Recensions

Le Juste 2, de Paul Ricoeur, Paris, Éditions Esprit, 2001, 297 p.[Record]

  • Olivier Bertrand

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  • Olivier Bertrand
    École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris)

Depuis sa « petite éthique » contenue dans Soi-même comme un autre (1990), Paul Ricoeur explore le filon éthique que ses recherches phénoménologiques et herméneutiques avaient jusque-là laissé de côté. Après avoir publié Le Juste 1, aux Éditions Esprit en 1995, il fait paraître, sous le titre Le Juste 2, la suite de ses réflexions sur l’éthique. Le second ouvrage, un recueil de 15 textes de provenances diverses (articles, conférences, préfaces, etc.), est divisé en trois sections : la section « Études » rassemble les textes se situant au niveau de la théorie philosophique ; celle intitulée « Lectures » regroupe des préfaces et des comptes rendus de lectures ; et, enfin, la section « Exercices » propose des essais d’application de l’éthique à des cas concrets. Les « études » sont au nombre de cinq. Les quatre premières ont une unité certaine en ce qu’elles traitent toutes, quoique sous un angle différent, de l’élucidation de la nature du phénomène éthique. De la morale à l’éthique et aux éthiques constitue, selon P. Ricoeur, « un complément et un correctif » (p. 8) à la « petite éthique » de Soi-même comme un autre. De ce fait, elle acquiert un niveau théorique d’une envergure supérieure aux autres, qui viennent ensuite s’y greffer. L’auteur s’attarde dans cette étude à reformuler l’articulation des différents moments composant les deux axes, téléologique et déontologique, de son éthique. Il fait alors de la déontologie, c’est-à-dire du lieu où se croisent à la fois la normativité, comprise comme les principes du permis et du défendu, et la relation subjective qui lie le sujet aux normes, le « noyau dur » de toute l’entreprise éthique : « au carrefour du soi qui se pose et de la règle qui s’impose, écrit P. Ricoeur, [se trouve] l’autonomie thématisée par la philosophie pratique de Kant » (p. 9). C’est à partir de ce point focal que doivent par la suite être pensées, en amont, l’éthique fondamentale qui s’enracine dans le souhait, formulé dans Soi-même comme un autre, de « vivre bien avec et pour les autres dans des institutions justes » et, en aval, les éthiques appliquées qui, dans le cadre de jugements en situation s’inscrivant dans le tragique de l’action, tentent de dire et de faire le juste. Mais là n’est pas la seule rectification qu’apporte P. Ricoeur à la « petite éthique ». En effet, il développe dans ce même article les potentialités d’un lien théorique, présent mais peu exploité dans Soi-même comme un autre, entre la phénoménologie de l’expérience morale et son fondement anthropologique essentiel, l’imputabilité. L’imputabilité, qui consiste en « l’aptitude à nous reconnaître comme comptable (racine putare ) de nos propres actes à titre de leur auteur véritable », devrait s’ajouter aux capacités de ce que P. Ricoeur appelle l’« homme-capable », c’est-à-dire à la reconstitution herméneutique d’un sujet à situer entre un sujet métaphysique et un sujet éclaté. Du coup, P. Ricoeur fait le pont entre sa pensée éthique et ses développements antérieurs de Temps et récit sur l’identité narrative. C’est donc à cette reformulation que les études Justice et vérité, Autonomie et vulnérabilité et Le paradoxe de l’autorité viennent se greffer. La première vient situer le juste comme le point culminant du ternaire de l’axe horizontal (soi — proches — autres) à chacun des niveaux de l’axe vertical des prédicats à assigner à l’action (« bon » = moment téléologique, « obligatoire » = moment déontologique et « convenable » = moment prudentiel). La perspective du tiers, c’est-à-dire de l’universalité des points de vue, étant …