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Peuples autochtones et enjeux politiques[Record]

  • Daniel Salée

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  • Daniel Salée
    Université Concordia

Dans le langage courant, on parle d’emblée de la « question autochtone » comme pour bien signifier que, dès lors qu’il s’agit des Amérindiens, on se trouve devant une problématique, voire un problème qui interpelle, étonne ou dérange et, dans tous les cas, commande à tout le moins l’attention. Les plus vieux se rappelleront le « What does Quebec want ? » incrédule et exaspéré que lançait naguère le Canada anglais aux tenants d’un Québec plus vigoureux, revendicateur et autodéterministe au sein de la fédération canadienne. Bien que pour certains, l’emploi du terme « question autochtone » ne se veuille rien de plus qu’une manière facile et expéditive d’évoquer les diverses réalités propres aux peuples autochtones, l’expression reste suspecte et cache trop souvent le même type d’ahurissement et d’inconfort que provoquaient chez les Canadiens anglais les mouvements d’émancipation politique des Québécois. Refusons donc la notion qu’il puisse y avoir une « question autochtone », d’abord par simple souci de ne pas servir aux peuples autochtones, aujourd’hui, le même regard d’incompréhension agacée qui, au Québec, provoquait autrefois un dialogue de sourds, mais ensuite parce que, si tant est que l’on tienne au terme, il ne saurait y avoir une, mais bien des questions autochtones tant les nations autochtones au Québec, au Canada et dans le monde diffèrent par la culture, le mode d’interaction avec l’État et les situations propres auxquelles elles sont confrontées. La notion est donc imprécise et incorrecte en son sens même. Les quelques textes rassemblés ici sous le thème « peuples autochtones et enjeux politiques » participent de ce refus sémantique et s’opposent implicitement à appréhender tout ce qui a trait aux peuples autochtones, en contexte canadien ou ailleurs, comme une question à résoudre ou un problème de politique publique à régler. Ils saisissent les peuples autochtones comme des sujets politiques aux prises avec des réalités qui leur sont propres et demandent à être analysées en elles-mêmes et non pas comme des objets que l’imagination étatique doit s’appliquer à circonscrire ou à contrôler. Dès lors, l’étude des réalités qui marquent les peuples autochtones s’impose comme une démarche qui viserait plutôt à saisir les enjeux qui, d’une part, sous-tendent leur devenir politique et social (souveraineté territoriale, autonomie politique, autodétermination, affirmation identitaire, reviviscence culturelle, protection des savoirs traditionnels) et qui, d’autre part, renvoient à la reconfiguration de l’interface souvent difficile et malaisée qu’ils entretiennent avec l’État qui les enserre et la population non-autochtone avec laquelle ils sont, en quelque sorte, condamnés à coexister. Cette dernière question de l’interface État-peuples autochtones est devenue un sujet de préoccupation majeur au cours des dernières années tant pour les gouvernements, confrontés aux revendications de plus en plus pressantes des Premières Nations, que pour ces dernières, souvent frustrées par un discours et des pratiques étatiques inaptes à satisfaire leurs aspirations sociales, politiques et économiques. Politique et Sociétés offre ici quatre articles qui explorent les tenants et aboutissants des relations entre l’État contemporain et les peuples autochtones. Joyce Green y va d’abord d’une réflexion générale sur les effets de la relation coloniale à laquelle ont été soumis les peuples autochtones au Canada. Pour elle, l’histoire des rapports entre Autochtones et non-Autochtones au Canada s’apparente à un palimpseste, c’est-à-dire à un manuscrit dont on a gratté ou effacé l’écriture originale pour y inscrire autre chose. Au fur et à mesure que s’établissaient les vagues successives de nouveaux arrivants européens sur les terres d’Amérique, les peuples autochtones ont vu leur empreinte distinctive sur les territoires qu’ils occupaient s’estomper graduellement au point de disparaître sous les réécritures des colons préoccupés de bien laisser leur marque et d’affirmer leur …

Appendices