriptions[8] funéraires proto-berbères de Dougga, la question de l’écriture précise encore plus les éléments d’analyse sur la poterie. Ce que nous appelons le sujet monumental construit par la dédicace aux morts notables (rois, chefs, etc.) est un « Il », une non-personne ; la visibilité sur une stèle est destinée à éterniser le mort aux yeux des autres, ceux avec qui il constituait un « je ».

En effet, les noms propres[9] des morts notables en tant que déterminants sont des supports de subjectivité par leur morphosyntaxe (nominaux complexes) et par leur sémantisme (/ suprématie/, /grandeur/) et nous autorisent à distinguer deux pratiques funéraires :

  • • La mort monumentale rend possible, par le texte de la dédicace, de construire un « Il » mémoriel pour les autres.

  • • La mort, avec intériorisation de l’attribut symbolique, permet des figures du monde qui ne sont là que pour un « Je » devant lui-même.

En outre, mettre les deux sémiotiques (verbale et non verbale) en rapport appelle une autre interprétation, notamment dans la perspective du travail sur l’hétérogénéité des pratiques de l’écriture dans le monde berbère. Ainsi, notre hypothèse, développant celle des travaux de la linguistique diachronique, de l’anthropologie et de la préhistoire berbères (un état de la recherche qui semble être de plus en plus accepté), envisage les productions graphiques du monde berbère ancien comme un continuum de formants prêts pour d’autres usages sémiotiques, notamment ceux de l’écriture, où les besoins identitaires précités auraient conduit à l’invention d’un alphabet, à l’instar des domaines culturels et linguistiques de contact, par la motivation d’un plan de l’expression phonique.

La question des ressemblances entre les éléments intervenant dans différentes pratiques (décoration, pratiques magiques, écriture monumentale, etc.) suggère l’idée d’un style graphique et visuel plus large, fonctionnant comme un schème ouvert à la sémantisation. En effet, en abordant la question de l’écriture comme une différance, un après communicant arraché à l’illusion métaphysique de la présence (Derrida, 1967 : 441-445) de la voix, du logos, la question alphabétique – telle qu’elle apparaît dans notre contexte et dans son historicité – est secondaire à la question des transformations que subissent les plans de l’expression et des usages pragmatiques susceptibles de les constituer encore aujourd’hui en systèmes autonomes. En prêtant attention à la notion d’inscription du sens, développée par le sémioticien africaniste Simon Battestini, les pratiques graphiques et sémiotiques historiques ou actuelles sont traitées au-delà des dichotomies écriture versus oralité, ou sociétés sans écriture versus sociétés d’écriture. La condition référentielle est ici importante, mais elle est d’abord liée au processus de transformation générative qui la constitue à partir de l’observable ou de l’imaginable :

Ce qui est premier dans toute figure, en effet, n’est certainement pas qu’elle « réfère » mais qu’elle soit d’abord elle-même le résultat d’une mutation graphique, c’est-à-dire de l’acte non seulement technique, mais culturel qui consiste à transformer une réalité observable (ou imaginable) en un tracé participant d’une surface, l’un et l’autre étant imprégnés par avance d’imaginaire social.

Battestini, 2006 : 41

C’est à partir de cela que nous pensons les usages géométriques, à fonction sémiotique valable et synchronique, comme les motifs géométriques des tapis, sémantisés dans certains cas par un dispositif narratif (certains tapis appelés de grossesse sont l’espace de l’écriture intime féminine) ou par un dispositif onomastique, lui-même polysémique, contournant la réalité et le contrôle social de l’énonciation : les noms organiques[10], objectaux (main de lion, orge, oeil de perdrix, etc.) donnés à certaines figures des tapis dont la fonction est de masquer la valeur référentielle dans une sémiotique de l’indéterminé ouverte à diverses interprétations.

Face à ce texte culturel que constitue la visualité ou l’oralité, il est nécessaire de reposer la question de la transformation, non seulement de la réception resémantisante, mais également celle de la reproduction et de la prise en charge discursive. Du point de vue identitaire, ce texte culturel possède désormais un actant sujet collectif doté de vouloir-être, différent à la fois du berbère des historiens et chroniqueurs arabisants et du berbère des sciences humaines et sociales européennes qui l’avaient construit comme une donnée d’observation. Par le texte culturel, un espace discursif d’énonciation et d’argumentation prend donc place dans la pluralité sociale, culturelle et linguistique. Le terme de passage à l’écrit, en tant que métaphore, représente à juste titre l’accès, à la fois dans le discours de l’argumentation et dans celui des textes, à ce statut énonciatif autonome. Il est donc nécessaire de voir comment s’opère l’insertion du texte culturel dans le réseau de sens social et par rapport aux formes de contact que produit la pluralité. Pour cela, le passage à l’écrit reste un paradigme de la transformation postcoloniale dans le contexte berbère.

2. Le sens social : la construction discursive de la visibilité et le texte culturel

Que peut apporter ici la sémiotique si l’on regarde du côté de la complexité du sens (la semiosis n’étant pas déterminable) et non pas du côté de sa transparence ? Nous nous pencherons à présent sur la question du passage à l’écrit[11] et sur celle du contact.

2.1 Le passage à l’écrit comme discursivité

Les pratiques d’écriture (plus ou moins expérimentales ou dérisoires) ou leurs représentations dans le monde berbère sont donc non seulement observées comme des faires individuels, mais interrogées comme découpement ou induction d’une ou de plusieurs formations discursives de l’espace social. En effet, le donné identitaire berbère[12] exprimé dans un dire énonciatif est relié ici à une forme de conscientisation (selon le point de vue adopté), comme une construction actantielle dans laquelle une subjectivité (un vouloir-être) est amenée à percevoir et est dotée d’un savoir (savoir-être) à propos de sa condition comme sujet, d’un pouvoir-être (Greimas, 1983, 93-102) articulant un ancrage énonciatif et une donnée objective : une réalité sociale. Ici, l’hétérogénéité des pratiques d’écriture ou la variété des représentations est liée à l’hétérogénéité des formations discursives portant sur le passage à l’écrit. Nous adoptons donc le point de vue suivant : l’usage variable, et quelquefois syncrétique ou concomitant des systèmes d’écriture existants (reconstruit comme les néotifinagh ou résultant des différents contacts comme les graphies latines et arabes), peut être déterminé par des choix individuels de volonté, mais résulte également d’interdiscours concurrentiels.

Le rapport entre un état social d’aménagement linguistique, en l’occurrence celui de l’écriture, produit de l’intérieur de la communauté des locuteurs ou introduit de l’extérieur, et l’énonciation d’une identité n’est qu’en partie évident. Le passage à l’écrit dans le champ berbère peut se poser en termes de niveaux d’articulation sociodiscursive :

  • une composante concurrentielle (trois systèmes d’écriture à historicité variable s’offrant à la langue) ;

  • une composante axiologique (chaque système se présente comme étant le mieux adapté) ;

  • une composante modale axée sur les rapports entre modalités de l’être (volonté identitaire) et modalités du faire (variation de points de vue sur la visibilité sociale) ;

  • une composante actantielle et énonciative (on peut y identifier des points de vue pris en charge par des actants sociaux).

L’approche sémiotique (Bakrim, 2006) reconnaît là une problématisation susceptible de recevoir une interprétation tensive (Fontanille et Zilberberg,1998).

Ainsi, la sémiotique postgreimassienne[13] apporte des éléments importants à la compréhension dialogique du passage à l’écrit grâce à l’intégration d’une compréhension tensive du sens. En effet, les travaux sur les passions dans les corpus littéraires d’A. J. Greimas et de Jacques Fontanille ont abouti à l’identification d’une composante thymique (passionnelle, sensible) du sens. Certains travaux de sociosémiotique s’intéresseront à cet aspect passionnel dans l’énonciation du sens social (les discours politiques ou économiques par exemple). Ce changement d’épistémè de la sémiotique est lié au retour à la phénoménologie de la perception dont les notions d’expérience, de situation et d’intersubjectivité vont à l’encontre des visées d’un certain structuralisme positiviste, excluant les liens entre énonciation, perception et interaction. La compréhension graduelle thymique du sens social, se déclinant en intensité intelligible du sens (plan du contenu) et en étendue sensible (plan de l’expression), vise à établir la dynamique de la semiosis et les valeurs typiques circulant dans le discours.

En effet, pour traiter un interdiscours objectivable à la fois socialement et énonciativement, le berbérisme comme idéologie de l’identité est hétérogénéisé par des préconstruits énonciatifs liés au passage à l’écrit, que l’on aborde comme des formations discursives articulant les représentations à l’égard des trois systèmes d’écriture en usage chez le locuteur-scripteur. Nous ne pouvons définir les représentations identitaires à propos de l’écriture que comme volonté phénoménologiquement articulable en présence perçue, à savoir un point de vue variable au sujet d’un devoir-être, ou comment être identitairement cohérent par le choix d’une écriture comprise comme moyen de visibilité d’un actant-sujet. D’un autre côté, le passage à l’écrit est aussi une visibilité sociale, à savoir une logique spatiale variable de positions qu’occupe l’actant social dans la pluralité linguistique et culturelle effective par rapport aux trois systèmes d’écriture précités.

Le parcours génératif du sens aboutit donc, ici, à l’institution des valeurs axiologisées par le discours et leurs modes d’existence (potentialisé, virtualisé, actualisé et réalisé), à partir de l’établissement d’un champ perceptif de présence variable, dans lequel se place un actant-énonciateur (collectif ou social), et de l’établissement des dimensions de la présence perçue en visée intensive graduable, appartenant au domaine du contenu (volonté identitaire), et en saisie étendue variable, appartenant au domaine de l’expression (visibilité sociale). Le recours à la sémiotique tensive n’a pas pour objectif d’aboutir à une analyse schématique du discours, mais obéit au même principe de pertinence et d’objectivation sur lequel se fonde le carré sémiotique en apportant une lisibilité énonciative du discours.

2.2 Formes de contact 

À partir de la situation de passage à l’écrit et dans le contexte de discours identitaires se précisant, nous pourrions observer l’apparition de points de vue sur la pluralité et le contact, du discours savant aux réflexions épilinguistiques. Au-delà de ces points de vue et des représentations, la pluralité énonciative n’est pas exclue et fonctionne dans les textes. Elle est inscrite figurativement dans les formes des plans de l’expression et donne à voir des structures sémiotiques de contact, qui peuvent correspondre aux résultats sociolinguistiques de contact, dans la mesure où elles confirment une reproduction cognitive des rapports discursifs et sociaux dans lesquels le berbère se positionne comme une composante de la pluralité.

La description sémiotique d’une mise en plan du berbère (Bakrim, 2005), dans un sceau touareg trigraphe[14] (français, tifinagh, arabe) et trilingue (Chebiri, 1999 : 13), avait justement pour but de saisir cette base actantielle sur laquelle repose la question du passage à l’écrit. Dans notre cas, cette mise en écrit est produite de l’extérieur de la communauté linguistique.Le passage opéré par cette officialisation et performativisation (unique dans ce cas) d’un énoncé[15], par un alphabet dont la pratique chez les Touaregs n’est liée à aucun pouvoir, introduit un actant méta-destinateur qui est l’administration, le pouvoir central. D’un autre côté, les énoncés en graphies arabe et latine introduisent deux identités politiques : l’une coloniale, manifestée en français, et l’autre, appartenant à l’ancien pouvoir (devenu pouvoir intermédiaire)[16], écrite en arabe. L’identité actantielle est donc, d’un côté, celle d’un destinateur et de l’autre, celle de sujet.

Deux hypothèses figuratives peuvent rendre compte de l’inscription de ce double statut sur le plan du sceau : l’englobement et la superposition. L’englobement est un effet de sens dans lequel le berbère (par le nom propre d’un chef) s’inscrit comme partie englobée du plan de l’expression, à savoir un performatif du pouvoir ethnique et de son particularisme, entre un pouvoir central (par le français) et un pouvoir intermédiaire (par l’arabe). La superposition, comme hypothèse générative, regarde du côté inverse, à savoir la validation hiérarchique commençant par le pouvoir ethnique et remontant au pouvoir central.

Les hypothèses émises sur une certaine figurativité du sens scripturaire servent d’indices initiaux à une modélisation du contact. Historiques, certes (Greimas, 1970 : 103-115), elles nous amènent à des considérations de prédicats pris en charge dans le discours et rendus visibles en surface. En effet, intégrer ces considérations dans une conceptualisation beaucoup plus large du statut des langues et cultures berbères, de leur mise en écrit ou de leur visibilité est un domaine de recherche suffisamment justifié (socialement et scientifiquement) par la complexité des contacts et les contextes sociolinguistiques et culturels, où la sémiotique peut intervenir avec les autres sciences humaines et sociales. À partir de nos résultats et des travaux réalisés dans des disciplines proches, nous pourrions introduire ici une certaine typologie :

  • Les insertions. À la base de pratiques de mise en écrit de l’oralité berbère dans un contexte médiatique (Internet), plurilingue et pluriculturel d’immigration, à savoir un contexte de contact identitairement syncrétique, nous définissons les insertions comme l’affleurement d’un culturème originel (images, lexèmes, énoncés, parémies et mots du discours), syntaxiquement enchâssé dans un texte-contexte non berbère. Les insertions, en formant un réseau verbo-visuel d’identification fonctionnant comme isotopie, ne peuvent être cependant considérées comme une simple mise en lisibilité/visibilité d’un signifié berbérité. La question même de la base énonciative, à laquelle doivent être ramenés ces textes et pratiques médiatiques, est objectivée dans des formes variables de conscience intentionnelle ou d’assignation actantielle venant de l’autre. Ainsi, et selon les constructions discursives officielles de la pluralité dans les pays de l’immigration (il s’agit ici principalement de pays européens), se mettent en place des formes énonciatives collectives différentes, allant des stratégies discursives de généralisation (les Berbères, les Amazighs ou encore par des désignations nationales et régionales) à des formes du double (Franco-Berbères, par exemple) – la base énonciative collective pouvant également être prise ici dans de nouvelles formes sociales (acteurs associatifs, par exemple). Les insertions, en tant que sens manifesté, rendent cette hiérarchisation évidente. Ainsi, les signifiants des culturèmes incluent des figures du non-berbère, notamment par l’usage des matériaux graphémiques, orthographiques, de certaines formes inscrites dans la substance de manifestation visuelle.

  • L’emblématisation virtualisante. Alors que les variantes néotifinagh fonctionnent dans la formation discursive, que nous appelons mêmeté, comme une écriture adjuvant construisant l’objet de valeur (la subjectivité autonome), les différentes formes de leur apparition dans une pluralité sémiotique s’articulent sur le mode virtuel. En occupant des positions topologiques emblématisantes (titres et différents textes d’identification) ou des positions marginales de témoignage à propos de leur scriptibilité à venir (tables alphabétiques illustratives et comparatives, courts textes, etc.) avec d’autres types de textualités non berbères qui sont de l’ordre du faire réalisant, le contact reproduit non seulement la hiérarchisation identitaire, mais également la pluralité actantielle et permet une narrativisation du fait identitaire.

  • La validation lexico-sémantique et sociale. Le passage à l’écrit introduit un certain nombre de considérations à la croisée des faits de langue qui relèvent du possible, d’un côté, de l’expérimentation et de la prescription, de l’autre. Ainsi, la solution néologique a ce double statut : répondre aux besoins de dénotation requis par l’acte de l’usage scripturaire de la langue, tout en puisant dans ses structures et potentialités. Ce double statut est également celui réunissant à la fois le témoignage identitaire et l’inévitable relation avec les modèles linguistiques de l’altérité. La nouveauté lexico-sémantique, nécessaire et fondant les nouveaux textes berbères à tous les niveaux de l’expression linguistique, rend visible, en surface, sa configuration par le marquage figuratif dans l’espace du texte, d’une incertitude lexico-sémantique qui prend comme validation un modèle d’une ou de plusieurs langues. La glose, en restructurant visiblement des textes de genres différents (romans, textes journalistiques, etc.) en zones d’explication reconnaissables (marges, parenthèses, etc.) validant les nouveaux usages, met en place le réseau sémantique soutenant la réception. Le français se présente ici non seulement comme un modèle parmi d’autres, mais aussi comme un choix soutenu par une stratégie identitaire – quelquefois comme expérimentation venue des auteurs-scripteurs ou comme choix introduit par les différents acteurs de l’opération scripturaire dans un contexte de passage à l’écrit.

Les prédicats présentés ici ne constituent pas une liste exhaustive, dans la mesure où les corpus, pour lesquels nous avons construit notre métalangage analytique, ne prétendent pas à une représentativité des différentes interactions à l’oeuvre dans le déploiement social du sens observé dans les textes et pratiques du monde berbère. Cependant, il est nécessaire, pour comprendre ces interactions, d’intégrer une dimension sémiotique sous-jacente à leurs apparitions.

Pour conclure

Au terme de cet article, dans lequel nous exposons les grands traits d’un regard analytique sémiotique porté sur des substances textuelles, symboliques et sociales berbères, nous aimerions souligner la marginalité des méthodologies relevant de la sémiotique comme étude du parcours de sens et de ses différentes manifestations. Hormis l’absence apparente d’un point d’ancrage institutionnel, les analyses abordées ici appartiennent presque toutes à l’espace francophone et articulent variablement leurs propos autour des préoccupations de ce que l’on pourrait désormais appeler la berbérologie, telle qu’elle se présente aujourd’hui, c’est-à-dire avant tout comme un projet de connaissance ethnolinguistique pratiqué un peu partout en Europe et en Afrique du Nord.

Dans ce projet de connaissance, la perspective historique confirme, comme on l’a vu à propos de la visualité, que la sémiotique est une science de la pertinence qui englobe et se place au-delà de la question méthodologique de la diachronie et de la synchronie. L’approche se révèle donc productive, quant à la question de la transformation que peuvent subir les structures, et quant à la praxis énonciative, liée par définition au devenir. Il en va ainsi pour l’oralité.

Les aspects de la nouveauté qui sont traités dans des disciplines différentes (passage à l’écrit, médialité, etc.) se rejoignent dans la considération de la pluralité et des conditionnements et façonnements rhétoriques de l’activité discursive. La sémiotique n’a pas ici le monopole de l’analyse. Elle est en revanche appelée à s’occuper de la construction du sens et de sa manifestation. Le renouvellement des approches et des modèles reste donc tributaire de l’intégration d’une interdisciplinarité stratégique visant, à chaque niveau d’analyse du sens, les moyens appropriés. De ce point de vue, cet article ne prétend à aucune exhaustivité.