Recensions

Quand les sumos apprennent à danser : la fin du modèle japonais, de Jean-Marie Bouissou, Paris, Fayard, 2003, 635 p.[Record]

  • Bruno Desjardins

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  • Bruno Desjardins
    Université du Québec à Montréal

Comme son titre l’indique, l’ouvrage de Jean-Marie Bouissou propose un survol global des causes multiples qui ont favorisé l’érosion du « modèle japonais » et sa transformation en quelque chose qui reste en devenir. Si l’expression « modèle japonais » sert le plus souvent à qualifier le mode de développement et de planification stratégique en matière économique du Japon, J.-M. Bouissou y intègre des dimensions politiques, sociologiques et d’organisation du travail qu’il juge indissociables des dynamiques qui ont permis le « miracle japonais » et le règne presque ininterrompu du Parti libéral-démocrate (PLD), de 1955 à aujourd’hui. L’ouvrage de J.-M. Bouissou est l’un des rares à traiter des questions complexes de la transformation tous azimuts du Japon des quinze dernières années. Ce livre est un effort de synthèse colossal qui jette la lumière sur les origines des difficultés énormes qu’éprouve le Japon à réformer ses institutions politiques, bureaucratiques et bancaires, notamment. Évoluant dans un contexte international où les impératifs néolibéraux de compétitivité et de rendement s’imposent et se heurtent à une façon de faire et à une culture qui ont conduit au « miracle japonais », le Japon voit les clés de son succès se métamorphoser en verrous paralysants qui étouffent ses timides élans réformateurs. L’auteur n’a pas la prétention d’avoir écrit un ouvrage académique ou une thèse. Son ambition est de dresser un portrait de ce Japon qui, depuis l’éclatement de la bulle financière de 1989 et la déstabilisation du système politique (marquée par la fin du Système de 1955 en 1993 et l’effondrement de l’opposition socialiste), est déchiré par des pressions qui proviennent de l’intérieur comme de l’extérieur et qui sont tout aussi contradictoires qu’irréconciliables. Et c’est pourquoi il lui faut « apprendre à danser ». À l’instar de Karel Van Wolferen qui avait, en 1989, écrit l’ouvrage fameux et très controversé L’énigme de la puissance japonaise, J.-M. Bouissou tente d’expliquer le « Système » japonais, à la différence près que, quatorze ans plus tard, c’est du déraillement de ce système que ce dernier entretient ici le lecteur. L’auteur offre une définition systémique du modèle japonais : le Système PSIG, pour « protection sociale indirecte généralisée ». Dans un Japon où l’État offre une protection sociale très faible en comparaison des normes occidentales, c’est l’entreprise, petite et grande, qui doit assurer la sécurité et la paix sociale par le plein emploi. Si cette stratégie a porté fruit en ce qui concerne l’instauration d’un certain ordre social, elle a par contre engendré un comportement économique en porte-à-faux de celui de plusieurs grandes sociétés occidentales. En effet, alors que la logique de compétitivité et de réduction des coûts de nos sociétés se déploie souvent sur le dos des travailleurs et au prix d’une paupérisation des plus faibles, le Japon a résisté – jusqu’à tout récemment – à cette logique pour éviter le désordre social, la délinquance et la petite criminalité. L’activité économique devenait synonyme de paix sociale bien plus que de recherche de profit, ce qui pouvait expliquer la masse d’employés affectés à des tâches non productives et à la démesure du réseau de distribution, en passant par la non-informatisation des procédures de travail qui permettait de procurer un emploi au plus grand nombre de gens possible. Le mot d’ordre n’était visiblement pas « efficacité » ou « maximisation »… Le conformisme, le respect de l’autorité et une certaine aversion pour les conflits ouverts ont tous, à leur façon, contribué à créer un phénomène que J.-M. Bouissou baptise « Ni 3 E » : pour gravir les échelons et réussir au Japon, il faut ne pas avoir d’éclat, ne …