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La mondialisation économique et l’internationalisation du politique – autrement dit, l’avènement d’une « constellation post-nationale » (Jürgen Habermas) – entraînent une menace pour la légitimité des démocraties occidentales. En effet, l’autorité et la responsabilité politiques ne sont plus concentrées dans les institutions représentatives et gouvernementales des États-nations, un nombre grandissant de décisions affectant la vie de leurs citoyens est pris par des acteurs privés ou par des régimes internationaux et le caractère démocratique de ces régimes est pour le moins douteux[1]. C’est pourquoi nombre d’observateurs dressent aujourd’hui le constat d’une « érosion » du soutien apporté aux démocraties libérales et à leurs institutions majeures et ce, malgré le triomphe apparent de cette forme de gouvernement depuis les années 1980 et 1990. D’autres font un tout autre constat : selon eux, la « constellation post-nationale » ne s’accompagne pas d’une crise, mais plutôt d’une « transformation » de la légitimité et de ses fondements normatifs[2].

Qu’en est-t-il de ces deux positions sur le plan empirique ? Le soutien que la population apporte à ses systèmes politiques a-t-il vraiment diminué parallèlement à l’érosion de la capacité d’action gouvernementale et du caractère démocratique des États-nations ? Ou est-ce que les critères utilisés par les citoyens pour évaluer leurs systèmes politiques ont changé tandis que les niveaux de légitimité restent inaltérés ? Malgré la prévalence de diagnostics pessimistes, ces questions restent ouvertes, d’autant plus que bon nombre de contributions scientifiques qui se disent empiriques ont plutôt un caractère normatif. Quant aux recherches portant sur la légitimité en tant que concept « positif », elles ont traditionnellement privilégié deux groupes d’indicateurs et de méthodes : d’une part, ces recherches ont étudié les attitudes politiques mesurées à l’aide de sondages et, d’autre part, elles ont observé des actions politiques ayant un caractère d’affirmation et de soutien (participer aux élections…) ou de critique (manifestations, révoltes…)[3].

Ces indicateurs de légitimité sont souvent ambigus. De plus, si les sondages et l’observation d’actions politiques sont, certes, utiles pour éclaircir deux dimensions clés du phénomène, les attitudes et le comportement politique, ils en négligent une troisième, celle de la communication. Or, il paraît évident que la communication politique joue un rôle important dans la (re-)production et la transformation de la légitimité. Celle-ci est constamment évaluée, affirmée ou contestée par des pratiques discursives qui se prêtent à l’analyse empirique. Aussi deux objectifs majeurs orientent-ils ce texte. Tout d’abord, il s’agit d’esquisser les contours d’un programme de recherche centré sur la (dé-)construction de la légitimité dans l’espace public, notamment dans les médias, pour ensuite présenter quelques résultats d’une étude comparée portant sur les discours de légitimation dans un échantillon de médias allemands, suisses, britanniques et américains[4]. Cette étude s’appuie sur un large corpus d’articles de presse et utilise des méthodes statistiques et interprétatives pour examiner les questions suivantes : La légitimité des systèmes politiques est-elle plutôt reconnue ou contestée dans l’espace public des quatre pays ? Quelles institutions politiques se trouvent au centre des discours de légitimation ? Quels sont les critères d’évaluation privilégiés ? Quels mécanismes jouent un rôle dans la reproduction de ces discours et y a-t-il des signes qui indiquent des changements, que ce soit sous l’influence de la mondialisation ou d’autres facteurs ?

L’analyse montre que l’hypothèse d’une crise de légitimité des États-nations démocratiques n’est pas tout à fait défendable puisque le soutien discursif apporté aux institutions majeures des quatre systèmes politiques examinés reste assez marqué. Cela est d’autant plus vrai qu’il y a peu d’indices laissant supposer l’existence d’une transformation profonde des fondements normatifs sur lesquels la légitimité de ces États-nations repose, les critères démocratiques s’avérant toujours importants. Il semble finalement que les discours de légitimation soient caractérisés par des effets cycliques qui tendent à renforcer la légitimité des systèmes politiques.

La dimension communicationnelle de la légitimité

La légitimité est sans aucun doute une notion clé de la théorie politique qui appartient, en même temps, aux essentially contested concepts de la discipline[5]. Sa nature contestée est liée à son caractère inévitablement normatif. Le concept fait référence à l’« acceptabilité » de l’autorité politique. Lorsque l’évaluation d’un arrangement politique sur la base d’un critère normatif et généralisable provoque des jugements positifs, l’arrangement est qualifié de légitime. Or, dans le contexte de recherches portant sur la légitimité des systèmes politiques, il faut tout de même distinguer les approches normatives des approches positives. Dans une perspective normative, le chercheur propose des critères d’évaluation et les utilise pour ses propres diagnostics. Dans une perspective empirique, par contre, il observe des critères et des jugements utilisés ou formulés par la population, les élites politiques ou les médias et les traite comme des faits sociaux. C’est cette dernière approche qui est poursuivie ici[6].

Plusieurs méthodes et indicateurs sont disponibles pour ce genre de recherche[7]. L’approche dominante examine les convictions et les jugements pertinents à l’aide de sondages[8]. Cette méthode, qui s’appuie sur des échantillons larges et représentatifs d’individus et un éventail varié de procédures statistiques, permet d’établir des corrélations entre les attitudes révélées et les caractéristiques sociodémographiques des personnes interrogées. Or, la nature « réactive » de la méthode et les stimuli « artificiels » offerts par les sondages se révèlent problématiques quand il s’agit d’examiner la légitimité des systèmes politiques et leurs fondements : le questionnaire typique offre une présélection d’acteurs et d’institutions à évaluer, ainsi qu’une présélection de critères normatifs à utiliser. Mais quels sont les éléments de leur système politique que les personnes interrogées jugent spontanément importants ? Lorsqu’ils se situent dans leur propre environnement social, quels critères d’évaluation les citoyens ou les acteurs politiques favorisent-ils pour prononcer des jugements ? Les sondages ne permettent pas clairement de répondre à ces questions. Il est probable qu’une bonne part des réponses considérées comme des indicateurs de légitimité soient en réalité des non-réponses déguisées. Elles pourraient, en effet, cacher soit l’acceptation habituelle d’un système politique, soit des formes de (non-)acceptation motivées par la peur des sanctions et les intérêts particuliers (le specific support de David Easton), s’éloignant alors du type de soutien que nous appelons légitimité[9].

Une deuxième approche consiste à observer le comportement politique. Cette méthode produit des données « naturelles » liées à des actes de soutien ou de protestation explicites[10]. Or, la plupart des formes de comportement politique (non)conventionnel constituent des indicateurs ambigus de légitimité[11]. Par exemple, il n’est pas du tout évident que l’abstention de voter aux élections soit toujours un acte de délégitimation (ce qui est l’interprétation usuelle), un signe d’indifférence ou même un indicateur de satisfaction (un électeur rationnel qui est satisfait avec tous les partis et candidats – et, par implication, avec son système politique – devrait rester à la maison…). En revanche, les actes de protestation peuvent indiquer une véritable hostilité envers les institutions et les principes de base du système politique ou, tout au contraire, l’engagement civique de « citoyens critiques » dans les démocraties libérales[12]. De plus, la simple observation du comportement politique ne révèle pas nécessairement les objets précis du soutien ou de la critique qui sont exprimés par le biais des différentes formes de comportement politique, ni les motivations ou les jugements cachés qu’ils véhiculent. De nouveau, la distinction entre le specific support et la légitimité proprement dite s’avère difficile.

Conséquemment, nous suggérons ici une troisième approche qui appréhende la (re-)production, la contestation et la transformation communicative de la légitimité[13]. Tout comme l’observation du comportement politique, la recherche portant sur la communication peut s’appuyer sur des données naturelles produites dans un environnement « non artificiel », l’espace public. L’étude des discours de légitimation permet de cerner les institutions spécifiques auxquelles les jugements des locuteurs font référence, les critères d’évaluation utilisés et les mécanismes jouant un rôle dans la (re-)production de la légitimité démocratique. Après tout, la « libre » communication politique et l’existence d’une véritable sphère publique représentent des conditions sine qua non du fonctionnement des démocraties libérales et ce, sur les plans normatif et empirique[14]. Plutôt que de porter sur la mesure exclusive de la légitimité, un tel intérêt pour les processus de légitimation nous amène à examiner les discours et les pratiques communicatives à l’aide desquels la légitimité des systèmes politiques est établie, contestée ou transformée.

Les attitudes, le comportement et la communication politiques représentent trois dimensions importantes et distinctes de la légitimation qu’il ne faut pas confondre. Ces trois dimensions sont, cependant, liées. Si ces relations ne peuvent pas être examinées plus en détail ici, la dimension communicationnelle paraît importante justement en raison de son rôle dans la (trans-)formation d’attitudes pertinentes et dans la conversion de dispositions normatives en actes de légitimation ou de délégitimation. Les discours sont un réservoir de connaissances et d’interprétations (frames) ainsi que de critères normatifs (plus ou moins acceptés) servant à l’évaluation des systèmes politiques. Les attitudes individuelles sont donc conditionnées dans une large mesure par les discours et la signification d’activités politiques est largement construite par le biais des interactions communicatives[15]. Finalement, étant donné le rôle important des discours pour la reproduction de la légitimité, les indices d’une érosion ou d’une transformation dans cette dimension peuvent être considérés comme des indicateurs particulièrement efficaces d’une crise du politique.

Données et méthodologie

On peut s’attendre à l’existence de discours de légitimation dans plusieurs arènes publiques et privées et donc à la participation de toutes sortes de locuteurs dans des scènes différentes : scientifique et parlementaire, autour de la table familiale, etc. L’étude présentée ici n’examine que la scène médiatique, plus précisément les journaux de qualité et d’envergure nationale. Elle se concentre donc délibérément sur une arène discursive dans laquelle la voix des élites politiques, des experts scientifiques ou juridiques et des intellectuels publics domine celle des « simples » citoyens. Nous ne suggérons pas que ces journaux représentent ou reflètent les discours publics tout court ou l’opinion publique, telle qu’elle pourrait être mesurée à l’aide de sondages. L’intérêt pour cette partie de la presse est plutôt motivé par son rôle d’interface (gate-keeper) entre les élites discursives et politiques, d’un côté, et le public au sens large, de l’autre[16]. Nous partons de l’idée selon laquelle l’espace public des démocraties occidentales est dans une large mesure établi et soutenu par les médias, de telle sorte que la presse de qualité a un impact particulièrement grand sur les cultures politiques et les discours de légitimation nationaux. C’est notamment cette fonction des journaux de qualité qui justifie l’examen d’articles de presse, même si on ne peut sans doute pas s’attendre à une congruence parfaite entre les discours existants dans les différentes arènes et médias, ou bien entre les résultats de sondages et ceux trouvés par une analyse textuelle portant sur la légitimité.

La recherche est basée sur une définition étroite des pratiques communicatives et des discours de légitimation. Les grammaires utilisées par la political claims analysis sont adaptées pour l’analyse des propositions qui contiennent l’évaluation d’un système politique ou d’un de ces éléments majeurs[17]. Un « énoncé de légitimation » est alors défini comme une proposition qui rend explicite son « objet » – c’est-à-dire le système ou l’élément précis qui est évalué – ainsi que le « critère » utilisé pour l’évaluation de cet objet et la nature positive (affirmative) ou négative (critique) du jugement. Tous les énoncés de légitimation ont donc un caractère normatif et généralisé qui correspond à notre définition du concept de légitimité. Le tableau 1 offre deux exemples de ce type de proposition et illustre la procédure qui a été utilisée pour « traduire » le texte original et pour coder les trois variables de la grammaire de légitimation.

Les versions électroniques complètes de deux quotidiens ont été examinées pour chacun des pays : la Frankfurter Allgemeine et la Süddeutsche Zeitung (Allemagne), le Washington Post et le New York Times (États-Unis), le Times et le Guardian (Grande-Bretagne), le Tagesanzeiger et la Neue Zürcher Zeitung (Suisse). Les articles pertinents – contenant un ou plusieurs énoncés de légitimation – ont été identifiés à l’aide d’une procédure décrite de manière détaillée sur le site Web du projet[18]. L’analyse suivante fait, par ailleurs, référence à deux corpus partiels :

Tableau 1

La « grammaire » des énoncés de légitimation

La « grammaire » des énoncés de légitimation

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  1. un corpus de 2 374 articles et de 3 924 énoncés de l’année 2004 ;

  2. un corpus de 660 articles et de 1 205 énoncés publiés entre 1990 et 2005, dans le contexte de 24 débats concernant des sujets de réforme institutionnelle, de politique étrangère et de politique sociale (voir tableau 4 pour une description détaillée de ces « études de cas »).

Alors que le large corpus de l’année 2004 permet de comparer les structures fondamentales des quatre discours nationaux de légitimation, les études de cas nous aident surtout à identifier le rôle des contextes thématiques et à examiner les changements temporels des structures discursives.

Niveaux de légitimité et objets de légitimation

Y a-t-il des indices dans notre matériel textuel pour conclure à l’existence d’une érosion du soutien discursif apporté aux systèmes politiques de l’Allemagne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Suisse ? Pour répondre à cette question, nous considérons d’abord le premier élément de notre grammaire : le caractère positif ou négatif des énoncés de légitimation identifiés. La fréquence d’évaluations positives – c’est-à-dire affirmant plutôt que contestant la légitimité d’une institution majeure ou du système entier – offre un premier indicateur des niveaux de légitimité dans l’espace public des quatre pays. Nous constatons que, en 2004, le pourcentage de ces évaluations positives (légitimations) atteint un maximum de 52 % aux États-Unis et un minimum de 33 % en Grande-Bretagne. Comme en Angleterre, les niveaux de légitimité sont inférieurs à 50 % en Allemagne et en Suisse (tableau 2).

Tableau 2

Répartition et niveaux de légitimité des quatre groupes d’objets et de critères de légitimation par pays (2004, %)

Répartition et niveaux de légitimité des quatre groupes d’objets et de critères de légitimation par pays (2004, %)

Notes : Les abréviations des groupes d’objets et de critères de légitimation – qui seront également utilisées dans les graphiques qui suivent – sont expliquées dans le texte.

Niveau de légitimité = pourcentage de « légitimations » (évaluations positives) pour chaque groupe d’objets et de critères. Nous omettons ici les pourcentages d’énoncés de légitimation qui n’offrent pas de critère d’évaluation spécifique ou un critère non classifiable ; la somme des quatre groupes de critères n’est donc pas égale à 100,0 %.

N = Nombre d’énoncés (nombre d’articles entre parenthèses).

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Faut-il conclure d’emblée que trois des quatre pays souffrent aujourd’hui d’une crise de légitimité ? Des précisions s’imposent. D’abord, il n’est pas évident de définir à partir de quel pourcentage d’évaluations négatives il convient de parler d’un phénomène de crise[19]. Il paraît tout à fait « normal » – et désirable d’un point de vue normatif – que les citoyens et les médias d’une démocratie libérale observent les acteurs et les institutions de leur régime avec un scepticisme « bienveillant ». Même dans un régime légitime on peut toujours s’attendre à l’occurrence régulière de débats publics concernant la légitimité de ses institutions[20]. Ce sont justement les grands conflits politiques qui tendent à déclencher le genre de communication que nous appelons discours de légitimation et, donc, à provoquer le type d’énoncé qui, selon la définition présentée précédemment, constitue l’unité de base de ces discours. Or, un débat est – par définition – soutenu par un échange d’arguments et de jugements concurrents. Compte tenu du biais négatif qui semble caractériser le traitement du politique par les médias, il faut même s’attendre à une dominance numérique de propositions critiques[21].

Outre les niveaux de légitimité, il semble donc important d’analyser l’intensité des discours de légitimation, définie comme le nombre absolu ou la fréquence relative d’énoncés de légitimation dans la communication politique tout court. La rareté d’énoncés de légitimation dans un espace public et à un moment donné pourrait, certes, indiquer une sorte d’apathie – un simple refus de la part des médias de jouer le rôle de « chien de garde » pour leur système politique national et donc de communiquer un grand nombre d’évaluations ayant le caractère normatif et généralisé décrit ci-dessus. Mais la rareté de ce type d’évaluation pourrait tout aussi bien indiquer des niveaux élevés de satisfaction. Le comportement des autorités ou les développements politiques ne donneraient alors pas lieu à des débats intenses touchant aux questions de légitimité. C’est pourquoi il semble justifié de s’attendre à des niveaux de légitimité élevés et, en même temps, à la marginalité des discours de légitimation dans les phases de politique « normale », c’est-à-dire en l’absence de conflits intenses ou de bouleversements majeurs. Or, tant que l’ampleur des discours de légitimation reste limitée, même un pourcentage élevé de propositions critiques semble moins alarmant que dans une situation où les questions de légitimité dominent la communication politique.

Pour toutes ces raisons, nous hésitons à interpréter les niveaux de légitimité calculés sur la base de notre matériel textuel comme indicateurs d’une véritable crise de légitimité. Cependant, la répartition très asymétrique d’évaluations positives et négatives en Grande-Bretagne, ainsi que les différences assez prononcées entre les quatre valeurs nationales, semblent significatives. L’exception américaine d’un côté et, de l’autre, l’importance des évaluations négatives en Angleterre demandent une explication, d’autant plus que l’attention des médias américains et britanniques s’est largement concentrée sur le même sujet en 2004, à savoir la guerre contre l’Irak et ses implications pour la politique des deux pays. Or, la situation en Grande-Bretagne se présente moins alarmante si l’intensité des discours de légitimation est considérée : les États-Unis ont le nombre d’énoncés de légitimation le plus élevé (1239) ; ils sont suivis de l’Allemagne (1212) et de la Suisse (776). En Grande-Bretagne, par contre, le pourcentage élevé de propositions critiques va de pair avec seulement 697 énoncés de légitimation.

La dernière précision qu’il importe de faire concerne le deuxième élément de notre grammaire : les objets de légitimation. Selon David Easton, trois types d’objets peuvent jouir (plus ou moins) de soutien politique : la communauté politique, le régime et les autorités. Plus récemment, après avoir retravaillé la typologie d’Easton, Pippa Norris suggère les cinq types suivants : la communauté politique, les principes fondamentaux caractérisant un régime, sa performance, ses institutions et les acteurs politiques[22]. Les deux typologies partagent l’idée d’une hiérarchie des objets de légitimation et toutes deux impliquent que l’érosion du soutien pour les acteurs politiques ou pour des institutions plutôt marginales représente un défi moins sérieux pour les systèmes politiques qu’une perte de soutien pour les institutions centrales, le régime entier ou la communauté politique. Nous adoptons cette idée de hiérarchie et de distinction entre le régime et les autorités (les hommes ou les femmes politiques actuellement au pouvoir), de telle sorte que toutes les propositions évaluant ces dernières ou leurs décisions politiques individuelles ne sont pas retenues dans notre corpus. Nous appliquons par ailleurs une version légèrement modifiée des hiérarchies suggérées par Easton et Norris :

  1. La communauté ou le système politique « en tant que tels » (OL1 = catégorie 1 d’objets de légitimation) : les énoncés de légitimation dans notre corpus font souvent référence aux systèmes politiques ou à leur demos sans spécifier d’une façon explicite les principes ou les institutions qui sont affirmés ou critiqués. Or, la délégitimation massive d’une communauté ou d’un système politique « en tant que tels » devrait être qualifiée comme la menace la plus sérieuse pour leur légitimité : justement à cause de leur nature vague et « globale », les propositions de ce genre véhiculent un manque profond de satisfaction avec les confins ou l’ordre institutionnel d’une communauté politique sur le plan manifeste des textes examinés[23].

  2. Les principes de base d’un régime (OL2) : d’autres énoncés rendent les aspects de l’ordre institutionnel qui sont soutenus ou critiqués plus explicitement. Un deuxième groupe d’objets de légitimation fait alors référence aux principes de base et aux fondements normatifs de l’État-nation démocratique en tant que type de régime : sa territorialité et sa souveraineté, le rule of law et le constitutionnalisme, sa nature démocratique et la fourniture de biens collectifs à travers l’État-providence[24]. La délégitimation massive de ce groupe d’objets représenterait également une menace sérieuse pour la légitimité démocratique : alors que l’« agreement about the boundaries of the political community is the essential precondition for the foundation of any nation-state », la qualité d’un régime et les principes de base qui le caractérisent semblent presque aussi fondamentaux que son ampleur[25]. Mais on peut facilement imaginer des scénarios où une majorité de propositions remet en question les confins d’une communauté politique (la considérant comme trop large ou trop étroite), tout en supportant les principes, démocratiques ou autres, sur lesquels son gouvernement repose.

  3. Les institutions majeures d’un régime (OL3) : un troisième groupe d’énoncés fait référence à des objets encore plus concrets. Il affirme ou critique les variantes plébiscitaire ou représentative, majoritaire ou consensuelle, parlementaire ou présidentielle de l’État-nation démocratique et les éléments spécifiques dont il est composé : les institutions monarchiques ou républicaines, les composantes législatives, exécutives ou judiciaires, le système électoral et l’organisation territoriale unitaire ou fédérale. Ces objets de légitimation sont, certes, importants, mais leur délégitimation ne mène pas nécessairement à une crise de légitimité du régime entier : pour contrer un manque de satisfaction avec l’un de ces éléments de l’ordre institutionnel, il devrait suffire de le réformer d’une façon qui ne touche pas aux principes de base de l’État-nation démocratique ni ne remette en question la communauté ou le système politique « en tant que tels ».

  4. Les groupes d’acteurs (OL4) : alors que les évaluations des autorités n’on pas été retenues dans le corpus, les propositions qui représentent des évaluations collectives d’acteurs politiques importants – que ce soit le système des partis, les groupes d’intérêt ou la classe politique « en tant que tels » – semblent pertinentes, dans la mesure où la démocratie libérale ne peut pas fonctionner sans eux. C’est pourquoi il faut les qualifier d’éléments importants de ce régime. Or, la délégitimation de ce groupe d’objets représente le défi le moins sérieux pour la légitimité des États-nations démocratiques : le système des partis, les groupes d’intérêt ou les élites qui dominent la scène politique à un moment donné peuvent être critiqués et remplacés assez facilement sans altérer et même sans critiquer les principes de base et les institutions majeures d’un régime.

Les données empiriques confirment-elles l’idée d’une telle hiérarchie ? Quels objets sont au centre des quatre discours de légitimation ? Leur distribution dans l’échantillon contribue-t-elle à renforcer ou à atténuer le diagnostic d’une crise de légitimité ? Pour répondre à ces questions, il convient d’examiner les données du tableau 2 qui porte sur la distribution des groupes d’objets et sur la répartition des évaluations respectivement positives et négatives par groupe et par pays ; l’analyse des correspondances permet de visualiser ces données (graphique 1)[26].

Graphique 1

Évaluation des quatre groupes d’objets de légitimation

Note : CH = Suisse ; DE = Allemagne ; GB = Grande-Bretagne ; US = États-Unis. OL1p, OL2p, OL3p, OL4p = évaluations positives d’un objet de légitimation du groupe 1, 2, 3 ou 4 ; OL1n, OL2n, OL3n, OL4n = évaluations négatives (voir l’explication des groupes d’objets 1 à 4 dans le texte)

Note : OL1, 2, 3 et 4 = évaluation d’un objet de légitimation du groupe 1, 2, 3 ou 4. CHp, DEp, GBp, USp = énoncés d’un caractère positif (« légitimations ») en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux États-Unis ; CHn, DEn, GBn, USn = énoncés d’un caractère négatif.

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Deux projections alternatives – réalisées à partir de tableaux multiples comportant trois variables (le pays, le caractère positif ou négatif de l’énoncé, le groupe d’objets qui est évalué) – sont présentées ici. La première représentation bidimensionnelle, en haut, explique plus de 90 % de la variance dans les données. En ce qui concerne les profils des quatre discours nationaux (CH, DE, GB, US), l’analyse statistique souligne la particularité américaine dans la dimension 1 et un contraste plutôt surprenant entre l’Allemagne et la Suisse dans la dimension 2. L’autre groupe de profils décrit l’interaction entre le type d’objet et la nature affirmative (OL1p, OL2p, OL3p, OL4p) ou critique des propositions (OL1n, OL2n, OL3n, OL4n). Dans ce cas, la dimension 1 reflète la différence entre le caractère vague et « global » des évaluations (positives) du premier type d’objet (OL1) – la communauté ou le système politique « en tant que tels » – et la nature beaucoup plus concrète des propositions qui font référence à tous les autres groupes d’objets. L’interprétation de la dimension 2 – qui est dominée par les légitimations (évaluations positives) des deuxième et troisième types d’objets (OL2, OL3) – s’avère plus difficile.

La deuxième représentation, en bas, explique un peu moins de 90 % de la variance. Le premier groupe de profils décrit les deux coalitions discursives dans chacun des quatre pays, l’une soutenant (CHp, DEp, GBp, USp) et l’autre critiquant (CHn, DEn, GBn, USn) le système politique ou l’un de ses éléments majeurs, et donc l’« interaction » entre la provenance nationale d’un énoncé et son caractère positif ou négatif. On voit que la dimension 1 distingue les deux profils associés aux États-Unis, surtout celui de leur « coalition de légitimation », de tous les autres. La dimension 2 oppose les évaluations positives, notamment celle de la coalition de légitimation allemande, aux propositions ayant un caractère négatif. Sur le plan des objets de légitimation, la dimension 1 met en contraste le premier type (OL1) avec le troisième et le quatrième rang de la hiérarchie (OL3, OL4), alors que la dimension 2 révèle surtout une différence prononcée entre les fondements de l’État-nation démocratique (OL2) et les évaluations des groupes d’acteurs (OL4).

La visualisation statistique des données semble donc confirmer l’existence d’une hiérarchie dans le traitement discursif des types d’objets. De plus, il est évident que les différents objets jouent un rôle plus ou moins important dans les quatre discours nationaux et pour les deux coalitions discursives. Le tableau 2 montre, en effet, qu’une pluralité d’énoncés dans les quatre pays fait référence à la communauté ou au système politique « en tant que tels » (OL1). Cependant, le pourcentage respectif pour les États-Unis (64,3 %) et le niveau de légitimité correspondant (59,1 %) signalent l’ampleur de l’exception américaine par rapport à cet élément de la grammaire de légitimation. La très grande affinité du discours américain avec le premier type d’objet, et surtout le rôle important de légitimations d’une nature « globale », sont clairement illustrés par les deux versions du graphique 1[27].

L’étude qualitative des articles de presse montre que les évaluations positives de la communauté ou du système politique américains sont souvent des platitudes comme « the United States is a wonderful country » ou même « America is the greatest nation on the face of the earth », mais la banalité apparente de ces propositions ne doit pas cacher leur valeur en tant que « ressource de légitimation ». Dans les autres pays, les discours offrent peu de ressources comparables. Pour des raisons historiques évidentes, il est par exemple difficile ou même impossible pour un locuteur allemand de formuler une proposition de ce genre sans se marginaliser dans les discours politiques. Le niveau de légitimité de la communauté ou du système politique « en tant que tels » (35,5 %) est même plus bas que la valeur correspondante pour l’ensemble des objets (40,9 %) en Allemagne et il est très proche de cette valeur en Grande-Bretagne et en Suisse.

Les évaluations des principes de base de l’État-nation démocratique (OL2) sont en deuxième place en Allemagne et aux États-Unis. Ils occupent le troisième rang en Grande-Bretagne et en Suisse. Par ailleurs, la démocratie (Grande-Bretagne, États-Unis), le constitutionnalisme (Allemagne, Grande-Bretagne, États-Unis) ou l’État-providence (Allemagne, Grande-Bretagne, Suisse) se trouvent parmi les cinq objets individuels les plus fréquemment jugés dans tous les pays examinés. On doit aussi souligner que les niveaux de légitimité du deuxième type d’objet dépassent ceux des autres groupes dans tous les pays, exception faite des États-Unis, où le pourcentage (55,2 %) est tout de même proche de la valeur correspondante pour la communauté ou le système politique « en tant que tels » (59,1 %), ainsi que de la valeur allemande (60,1 %). Alors que l’État-providence est la cible d’un grand nombre d’évaluations négatives, la démocratie et le constitutionnalisme constituent des points de référence majeurs des coalitions de légitimation. Seuls le discours américain, où les évaluations de l’État-providence jouent un rôle marginal, et celui de la Grande-Bretagne, où même la démocratie et le constitutionnalisme n’échappent pas à l’orientation critique du discours national, représentent des exceptions à cet égard. De nouveau, la forte surreprésentation du deuxième type d’objet en Allemagne, notamment parmi les légitimations, ainsi que la propension de ce groupe d’objets aux évaluations positives en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Suisse, ressortent clairement des deux versions du graphique 1.

En Grande-Bretagne et en Suisse, le poids relatif des institutions spécifiques (OL3) s’avère le plus élevé. Plus d’un quart des énoncés britanniques tournent autour de la légitimité d’institutions particulières, par exemple la chambre haute du parlement, la justice ou l’organisation territoriale du pays. La réforme de ces institutions a, bien sûr, fait l’objet de vifs débats au cours des dernières années. Leur prévalence dans le discours britannique de légitimation n’est donc pas surprenante. En Suisse, c’est même un tiers des énoncés qui portent un jugement sur la légitimité de ce groupe d’objets et, notamment, sur les institutions de la démocratie directe (13,5 %). De plus, le niveau de légitimité des institutions spécifiques (49,0 %) est très proche de la valeur atteinte par les principes de base du régime (49,3 %) et plus élevé que celle de l’ensemble des propositions (42,9 %). Le niveau de légitimité de la démocratie directe (61,9 %) en tant qu’objet individuel confirme son rôle central dans la politique suisse. Par contre, dans les autres pays, le niveau de légitimité de ce groupe d’objets ne se situe qu’au troisième rang. En Allemagne et aux États-Unis, où des débats sur la réforme du fédéralisme et du système électoral semblent avoir joué en 2004 un rôle comparable à celui joué au même moment par des débats sur une réforme constitutionnelle plus vaste en Grande-Bretagne, les institutions spécifiques sont même évaluées d’une manière beaucoup plus critique que les principes de base.

Finalement, les groupes d’acteurs (OL4) sont les objets les plus rarement évalués dans l’ensemble des quatre pays. Les niveaux de légitimité du quatrième type d’objet de légitimation sont extrêmement bas (de 8,2 % en Suisse à 13,9 % en Allemagne), donc visiblement « contaminés » par le cynisme massif envers les autorités, cynisme qui tend de plus en plus à caractériser les attitudes politiques des citoyens dans les démocraties occidentales[28]. Aussi les deux versions du graphique 1 illustrent-elles une affinité entre les évaluations négatives et les deux catégories inférieures de la hiérarchie des objets de légitimation en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Suisse. Mais on reconnaît également qu’il y a eu un véritable débat sur la nécessité de réformer les institutions en Grande-Bretagne et en Suisse (les évaluations positives de ce type d’objet sont aussi relativement fréquentes), ainsi qu’une surreprésentation de légitimations des groupes d’acteurs en Allemagne.

En somme, et avec l’exception partielle de la Suisse, les niveaux de légitimité augmentent au fur et à mesure que la hiérarchie des objets de légitimation progresse. Il paraît donc que le premier et surtout le deuxième types d’objets sont mieux « immunisés » contre l’érosion de leur légitimité que les institutions spécifiques ou les élites politiques. Sur la base de nos données, nous pourrions sans doute diagnostiquer une crise de légitimité en Grande-Bretagne. Cependant, dans les autres pays, notamment aux États-Unis, il y a beaucoup moins d’indices de crise sérieuse et, dans la mesure où la mondialisation ou d’autres facteurs ont un effet sur la légitimité des systèmes politiques, cet effet est visiblement influencé par les particularités des différents contextes nationaux. Aucun des quatre discours n’est alors complètement concentré sur la délégitimation des institutions et des principes qui, selon nombre d’observateurs scientifiques, semblent les plus vulnérables dans le contexte de la mondialisation, que ce soit les gouvernements et les parlements nationaux ou simplement la démocratie représentative.

Critères et styles de légitimation

Alors que la mondialisation ne semble pas avoir causé une érosion massive du soutien discursif apporté aux systèmes politiques et à leurs institutions majeures, elle pourrait toujours avoir déclenché une transformation de la légitimité, c’est-à-dire un changement des critères qui sont privilégiés pour les évaluer. L’étude de ces critères normatifs – troisième élément de la grammaire de légitimation – facilite l’examen de cette possibilité. Dans la littérature, on trouve de plus en plus souvent l’hypothèse selon laquelle les critères démocratiques – c’est-à-dire tous les standards d’évaluation qui sont en fin de compte liés au principe de la « souveraineté populaire » (chances de participation, responsivité, accountability, etc.) – sont moins pertinents aujourd’hui, tandis que des critères non démocratiques comme l’efficacité ou la stabilité d’arrangements politiques acquièrent de l’importance[29]. Or, dans une perspective normative, un tel changement serait tout aussi inquiétant qu’une érosion du soutien apporté aux démocraties libérales, puisqu’il signifierait l’érosion de leurs fondements normatifs. Poursuivant cette idée et ajoutant la dichotomie des critères démocratiques et non démocratiques à celle des évaluations positives et négatives, nous pouvons alors distinguer trois variantes d’une crise de légitimité et une catégorie de référence, la légitimité démocratique (tableau 3)[30].

Tableau 3

Typologie des crises de légitimité

Typologie des crises de légitimité

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Par ailleurs, la dichotomie séparant les inputs et les outputs des systèmes politiques et les critères d’évaluation respectifs est souvent confondue avec celle des standards (non)démocratiques dans la littérature. Or, il semble plus approprié de les traiter comme les pôles de deux dimensions indépendantes :

  1. Les critères « input » et « output » : un critère de légitimation appartient au type input quand il fait référence aux processus décisionnels et, surtout, aux acteurs participants ou à la qualité des procédures utilisées. Par contre, un critère concentré sur les résultats de ces processus, leur nature et leurs conséquences appartient au type output[31].

  2. Les critères démocratiques et non démocratiques : les critères peuvent être qualifiés de démocratiques quand ils font référence à l’une des conditions qui sont individuellement nécessaires et collectivement suffisantes pour maintenir « a system of governance in which rulers are held accountable for their actions in the public realm by the citizens, acting indirectly through the competition and cooperation of their elected representatives »[32]. Par contre, un critère qui ne fait pas référence à une condition sine qua non des systèmes démocratiques (sans nécessairement être antithétique à cette forme de gouvernement) sera appelé non démocratique.

On peut alors distinguer quatre groupes de critères : input démocratique (ID) et input non démocratique (IND), ainsi que output démocratique (OD) et output non démocratique (OND). Une vingtaine de tels standards d’évaluation a été identifiée dans le matériel et attribuée à l’une de ces catégories[33]. Ce nombre élevé de critères individuels est d’ores et déjà un résultat important de l’analyse, puisque la littérature tend à privilégier les critères normatifs que la théorie politique moderne considère « appropriés » dans l’évaluation des démocraties libérales et, donc, à sous-estimer le nombre de critères qui sont disponibles et régulièrement utilisés dans les discours de légitimation. Mais quelle est l’importance relative des différents groupes de critères dans les quatre pays ? Lequel des scénarios du tableau 3 correspond le mieux aux structures des discours examinés ? De nouveau, il importe de rapporter ces questions aux données empiriques disponibles et à leur visualisation graphique (graphique 2).

Les deux projections ressortent, une fois de plus, de tableaux multiples comportant trois variables (le pays, le caractère positif ou négatif de l’énoncé, le critère d’évaluation utilisé). La première représentation, en haut, explique plus de 80 % de la variance dans les données. En ce qui concerne les profils nationaux, la dimension 1 de la projection oppose les discours des pays anglophones, surtout de la Grande-Bretagne, aux discours des pays (majoritairement) germanophones. La dimension 2 renvoie dos à dos les démocraties parlementaires (Allemagne, Grande-Bretagne) et le système présidentiel des États-Unis (ainsi que le système hybride de la Suisse)[34]. Le deuxième groupe de profils représente l’interaction entre le type de critère utilisé dans chacune des propositions examinées et sa nature affirmative (IDp, INDp, ODp, ONDp) ou critique (IDn, INDn, ODn, ONDn). Tandis que la dimension 1 – qui est dominée par les évaluations négatives à la base des critères « input démocratique » (IDn) – s’avère difficile à interpréter, la dimension 2 – dominée par les évaluations positives à la base des critères « output démocratique » (ODp) – reflète (imparfaitement) le contraste entre les propositions affirmatives et critiques.

Graphique 2

Usage des quatre groupes de critères de légitimation

Note : CH = Suisse ; DE = Allemagne ; GB = Grande-Bretagne ; US = États-Unis. IDp, INDp, ODp, ONDp = critères de légitimation du groupe « input démocratique », « input non démocratique », « output démocratique » ou « output non démocratique » utilisés dans des énoncés d’un caractère positif ; IDn, INDn, ODn, ONDn = critères utilisés dans des énoncés d’un caractère négatif (voir l’explication des groupes de critères dans le texte).

Note : ID, IND, OD, OND = usage d’un critère du groupe « input démocratique », « input non démocratique », « output démocratique » ou « output non démocratique ». CHp, DEp, GBp, USp = énoncés d’un caractère positif (« légitimations ») en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis ; CHn, DEn, GBn, USn = énoncés d’un caractère négatif.

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La deuxième projection, en bas, explique plus de 90 % de la variance. Elle représente les profils correspondant aux coalitions discursives et aux quatre groupes de critères de légitimation (ID, IND, OD, OND). La dimension 1 oppose (imparfaitement) les évaluations positives des coalitions de légitimation aux évaluations négatives des coalitions de délégitimation. La dimension 2 met en contraste (de nouveau, imparfaitement) les discours des pays anglophones et germanophones. Pour les critères d’évaluation, la dimension 1 reflète la différence entre les critères « output démocratique » (OD) et tous les autres. La dimension 2 représente le contraste entre les critères démocratiques et non démocratiques et, notamment, ceux du type input et output respectivement.

Les données et leur représentation graphique indiquent alors un nombre de similarités entre les discours nationaux de légitimation et leurs coalitions discursives, mais aussi des différences prononcées quant à l’usage des quatre groupes de critères. Le tableau 2 montre que deux types de critères – input démocratique et output non démocratique – l’emportent partout. Cependant, les critères « input démocratique » (ID) ne se trouvent qu’au deuxième rang dans les pays germanophones (le décalage étant plus marqué en Suisse qu’en Allemagne), alors qu’ils occupent le premier rang dans les deux autres pays. Ce type de standard démocratique « classique » est particulièrement fréquent en Grande-Bretagne (43,6 %). Il est, en outre, associé à un très bas niveau de légitimité (24,3 %). Les deux versions du graphique 2 confirment que, en Angleterre, ce sont surtout les évaluations négatives qui font référence à ce groupe de critères et donc à des déficits supposés des procédures démocratiques. Aux États-Unis, le niveau de légitimité associé aux critères de ce type (40,2 %) est également plus bas que la valeur correspondante de l’ensemble des propositions (52,0 %). C’est l’inverse en Allemagne et, surtout, en Suisse. Il paraît donc que les « démocrates non satisfaits[35] » parlent à voix haute dans les discours américain et britannique – un résultat qui est compatible avec le scénario I (érosion de la légitimité) –, alors que leur voix est plutôt faible dans les discours allemand et suisse. De plus, il y a une affinité visible entre le discours suisse et les « démocrates satisfaits » qui emploient les critères « input démocratique » d’une manière affirmative.

En revanche, les critères « output non démocratique » (OND) prévalent dans les discours allemand et suisse. Les deux pays germanophones ont vécu des débats intenses sur l’(in)efficacité de leurs régimes et sur la nécessité de les réformer au cours des dernières années. Tandis que l’hypothèse de l’inefficacité des éléments fédéraux ou consensuels des deux systèmes politiques reste controversée, elle semble avoir joué un rôle important pour les discours de légitimation de ces deux pays et, surtout, pour leurs coalitions de délégitimation (les niveaux de légitimité respectifs, 36,4 % et 38,4 %, sont plus bas que les valeurs correspondantes de l’ensemble des propositions). Le groupe de critères « output non démocratique » est également associé à un niveau de légitimité relativement bas aux États-Unis (45,1 %), résultat qui met en question l’hypothèse d’une transformation de la légitimité (scénario III) dans ces trois pays et même en Grande-Bretagne (33,3 %). Après tout, cette hypothèse suggère que des critères liés par exemple à l’efficacité sont en train de devenir des ressources de légitimation alternatives pour les systèmes politiques qui voient leur qualité démocratique menacée. Or, les deux versions du graphique 2 suggèrent que ce type de critère a plutôt une affinité avec les évaluations négatives, comme aux États-Unis et en Allemagne, alors qu’en Suisse la mesure dans laquelle les systèmes sont efficaces constitue un standard d’évaluation important pour les deux coalitions discursives.

Les critères « output démocratique » (OD), situés en troisième position, sont souvent négligés dans les écrits. Tandis que la mondialisation semble menacer le fonctionnement adéquat des procédures démocratiques, plusieurs auteurs suggèrent pourtant que des critères d’évaluation focalisés sur le côté output des démocraties libérales et, notamment, sur le succès d’un régime dans la protection des droits de l’homme et du citoyen, pourraient de plus en plus remplacer les critères du côté input, une conjecture que les données illustrent bien[36]. Les pourcentages des énoncés qui utilisent ce groupe de critères, notamment le critère de la protection des droits de l’homme, sont relativement élevés dans tous les pays, à l’exception de la Suisse. Qui plus est, les niveaux de légitimité associés à ce groupe sont toujours plus élevés (et même beaucoup plus élevés en Suisse, en Grande-Bretagne et aux États-Unis) que les valeurs correspondantes de l’ensemble des propositions. Les critères « output démocratique » semblent donc avoir une fonction de plus en plus importante sur le plan de la légitimation des démocraties occidentales à l’heure de la mondialisation. Les graphiques confirment le rôle de ce genre de critères pour les coalitions de légitimation dans les pays anglophones et, surtout, aux États-Unis. En Allemagne et en Suisse, ils constituent moins d’une ressource de légitimation, parce que le niveau de légitimité respectif n’est pas beaucoup plus élevé que la moyenne (Allemagne) ou parce que ces critères sont utilisés rarement (Suisse).

Finalement, les critères « input non démocratique » (IND) comme le leadership charismatique – qui sont largement discrédités aujourd’hui d’un point de vue normatif – jouent un rôle plutôt marginal dans tous les pays. Cependant, il faut noter que le poids relatif de ce groupe de critères est légèrement plus élevé aux États-Unis et en Suisse, où il est assez fréquent dans les jugements avancés par la coalition de délégitimation (discours américain) et dans les deux camps (discours suisse). Par exemple, la perte supposée des fondements religieux du système politique est souvent critiquée dans les énoncés américains de ce genre.

En somme, on peut conclure que le nombre élevé de critères disponibles dans les discours de légitimation et leur répartition plus ou moins balancée sont des facteurs qui tendent à stabiliser la légitimité des pays examinés. Après tout, il est plutôt improbable qu’un système politique soit évalué négativement par rapport à tous les critères qui peuvent être utilisés légitimement dans les discours de légitimation. Deuxièmement, la portée heuristique d’une typologie à deux dimensions et quatre groupes de critères semble confirmée. Sur la base d’une typologie qui confond les critères input et démocratique, ainsi que les critères output et non démocratique, on aurait facilement pu manquer le rôle apparent de la catégorie output démocratique pour la légitimation des quatre systèmes politiques examinés dans l’ère de la mondialisation. Or, la qualité normative d’un mouvement éventuel des discours nationaux vers les critères « output non démocratique » (scénario III) est très différente de celle d’un mouvement vers les critères « output démocratique » (un changement qui équivaudrait à une réinvention plutôt qu’à une transformation de la légitimité démocratique).

Processus et mécanismes de légitimation

Jusqu’ici, nous n’avons présenté qu’un instantané comparatif des quatre discours nationaux de légitimation. L’analyse des niveaux de légitimité ainsi que des objets et des critères de légitimation privilégiés en 2004 a révélé l’existence de similarités et de différences entre les discours médiatiques de l’Allemagne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Suisse, et donc de styles nationaux de (dé-)légitimation dans l’espace public. De plus, l’examen des structures discursives nous a permis de juger dans quelle mesure les discours reflètent l’un ou l’autre des types de crise distingués en haut. Nous en concluons qu’il n’y a pas d’indice clair de la prévalence des types I, II ou III d’une crise de légitimité dans les discours des quatre pays examinés et leur presse de qualité.

Cependant, il reste à vérifier la stabilité de ces structures et à examiner les processus de légitimation. Y a-t-il des indices suggérant un mouvement des quatre discours nationaux vers l’un ou l’autre scénario de crise au cours des dernières années ? Est-ce que la nature et l’intensité des débats portant sur la légitimité dépendent du contexte thématique dans lequel les systèmes et les institutions politiques sont évalués ? Finalement, quels mécanismes peuvent être décelés dans ces débats ? Nous abordons ces questions à l’aide de trois études de cas (tableau 4, graphique 3).

Tableau 4

Études de cas – contextes thématiques et périodes examinées

Études de cas – contextes thématiques et périodes examinées

Note : Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre d’énoncés de légitimation identifiés dans le contexte de chaque débat et le nombre d’articles dont ils sont issus. En outre, le tableau fait état des événements clés qui ont été choisis pour fixer les périodes examinées.

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Une fois de plus, l’analyse des correspondances peut être utilisée pour visualiser le développement des niveaux de légitimité et des critères de légitimation privilégiés pour chaque pays et chaque contexte thématique (graphique 3). La solution présentée ici ressort d’un tableau « composé » (stacked) qui décrit la répartition d’évaluations positives et négatives, ainsi que celle des critères démocratiques et non démocratiques, pour les 24 (4 x 3 x 2) débats analysés. Seuls les 12 débats des années 1990 (t1) ont été utilisés pour arriver à cette projection. Les profils du deuxième groupe (t2) représentent des points supplémentaires (sans masses) qui ont été projetés dans l’espace ainsi défini. Ensemble, les deux dimensions expliquent toute la variance dans les données. La dimension 1 des deux graphiques partiels renvoie au degré de légitimation, puisqu’elle oppose les niveaux de légitimation élevés (LEG, à gauche) et bas (N-LEG, à droite). La dimension 2 reflète le contraste entre des pourcentages élevés (DEM, en haut) et faibles (N-DEM, en bas) d’énoncés qui utilisent des critères démocratiques. Les quatre rectangles démarqués par les axes peuvent alors être associés à la légitimité démocratique (en haut à gauche) et aux scénarios de crise : I (en haut à droite), II (en bas à droite) ou III (en bas à gauche).

Plusieurs observations s’imposent. D’abord, il n’y a visiblement pas eu de développement uniforme à travers les quatre démocraties et les trois contextes thématiques, une tendance générale dans la direction de l’un ou l’autre des quatre scénarios. La nature des discours de légitimation est donc fortement influencée par les contextes nationaux et thématiques et, sans doute, par toutes sortes de facteurs contingents. Deuxièmement, alors que 16 trajectoires auraient été possibles théoriquement (stabilité de la légitimité démocratique ou de chacun des trois scénarios de crise, quatre différents mouvements suivant l’axe vertical, quatre suivant l’axe horizontal et quatre mouvements diagonaux), les études de cas n’en représentent que sept.

Graphique 3

Études de cas, niveaux et critères de légitimation

Études de cas, niveaux et critères de légitimation

Note : CH = Suisse ; DE = Allemagne ; GB = Grande-Bretagne ; US = États-Unis. F1, F2 = politique étrangère (t1, t2) ; I1, I2 = réformes institutionnelles (t1, t2) ; S1, S2 = politique sociale (t1, t2). LEG = « légitimations » ; N-LEG = évaluations négatives. DEM = critères démocratiques ; N-DEM = critères non démocratiques. Les profils des nations germanophones et anglophones sont distribués sur deux diagrammes pour améliorer la lisibilité.

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Commençant par le rectangle qui correspond à la légitimité démocratique (en haut à gauche), nous voyons que les débats britanniques en politique étrangère restent associés à des niveaux élevés de légitimité et à une préférence claire des locuteurs pour les critères d’évaluation démocratiques. Aux États-Unis, nous constatons un déplacement léger vers le scénario III. En Suisse, il y a un déplacement du scénario III vers une crise de légitimité du type II. Les débats allemands restent dans le rectangle correspondant à ce type, l’effondrement de la légitimité. Il paraît donc que les débats concernant la politique étrangère et les relations internationales représentent un contexte plutôt favorable à la légitimation des systèmes politiques américain et britannique. L’analyse qualitative des débats permet d’identifier le mécanisme discursif qui contribue à expliquer ce résultat : une stratégie d’évaluation comparative de communautés politiques et de régimes entiers est typique pour les débats portant sur les guerres des États-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein et sur les relations entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne. Les régimes américain et britannique sont par exemple rapportés à ceux de l’Union européenne, des Nations Unies ou de l’Irak et de telles comparaisons tendent à soutenir des évaluations positives de leur légitimité (démocratique). Or, ce mécanisme ne semble pas fonctionner aussi bien en Suisse et encore moins en Allemagne.

Dans le cas de la politique sociale (réforme des retraites) en Suisse, le graphique 3 suggère l’effondrement total de la légitimité démocratique et de ses fondements normatifs, donc un mouvement de la légitimité démocratique vers le scénario II (le rectangle en bas à droite). Ce secteur du graphique contient également les débats allemands en politique étrangère et les débats britanniques en politique sociale (réforme du système de santé). Les débats allemands et américains en politique sociale sont, en revanche, caractérisés par une consolidation légère (Allemagne) et très forte (États-Unis) d’évaluations sur la base de critères démocratiques, tandis que les niveaux de légitimité restent bas : dans les deux cas, il s’agit donc d’un mouvement du type II d’une crise de légitimité vers le scénario I. Bref, les débats concernant la politique sociale et l’État-providence donnent beaucoup plus souvent lieu à la critique des systèmes politiques et à des arguments non démocratiques que ceux dans le domaine de la politique étrangère.

Enfin, les débats portant sur les réformes institutionnelles en Allemagne se sont également déplacés d’une crise du type II vers le scénario I. Trois pays – les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Suisse – ont vécu des mouvements entre le type de crise I (érosion de la légitimité) et le scénario III (transformation) dans le contexte de tels débats. L’implantation de ces réformes a donc souvent l’effet (désiré) de modérer la critique des systèmes politiques, mais cette amélioration va de pair avec un mouvement vers des standards d’évaluation non démocratiques comme l’efficacité.

Or, qu’en est-il de l’intensité des discours de légitimation dans le contexte de ces débats, c’est-à-dire du poids relatif des discours de légitimation dans la communication politique tout court ? Aux fins des études de cas, cette variable a été estimée en déterminant le nombre d’articles portant sur les sujets des 24 débats analysés et le pourcentage d’entre eux qui contenait un ou plusieurs énoncés de légitimation. Il s’avère que cette mesure d’intensité – allant de 3,1 % (politique sociale, Allemagne, t2) à 63,6 % (réformes institutionnelles, Suisse, t1) – est très variable selon les pays, les sujets examinés et le temps (graphique 4). L’intensité est généralement la plus élevée dans les discours suisse et allemand et, notamment, dans le contexte de débats concernant les réformes institutionnelles et la politique étrangère. En Allemagne, en Grande-Bretagne et en Suisse, une série de réformes institutionnelles au cours des années 1990 et 2000 a eu l’effet de réduire l’attention relative aux questions de légitimité. Par ailleurs, c’est uniquement aux États-Unis que l’intensité a eu une tendance générale à monter depuis les années 1990.

Graphique 4

Études de cas, intensité des débats (t1, t2)

Études de cas, intensité des débats (t1, t2)

Note : CH = Suisse ; DE = Allemagne ; GB = Grande-Bretagne ; US = États-Unis. F1, F2 = politique étrangère (t1, t2) ; I1, I2 = réformes institutionnelles (t1, t2) ; S1, S2 = politique sociale (t1, t2).

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Les discours de légitimation sont donc caractérisés par des effets conjoncturels, des cycles d’attention à la légitimité, mais leurs structures fondamentales semblent plutôt résistantes aux crises temporaires[37]. Ces discours sont très souvent déclenchés par des événements – par exemple un scandale ou une crise politique – qui focalisent l’attention des médias temporairement sur les principes de base, les fondements normatifs et les institutions majeures des systèmes politiques. Les événements qui ont suivi les élections présidentielles de novembre 2000 aux États-Unis représentent sans aucun doute le meilleur exemple des mécanismes discursifs et politiques qui jouent un rôle dans les processus de (dé-)légitimation. Les irrégularités électorales ont d’abord entamé un débat portant sur la « légitimité » des autorités (Bush et les républicains, Gore et les démocrates, les juges en Floride et à la Cour suprême…) et de leurs activités ou décisions. Dans un deuxième temps, les participants au débat ont fait l’alarmed discovery[38] d’un nombre de déficits institutionnels. Pour quelques jours ou semaines, on a alors discuté de ces déficits à partir de critères normatifs comme l’égalité des chances, la justice ou la légalité et en tant que problèmes mettant en question la légitimité du système politique américain et de ses institutions majeures (système électoral, Cour suprême…). Puis on a proposé des solutions. Or, on a aussi reconnu les coûts (financiers et politiques) de réformes majeures et, petit à petit, les défenseurs du système se sont fait entendre. Selon eux, le système politique avait produit un gagnant et donc fonctionné – « if it ain’t broke, don’t fix it ». La concession de Gore et l’inauguration de Bush ont alors suivi, « rituels de légitimation » particulièrement importants aux États-Unis. Enfin, les événements du 11 septembre ont mis fin à ce cycle d’attention et déclenché une vague de patriotisme[39].

Conclusion

Dans ce texte, nous avons d’abord proposé un cadre analytique pour l’examen des discours de légitimation. Ensuite, nous avons illustré son application à l’aide d’une étude comparée de discours médiatiques en Allemagne, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse. Il va sans dire que le cadre analytique esquissé pourrait être plus amplement développé – par exemple, en considérant des variables supplémentaires ou en prêtant davantage d’attention à l’interprétation qualitative des textes – et que les structures et les tendances découvertes dans les articles de presse examinés ne reflètent pas nécessairement celles d’autres médias et arènes discursives. De plus, l’impact supposé des discours de légitimation sur les attitudes et le comportement politique reste à examiner plus profondément. Cependant, les résultats suggèrent plusieurs précisions quant aux diagnostics de crise qui dominent la littérature scientifique portant sur la légitimité des démocraties occidentales et, notamment, à l’égard de l’hypothèse spécifique selon laquelle la mondialisation aurait déclenché une crise de légitimité de l’État-nation démocratique.

Premièrement, les données confirment les résultats de sondages qui indiquent que les citoyens font une distinction entre les autorités (souvent critiquées) et le régime ou la communauté politique (qui sont évalués d’une manière beaucoup plus positive). Dans la hiérarchie des objets de légitimation, les principes de base de l’État-nation démocratique, ainsi que la communauté ou le système politique « en tant que tels », sont rarement atteints par une délégitimation communicative soutenue. Deuxièmement, il faut distinguer trois types de crises de légitimité. Le matériel présenté ne suggère pas de tendance claire et pas de mouvement général vers l’un de ces types. Il y a, certes, des indices de l’érosion ou de la transformation (durable ou temporaire) de la légitimité dans quelques discours nationaux et contextes thématiques. Cependant, les fondements démocratiques des discours examinés s’avèrent plutôt robustes et c’est notamment l’output démocratique des systèmes politiques occidentaux qui soutient leur légitimité aujourd’hui. Troisièmement, les différences entre les styles de légitimation nationaux restent assez prononcées à l’heure de la mondialisation et d’un volume grandissant d’échanges communicatifs transnationaux. Finalement, toute perspective sur la légitimité qui suppose l’existence de structures et de trajectoires universelles et « claires » dans les discours de légitimation nationaux méconnaît les dynamiques et les mécanismes de ce genre de communication politique, négligeant ainsi le retour cyclique de débats ou l’existence de pratiques et de stratégies discursives utilisées par différents groupes de locuteurs dans le but de soutenir ou de contester la légitimité de leurs systèmes politiques dans l’espace public.