Ce constat dressé par Robert Dahl dans une discussion sur la taille optimale de nos démocraties laisse entrevoir un des paradoxes qui traversent autant les savoirs que les représentations sur la ville. La ville comme organisation politique et espace social est en effet l’objet de préjugés persistants : symbole de la démocratie idéale, elle serait aussi la scène d’une vie politique facilement compréhensible en raison de la banalité des enjeux sociaux et politiques. La ville – certains préféreront parler de façon plus neutre du « local » pour également englober le village – offrirait de nombreuses occasions à ses résidants de participer aux affaires de la communauté ; mais, en contrepartie, ce pouvoir serait bien maigre, car la chose publique urbaine est loin d’avoir la même profondeur, la même « noblesse », serait-on tenté d’ajouter, que les problèmes traités par les échelons supérieurs. Objet de valorisation démocratique, la ville n’en demeure pas moins un espace politique plat. Cette croyance se retrouve à la fois dans la théorie des gouvernements locaux et dans la pensée populaire. À titre de premier exemple, on peut penser aux débats entourant les regroupements municipaux au Québec comme en Ontario. La démocratie locale a en effet souvent été invoquée pour refuser les fusions municipales en reprenant les termes du débat évoqué par Dahl sur la taille idéale de la démocratie. Dans cette optique, les municipalités doivent rester à « grandeur humaine », car la petitesse de la communauté assure un ensemble d’avantages. Outre les arguments plus économiques (efficacité des petites organisations, rempart contre la bureaucratie, saine compétition entre les municipalités), le débat sur la taille optimale laisse entendre que la démocratie idéale est celle qui se pratique à l’échelle microlocale. Cette croyance s’appuie sur un ensemble de présupposés, plus idéologiques qu’avérés. Comme l’esquisse L. Bherer dans son article dans ce numéro, la petitesse associée à la démocratie locale entraînerait un effacement des frontières entre gouvernants et gouvernés et, plus généralement, entre les membres d’une même communauté. L’absence de contraintes physiques comparables à celles des paliers supérieurs favoriserait en effet la proximité politique. Cela permettrait de décomplexifier la scène politique : autant les élus sont responsables en raison de la possibilité de connaître rapidement et facilement les besoins des citoyens, autant ces derniers se sentent concernés par les affaires de la communauté et savent comment influencer ou s’engager dans la vie politique. Les enjeux politiques sont relativement simples et le contexte communautaire marqué par une promiscuité politique particulièrement valorisée ajoute à la lisibilité des questions publiques. Espace de socialisation politique efficace, la démocratie locale serait en somme transparente, car elle offrirait un tableau clair de ses rouages politiques. Cette idéalisation de la démocratie locale demeure forte, dans les écrits scientifiques plus marqués, autant à gauche qu’à droite. À gauche, la ville est souvent perçue comme un lieu particulièrement propice à la démocratisation et au pouvoir populaire. C’est ainsi que des auteurs comme Benjamin Barber ou Iris Marion Young proposent de reconstruire la démocratie par le bas, en débutant là où elle semble le mieux enracinée, c’est-à-dire à l’échelle de la ville. À droite, la ville est plutôt vue comme le dernier rempart de l’autonomie locale, alors étroitement associée à la possibilité d’une « souveraineté individuelle » radicale (voir notamment les approches du choix public appliquées à la ville). Or, comme le rappelle Purcell, aucune échelle politique, et encore moins celle du local, n’est une entité objective, avec des caractéristiques préalablement définies. Ce sont avant tout des objets sociaux construits : « Par conséquent, toute stratégie d’échelle peut se traduire par un résultat indéterminé. La localisation peut mener …
La ville : laboratoire des enjeux démocratiques contemporains[Record]
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Laurence Bherer
Professeure au Département de science politique, Université de Montréal
laurence.bherer@umontreal.caLouise Quesnel
Département de sociale politique, Université Laval
louise.quesnel@pol.ulaval.ca