L’histoire en trop. La mauvaise conscience des souverainistes québécois de Jacques Beauchemin, Montréal, VLB éditeur, 2002, 210 p.[Record]

  • Mathieu Bock-Côté

…more information

  • Mathieu Bock-Côté
    Université du Québec à Montréal

La philosophie politique contemporaine, en articulant son programme de recherche autour du phénomène des identités et de son incidence sur la composition de la communauté politique, pose des problèmes inattendus à la question nationale. Jacques Beauchemin entreprend d’y répondre, dans L’histoire en trop, pour voir en quoi le pluralisme identitaire de la société contemporaine implique un redéploiement de la question nationale québécoise et de la conception de la communauté politique qu’elle présuppose. La question nationale est d’abord celle de la communauté d’héritage canadien-français au Québec. Le peuple québécois, identifié à sa majorité historique, s’est approprié au fil de l’histoire une vision de lui-même en tant que communauté de mémoire et de culture marquée d’un destin singulier en Amérique. De 1840 à 1960, il a consolidé son identité collective dans le fait de se raconter son histoire et d’y trouver un enracinement qui lui permettait d’asseoir le projet de survivance formulé au lendemain de la défaite de 1838. Les historiens se sont relayés pour transmettre les raisons communes porteuses du souci de durer du peuple français d’Amérique. Encore aujourd’hui, le nationalisme québécois, assumé par la majorité française du Québec, se déploie dans la continuité de cette histoire habitée par un vieux désir d’achèvement qui s’incarne dans le projet de souveraineté dont la légitimité dépend d’une certaine compréhension de l’histoire franco-québécoise d’abord interprétée comme une longue marche d’émancipation nationale. La question nationale québécoise est aujourd’hui mise à mal par la poussée des identités dans l’espace public qui caractérise la dynamique politique contemporaine et qui contraint le nationalisme à une sévère redéfinition. Le projet souverainiste, quant à lui, est suspect d’une association trop immédiate à l’histoire de la majorité française. Ce qui passait autrefois pour une évidence, soit l’identification de la question du Québec aux aspirations de sa majorité historique, est remis en question par la métamorphose de la communauté politique en notre modernité crépusculaire. La juxtaposition jusqu’ici implicite de la communauté d’histoire et du sujet politique est déclarée arbitraire. Il ne s’agit plus de déployer politiquement l’intentionnalité nationale franco-québécoise mais de veiller à sa dissolution dans la nouvelle mosaïque qui fait figure d’identité collective. Pour J. Beauchemin, « la conception de la société qui la fait se structurer dans la rencontre d’identités plurielles signifie la négation de l’ancienne conception qui la posait comme univers de sens cohérent et relativement fermé sur lui-même » (p. 68). Le nationalisme québécois doit maintenant se reconnaître une tâche de réparation symbolique des différentes injustices apparemment commises envers les minorités et les identités périphériques à la communauté d’héritage canadien-français. D’où la redéfinition de la nation et la réécriture de son histoire pour faire droit aux récits concurrents qui se situent en marge du communautarisme franco-québécois. « La fragmentation de la communauté politique a pour effet de mettre en concurrence des intérêts politiques et identitaires dont aucun ne peut affirmer sa prééminence morale par l’invocation, par exemple, de l’intérêt général ou du bien de la nation » (p. 61). Dans la société des identités, l’enjeu fondamental de la vie démocratique ne réside pas dans la formulation d’une intention éthique capable de rallier l’ensemble de la société autour d’un projet commun, mais bien dans la reconnaissance incessante de la pluralité. L’idéal égalitaire de la modernité politique se redéploie de l’économique vers l’identitaire. La nation se fissure dans une série d’identités de substitution posées comme détentrices de droit face à la communauté politique. « Dans les sociétés contemporaines […], le sujet politique ne se constitue plus dans le dépassement des identités, dans sa capacité à les surplomber mais dans leur cumul » (p. 60). La nation ne devient tout …