Présentation : Esthétiques numériques. Textes, structures, figures[Record]

  • Bertrand Gervais and
  • Alexandra Saemmer

Imaginons, nous proposent Alexander S. Galloway et Eugene Thacker, une exposition artistique de virus informatiques (2007 : 105 et suiv.). À quel type de commissariat donnerait-elle lieu ? Quels en seraient les principes ? L’exposition consisterait-elle en une abondante documentation sur les virus les plus importants ou en exemples de virus à l’oeuvre in situ ? Ressemblerait-elle plus à des archives ou à un zoo ? Et que faire des « restes » laissés par les virus après leur passage dévastateur ? Un réseau serait sûrement requis, dont la principale fonction serait de réitérer les séquences de contagion et de réduplication. Des ordinateurs seraient sacrifiés, afin de montrer le processus de contagion. De telles propositions existent déjà, nous expliquent les auteurs. À la Biennale de Venise en 2001, les collectifs 0100101110101101.org et epidemiC ont proposé comme oeuvre le virus informatique Biennale.py. L’oeuvre a été reprise par Francesca Nori en 2004, dans le cadre de l’exposition « I love you » sur les virus informatiques. Cet exemple « épidémique » signale clairement que la culture numérique se déploie dans des directions inattendues qui nous forcent à renouveler nos catégories esthétiques, voire notre vocabulaire. Comment désigner cette pratique artistique, sans faire entrer les notions d’avant-garde ou d’art contemporain ? Comment décrire les transformations que subissent les textes par la voie de leur électrification ? Quel est le statut de ces oeuvres ouvertes (la notion d’Umberto Eco n’a jamais paru aussi pertinente) ? Dans The Laws of Cool (2004), Alan Liu parle volontiers d’une esthétique virale, où la distinction entre production et destruction est brouillée. Le viral est le mode par excellence de propagation du Web, qui repose pour certains sur la transmission de « mèmes ». À la suite de Liu, on peut aussi parler d’une esthétique « férale », où la frontière entre le domestiqué et l’ensauvagé est franchie, lieu de détournements et de réappropriations. C’est toute la culture remix qui s’inscrit dans cette mouvance. Pour Peter Lunenfeld, les explorations numériques dépendent d’une esthétique du non-fini, où tout est en perpétuelle recomposition (1999 : 10). Mais, dans les faits, cet état de non-fini est d’emblée inscrit dans toute oeuvre numérique, à travers sa labilité notoire explorée et théorisée depuis le début des années 2000 par les artistes du « Transitoire Observable ». Fortement dépendantes des outils informatiques avec lesquels elles ont été créées, les oeuvres numériques sont susceptibles de se transformer avec chaque changement de vitesse de calcul des microprocesseurs, chaque nouvelle génération de logiciels. Certaines oeuvres textuelles animées, créées dans les années 1990, passent aujourd’hui sur l’écran à une vitesse qui les rend illisibles. Cette instabilité inéluctable pose le problème de l’archivage et de la préservation, incitant à réfléchir sur les cadres de l’oeuvre numérique, sur ses limites, ses parties constitutives et ses modalités d’existence. Les difficultés ne sont pas que conceptuelles, liées à la nécessité de proposer un vocabulaire critique et des stratégies d’analyse adaptés ; elles sont aussi techniques, sujettes à l’instabilité d’une technologie en constante transformation. Et elles ont suscité, de la part des artistes, différentes réponses esthétiques, qui vont d’une ignorance volontaire de cette instabilité jusqu’à son inscription dans l’oeuvre comme principe esthétique fondateur. Les oeuvres numériques apparaissent comme des formes hybrides et instables. La littérature électronique, la poésie générative, les textes numériques, le Net Art et les expérimentations hypermédiatiques diffusées dans le cyberespace représentent un ensemble hétérogène d’oeuvres où se réunissent textes, images, séquences vidéo, animations numériques et processus algorithmiques, et elles participent tout autant de la littérature que de l’art, du cinéma, de la vidéo et du théâtre. Pour en parler, nous …

Appendices