Recensions

Daniel Halévy, du libéralisme au traditionalisme, de Sébastien Laurent, préface de Serge Bernstein, Paris, Éditions Bernard Grasset, 2000, 595 p. [Record]

  • Pierre Simonneau

…more information

  • Pierre Simonneau
    Université d’Ottawa

Cet ouvrage est la version publiée d’une thèse de doctorat défendue par Sébastien Laurent, agrégé d’histoire, à l’Institut d’Études Politiques. À ce titre, il représente un très grand travail d’érudition, mais, par voie de conséquence, s’avère parfois un peu fastidieux à lire compte tenu de la quantité de matière qu’il contient. Une biographie est toujours un exercice de style particulier. Dans ce cas, l’auteur retrace non seulement le parcours professionnel et personnel de Daniel Halévy (1872-1962), il survole aussi près d’un siècle de l’histoire intellectuelle et politique de la France contemporaine. D. Halévy est une figure intellectuelle du siècle qui est incontournable pour le spécialiste mais très méconnue du grand public, à croire que son oeuvre est restée dans l’ombre des Charles Péguy, Julien Benda, Romain Rolland ou Charles Maurras. Né en 1872, d’une famille issue de Juifs allemands convertis pendant la Révolution française à la fois au protestantisme et à la République, D. Halévy était prédestiné par son milieu familial à faire une carrière publique. Amoureux des lettres, ami de Proust au Lycée Condorcet qu’il fréquente avec son frère aîné, Élie (historien et philosophe, professeur à l’École libre de sciences politiques), Daniel n’est pas un étudiant brillant. C’est l’Affaire Dreyfus qui va le sortir de l’oisiveté où l’argent de son père, Ludovic, lui permet de demeurer. Librettiste pour Offenbach, ce dernier avait consolidé la fortune familiale en profitant de l’engouement de l’Europe pour l’opérette. En défendant la cause du capitaine Dreyfus, D. Halévy se rapproche des milieux socialistes où il va faire la connaissance de C. Péguy. Cette rencontre amorce une amitié qui continuera par une collaboration intellectuelle aux Cahiers de la Quinzaine, laquelle s’achèvera vers 1910. En ce début de siècle, D. Halévy s’intéresse aussi au phénomène des universités populaires. Il donne des cours et des conférences le soir dans ces institutions qui se voulaient des oeuvres laïques d’éducation des ouvriers. Ce mouvement sera pourtant bien éphémère, les étudiants jugeant souvent ces intellectuels un peu trop bourgeois et hautains. D. Halévy n’est certainement pas exempt de cette critique. C. Péguy lui parlera d’ailleurs à peu près en ces termes dans son Notre jeunesse et dans Victor-Marie Comte Hugo : « il ne faut pas nous le dissimuler, Halévy, nous appartenons à deux classes différentes et vous m’accorderez que dans le monde moderne, où l’argent est tout, c’est la plus grosse différence, la grande distance qui se puisse introduire […] Vous appartenez à une des plus hautes, des plus anciennes, des plus vieilles, des plus grandes, et puisqu’aussi bien nous nous expliquons, puisqu’il est entendu que nous ne flattons plus, une des plus nobles familles de la vieille tradition bourgeoise libérale républicaine orléaniste. » Malgré l’échec des universités populaires, le succès arrive pour D. Halévy, en 1909, lorsqu’il publie une biographie de Nietzsche. Peu à peu, notamment après sa rupture avec C. Péguy et comme le lui rappelle ce dernier, D. Halévy va s’éloigner du socialisme pour revenir à la tradition libérale conservatrice dont est issue sa famille. Malgré son âge et ses deux enfants, il est mobilisé en tant que réserviste pendant la Première Guerre mondiale. Tour à tour ambulancier, traducteur d’italien, chercheur au ministère des Affaires étrangères et correspondant auprès de l’armée américaine, il ne va pas vraiment goûter, et il le regrette, le frisson de la bataille. Il en profite pour rédiger sa biographie, Charles Péguy et les Cahiers de la Quinzaine, qu’il reprendra trois fois jusqu’en 1942. Si l’on en croit la correspondance de R. Rolland, il en modifiera sans cesse le contenu, gommant presque toute trace de désaccord avec C. Péguy. …