Synthèse critique

Retour sur la tradition politique canadienneDébats sur la fondation du Canada, sous la direction de Janet Ajzenstat, Paul Romney, Ian Gentles et William D. Gairdner, édition française préparée par Stéphane Kelly et Guy Laforest, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 554 p.The Once and Future Canadian Democracy, de Janet Ajzenstat, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2003, 192 p.[Record]

  • Marc Chevrier

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  • Marc Chevrier
    Département de science politique
    Université du Québec à Montréal

Les Canadiens ont longtemps souffert, par rapport à leurs voisins américains, d’un complexe théorique. Aux premiers, il a semblé que le Dominion du Canada était issu d’un arrangement concocté à la hâte par des politiciens pragmatiques rétifs aux idées abstraites. L’union de 1867 n’avait assurément pas la stature philosophique que la constitution américaine s’était acquise sous le magistère intellectuel de Jay, Madison et Hamilton. C’est un peu pour corriger cette impression d’une fondation sans épaisseur, ainsi que pour rendre accessible à un large public des textes dispersés connus seulement des historiens, que William D. Gairdner, Janet Ajzenstat, Paul Romney et Ian Gentles ont entrepris, à l’hiver 1996-1997, de constituer une anthologie commentée des débats sur la fondation du Canada. Forte de la publication de ces débats oubliés, Janet Ajzenstat a proposé, dans un essai récent, une lecture originale de la tradition politique canadienne. Ces deux ouvrages ont remis à l’avant-scène intellectuelle une série de questions sur les origines de cette tradition et appellent une interrogation sur ce qu’elle est advenue. Le projet de publier les débats sur la fondation du Canada a procédé de la volonté de présenter les pères fondateurs comme des penseurs politiques ancrés dans une tradition en faisant ressortir, comme l’indique Ajzenstat, « l’esprit des Montesquieu, Rousseau, Burke, Locke et autres » sur des textes où paraissaient « les fascinants conflits entre les opinions politiques, constitutionnelles, économiques et sociales qui étaient le lot quotidien des fondateurs du pays ». Le projet a abouti dans sa version anglaise en 1999, et Stéphane Kelly et Guy Laforest ont mené à terme sa version française. L’ouvrage frappe par son étendue ; il rassemble des extraits des débats qui ont eu lieu sur la « Confédération » dans les parlements coloniaux du Canada-Uni, de l’île du Prince-Édouard, de Terre-Neuve, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, et à l’assemblée constituante de la rivière Rouge de 1864 à 1873. Les éditeurs ont choisi d’y inclure tous les partis, toutes les convictions, si bien qu’y figurent conservateurs et libéraux, les partisans de l’union et ses opposants. L’ouvrage vient accompagné d’un appareillage de notes explicatives, dans lesquelles les éditeurs, chacun à leur tour, y vont de leurs commentaires sur les aspects politique, philosophique ou historique des débats pour satisfaire tant le profane que l’érudit. Au fil du texte sont intercalées des notices biographiques, des reproductions de documents ou d’images de l’époque, et, dans les marges du texte, sont mises en exergue les citations que les éditeurs jugent les plus significatives. Tout cela donne un ouvrage de consultation aisée et de lecture agréable, quoique la matière et le ton des débats puissent rebuter le profane. Plutôt que de présenter à tour de rôle les débats propres à chaque assemblée, les éditeurs ont préféré les unir sous cinq grands thèmes, soit la liberté, la prospérité, l’identité, le fédéralisme et les droits des minorités, ainsi que l’élaboration d’une constitution. De cette façon, chacune des cinq parties offre un panorama des échanges sur un même thème dans l’ensemble des assemblées. De toute évidence, les éditeurs ont voulu extraire de ces débats les passages qui leur semblaient contenir la plus grande consistance philosophique ou littéraire, ce qui explique qu’ils n’en aient retenu parfois que des bribes ciselées. Dans la première partie, où il est question de liberté politique, députés et délégués débattent de l’excellence du système parlementaire britannique, du gouvernement responsable, de la vocation et du mode de sélection de la Chambre haute, d’égalité de représentation, voire de démocratie directe. La deuxième partie traite du lien entre institutions politiques et ambition individuelle. On se dispute sur la capacité du régime …

Appendices