Recensions

La condition historique de Marcel Gauchet, entretiens avec François Azouvi et Sylvain Piron, Paris, Éditions Stock, 2003, 350 p.[Record]

  • Jean-François Lessard

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  • Jean-François Lessard
    École des Hautes Études en Sciences Sociales

Cette nouvelle publication de Marcel Gauchet est différente par rapport à ce à quoi il nous a habitués jusqu’ici, puisqu’il s’agit d’un entretien avec François Azouvi et Sylvain Piron. L’ouvrage a l’avantage de bien nous situer la pensée et la trajectoire de l’homme, ce qui est particulièrement intéressant quand on sait que M. Gauchet est en train de devenir la nouvelle référence intellectuelle en France. Qualifié de nouveau réactionnaire en 2002, par Daniel Lindenberg dans son livre polémique Le rappel à l’ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires (Seuil), son séminaire à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales serait le plus couru de Paris, selon le journal Le Monde. L’ouvrage a donc l’intérêt de mieux nous faire connaître cet intellectuel atypique. Né dans un milieu modeste, M. Gauchet explique être « un rescapé du modèle républicain ». De sa campagne profonde, il avait deux possibilités pour « s’en sortir » : celle du petit séminaire et celle de l’école normale. Il optera pour la seconde. Diplômé de l’école normale d’instituteur de Saint-Lô et destiné à devenir professeur dans un collège (équivalent français de l’école secondaire) M. Gauchet prendra un tout autre chemin. C’est à cette époque, au collège, dans les années 1960, qu’il découvre le monde syndical et le stalinisme. À ce sujet, il confie : « Je n’avais jamais vu de communistes en chair et en os, mais il m’a suffi d’en observer deux ou trois à l’oeuvre pour être définitivement prémuni contre la séduction du Parti. » (p. 20) Après deux années d’enseignement, M. Gauchet prend un congé pour parachever sa formation en philosophie. C’est la rencontre avec Claude Lefort et mai 1968, une période où l’histoire se remet en marche selon lui. Il intègre la République des lettres de manière originale. C’est à travers les revues d’idées qu’il débutera sa carrière. Il participe à Textures, une revue d’étudiants de l’Université de Bruxelles. Puis, il collabore comme secrétaire de rédaction à la revue Libre. Enfin, il s’embarque, avec Pierre Nora, dans l’aventure du Débat une des quatre grandes revues d’idées françaises avec Esprit, Commentaire et Les Temps modernes. Dans un monde qu’il qualifie d’illisible, M. Gauchet explique qu’une revue comme Le Débat, fournit « des pôles d’identité, des repères, des moyens d’orientation » (p. 162). Notons qu’il fera son entrée tardive dans le milieu universitaire ; il devient directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1989. Cet ouvrage lui permet de revenir sur sa grande thèse : celle de la sortie de la religion, qu’il a développée dans son livre phare, Le désenchantement du monde, publié en 1985. Dans La condition historique, M. Gauchet explique de nouveau la sortie de la religion de nos sociétés modernes sans pour autant ajouter de nouveaux éléments. Ceux qui ne connaissent pas encore le philosophe y trouveront une très bonne synthèse de sa pensée. L’autre aspect intéressant de l’ouvrage repose sur ses commentaires des transformations actuelles du monde moderne. Malheureusement, ceux-ci sont dispersés un peu partout à travers le livre. Il aurait été avantageux de concentrer la discussion à ce niveau, ce qui aurait aidé à présenter un propos d’ensemble sur l’état actuel des sociétés occidentales. Au-delà de la pensée de M. Gauchet, La condition historique permet aussi de mieux situer le philosophe sur la scène intellectuelle. Malgré son rejet des thèses de l’extrême gauche, il se défend fermement d’être à droite. Accusation que certains lui avaient lancée quand il fut accusé par D. Lindenberg d’être un « nouveau réactionnaire ». Il déclare être « démocrate et socialiste » …