Recensions

Identity, Narrative and Politics, de Maureen Whitebrook, Londres et New York, Routledge, 2001, 178 p.[Record]

  • Christian Poirier

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  • Christian Poirier
    Université d’Ottawa

Présidente du groupe « Politics and the Arts » de l’Association internationale de science politique, Maureen Whitebrook est une spécialiste des aspects narratifs liés au politique. La chercheuse de l’University of Sheffield concentre ici son attention sur les liens qui s’établissent, tant pour les individus que pour les groupes ou les entités plus larges (gouvernement, nation, État…), entre identité, récit et politique. L’auteure nous propose un examen précis des enjeux et des implications (tant pour la théorie politique que pour la pratique) qui émergent d’une compréhension de l’identité en tant que narration. Elle l’effectue par une analyse de plusieurs romans modernes, postréalistes et expérimentaux, qui montrent tous comment des individus construisent de façon narrative leur identité en relation avec l’espace politique. Ce faisant, M. Whitebrook comble une lacune importante. En effet, la théorie politique ne considère souvent le récit que de façon indirecte, sans le placer au coeur de l’analyse et, par ailleurs, la plupart des perspectives tendent à réduire la narration à une simple séquence linéaire impliquant de façon chronologique un début, un milieu et une fin. Le premier postulat de l’auteure est qu’il est essentiel de s’intéresser aux techniques narratives qui fournissent les principaux matériaux requis par la construction de soi et des groupes dans l’espace politique. Autrement dit, le récit est une partie constituante de la réalité et la narration est une condition ontologique de la vie humaine et sociale. Existence et action s’inscrivent dans une trame narrative. Son second postulat théorique est que la construction identitaire implique nécessairement de se situer dans la sphère publique. L’identité est la manifestation publique de soi (p. 6). Ainsi, la construction de l’identité narrative est un acte collectif impliquant des narrateurs et des récepteurs (auditeurs-lecteurs). L’identité est de la sorte définie comme l’ensemble des récits qu’une personne se dit à elle-même, dit aux autres à propos d’elle-même, ainsi que les récits que les autres articulent au sujet de cette personne de même que les autres récits dans lesquels la personne est incluse (par exemple : récits hérités du passé, projets collectifs, identités nationales, situation géographique, ville, race, ethnicité, famille, langage, classe sociale, sexe, religion, affiliation politique, etc.). Autrement dit, identité et différence vont de pair, ce ne sont pas des notions exclusives l’une de l’autre. De la sorte, l’individu puise dans un répertoire multiple mais limité de récits sociaux, politiques et culturels. Il y a intersection entre identité personnelle et identités extra-personnelles. Cette implication à l’intérieur du social correspond à de l’« intertextualité » : il existe une tradition narrative à laquelle on appartient et dont on partage, négocie ou rejette les principales caractéristiques, bref, à laquelle on répond. Il n’y a pas de déterminisme ici : si le passé nous conditionne partiellement, il subsiste une capacité d’innovation, d’action et de transformation du récit hérité comme des récits contemporains ou en voie d’émergence. L’individu est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’ordre symbolique de la distribution des identités sociales. M. Whitebrook entend ainsi se situer par rapport à trois conceptualisations opposées de l’identité : un pur produit rationnel de soi-même, un sujet stable et autonome, pleinement conscient de soi et de son environnement, contrôlant les conséquences de ses actions (version libérale radicale) ; une production découlant exclusivement du contexte social, culturel et politique (version communautarienne radicale) ; un sujet complètement décentré et fragmenté (version postmoderne radicale). Il découle de ces postulats trois aspects particulièrement importants, que l’auteure aborde de façon convaincante au fil des huit chapitres qui ponctuent son analyse de certains récits littéraires. Premièrement, si l’identité est construite (nous sommes aux antipodes d’une représentation essentialiste), cela …