Le retour de la philosophie politique en france[Record]

  • Gilles Labelle and
  • Daniel Tanguay

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  • Gilles Labelle
    Département de science politique, Université d’Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada, K1N 6N5
    gplabell@uottawa.ca

  • Daniel Tanguay
    Département de philosophie, Université d’Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada, K1N 6N5
    dtanguay@uottawa.ca

En 1959, Leo Strauss écrivait que la philosophie politique était si moribonde qu’elle lui semblait sur le point de disparaître . Si l’on se fie au nombre de publications qui prétendent désormais s’y rattacher, on a l’impression, au contraire, que la philosophie politique occupe désormais une place majeure dans la vie intellectuelle des sociétés démocratiques. C’est d’abord aux États-Unis que le phénomène s’est manifesté, après que John Rawls eut publié sa Théorie de la justice en 1971 . Il existe désormais une immense littérature, rawlsienne et post-rawlsienne, si l’on peut dire, et il est permis d’estimer que les paramètres de la philosophie politique qu’on pourrait, par commodité, appeler anglo-saxonne, sont relativement bien connus . Les choses se présentent assez différemment si l’on se tourne du côté de la France. Certes, l’appel de Claude Lefort en 1983 à opérer une « restauration de la philosophie politique » lancé devant un parterre de philosophes qui, selon lui, la négligeaient paraît avoir été entendu . Après avoir longtemps été assimilée, en France, à une manière désuète, voire archaïque, d’aborder les problèmes politiques par les praticiens des sciences sociales, du marxisme ou par les philosophes néo-nietzschéens ou néo-heidegerriens (Jacques Derrida, Jean-François Lyotard, etc.), le déclin du marxisme et l’incapacité des sciences sociales à discuter autrement que sous l’angle des « jugements de valeur » les questions normatives ont modifié la donne et redonné un souffle nouveau à la philosophie politique . Cela dit, force est cependant d’admettre que la philosophie politique française demeure relativement méconnue. L’objectif de ce numéro est donc avant tout de combler cette lacune. Mais examinons d’abord brièvement les conditions du « retour » de la philosophie politique en France. On connaît la critique célèbre que L. Strauss adressait aux politologues et aux sociologues : quand vient le moment de procéder à l’étude comparative des régimes démocratiques et, par exemple, du régime nazi, le chercheur en sciences sociales devrait en principe faire abstraction de tout jugement sur ces objets et se contenter de les décrire. Ce qui, ajoutait-t-il, revient à en faire des régimes comparables et ainsi à conférer sinon une légitimité du moins une respectabilité à un régime qui est pourtant fondé sur le meurtre de masse. La « découverte » du totalitarisme par les intellectuels français vers 1973-1975 — au sens où la question soulevée par les régimes totalitaires envahit alors massivement l’espace de discussion intellectuelle, notamment dans le travail des penseurs que l’on dénommera les « nouveaux philosophes  » — de même que la crise du marxisme tant sur les plans théorique (épuisement du paradigme du « marxisme structuraliste ») que pratique (déclin du Parti communiste) favorisent une réflexion qui emprunte à la tradition classique de la philosophie politique au moins en ceci qu’elle fait de l’URSS et des pays socialistes des cas d’un régime (politeia), au sens des Anciens, fondé tout à la fois sur une certaine forme de gouvernement, un certain principe qui organise le lien social, voire un certain type d’humanité. Par exemple, dans Un homme en trop , long commentaire sur L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne, C. Lefort cherche à comprendre les origines et les ressorts de l’homo sovieticus un peu de la même façon que Platon, dans La République, décrit l’« homme démocratique » dont il lui importe de découvrir ce qui a favorisé son émergence et ce qui l’anime . En bref, on ne saurait nier que la question totalitaire ait été au coeur même de ce qui a favorisé puissamment l’émergence d’une réflexion relevant de la philosophie politique dans le cas français — à la …

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