Recensions

Contre l’espoir comme tâche politique : suivi de Critique radicale. Essai d’impolitique, de Lawrence Olivier, Montréal, Éditions Liber, 2004, 252 p.[Record]

  • Vincent Paris

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  • Vincent Paris
    Université du Québec à Montréal

Lawrence Olivier est un penseur et un philosophe de la modernité. Il n’est pas moderne, il n’est pas traditionnel et, Dieu merci, il n’est pas postmoderne non plus. Son dernier essai, Contre l’espoir comme tâche politique, apparaît cependant comme un immense plaidoyer contre le défi que s’est lancé l’humain moderne à lui-même. Défi situé au coeur même de cette modernité, soit celui de « faire de l’homme un homme » à travers ce qu’il appelle « le principe espérance », porté entre autres par l’éducation et l’expérience politique depuis le xviiie siècle. Au premier contact avec l’essai de L. Olivier, on croit assister à un précis de déconstruction digne des travaux d’un Gilles Deleuze ou d’un Jacques Derrida. Mais c’est plus que cela. L’auteur nous mène au coeur même d’un questionnement philosophique vertigineux qui pense l’être dans ses méandres les plus profonds. Questionnement qui, inspiré par Scheler, nous rappelle à la suite de la mort de Dieu que l’humain moderne se trouve confronté, ou du moins poussé par lui-même, aux abords du gouffre insondable de sa propre connaissance : « celle d’un savoir qui sait maintenant qu’il ne peut savoir ». Dans son précédent essai, Le Savoir vain, Olivier s’était fait, avec brio, apologiste d’un relativisme qui, nous disait-il, était fort mal interprété. Dans le présent ouvrage, qui se veut en continuité avec son traité sur le relativisme, il nous conduit aux confins de sa propre pensée, celle d’un philosophe nihiliste responsable, concerné et – n’ayons pas peur des mots – paradoxalement désespéré et désespérant aussi. En fait, cette « condition » croise de manière surprenante le vécu quotidien de tout lecteur ou lectrice, le plongeant au coeur d’un questionnement essentiellement moderne, contemporain. Nous sommes en effet situés à proximité d’un creux existentiel et anti-humaniste digne des envolées oratoires que l’on trouve dans l’oeuvre d’Émile Cioran. Chose certaine, la philosophie et, plus près de nous, la science politique, devront dorénavant composer avec le courant nihiliste, auquel Lawrence Olivier ne se cache pas d’appartenir. L. Olivier nous transmet également, à travers son Contre l’espoir, son amère et profonde déception. Mais son oeuvre n’a pourtant rien d’un projet humaniste. Pas de projet éthique ni de projet normatif comme la théorie politique ou la sociologie issue de la pensée critique – je pense entre autres à l’École de Francfort et à la tradition marxiste – nous y a toujours accoutumés. Pas de leçon formelle ni de « solution de sortie de crise » ; et c’est précisément là que se trouvent à la fois l’humilité, la modestie et la responsabilité du philosophe nihiliste. Une déception, donc, qui nous vient et nous est projetée non pas seulement du coeur, mais des entrailles et de la lourdeur du vécu de l’auteur en communion avec la condition même de l’homme moderne (et universel ?) tiraillé ou, mieux encore, « rapaillé » pour reprendre les mots du poète Gaston Miron. C’est pour cela que l’auteur apparaît comme un philosophe et, à juste titre, il y a bel et bien, dans Contre l’espoir, ce que j’appellerais une philosophie « creuse-passion », quelque chose de viscéral et de chirurgical… sur le plan philosophique il va sans dire. Lawrence Olivier ne « tue » donc pas seulement l’espoir en ses principes, mais l’idéal de cet espoir présenté à travers les projets normatifs et éthiques qui ont visé la construction de l’homme moderne. Le projet du philosophe n’a rien de nietzschéen. Pas d’idéal de surhomme, ni de gai savoir ou de projet politique de reconstruction à la suite du désenchantement annoncé par Max Weber et repris …