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Après une préface — faut-il l’admettre — aussi courte qu’insipide d’Alain Madelin (« ancien ministre » français), Bruno Munier nous prévient que « l’esprit humain a tendance à se méfier et [à] craindre ce qu’il ne comprend pas et doit pourtant subir ». Il se propose alors de nous enseigner les bienfaits de la mondialisation puisque, « victimes d’une fâcheuse tendance à ne distinguer que les désagréments que nous procure le changement, nous négligeons au passage les avantages que l’on en tire » (p. 9).

La première partie de l’ouvrage est ainsi consacrée aux principes et aux effets de la mondialisation libérale. B. Munier s’efforce de démontrer que « le libéralisme est un humanisme » (p. 11) qui s’oppose au fascisme comme au marxisme. Sa définition du libéralisme — pensée philosophique touchant aussi bien la politique, l’économie, le droit, la sociologie que la culture (p. 14) — l’amène à conclure que « les pauvres ont [...] tout à gagner de la libéralisation des échanges au marché mondial » (p. 18) s’ils adaptent leur production à la demande extérieure. Selon lui, cette adaptation est irrémédiable et ne laisse place à aucune alternative. Aller à l’encontre de la mondialisation, ne serait-ce qu’en restant passif face au phénomène, « serait aussi coupable que dangereux que de succomber aux prêches apocalyptiques ou aux dogmes démagogiques et populistes d’illuminés rêvant de stopper la dynamique mondiale » (p. 20). L’auteur insiste sur l’idée que cette adaptation est le fruit d’un choix vers la mondialisation, choix qui ne peut en aucun cas être source de pauvreté (p. 24).

L’ouvrage revient sur les origines de la mondialisation qui plonge ses racines dans la dynamique d’échange entre les communautés humaines, « concept vieux comme le monde » né de la sédentarisation de l’homme ayant conduit à la division du travail (p. 28-29). Ce ne sont donc que son intensité, son ampleur et sa vélocité qui font du processus de mondialisation actuelle son originalité (p. 31). L’échange est, selon B. Munier, source extraordinaire de progrès qui « participe ainsi à libérer les hommes de leurs entraves, concourant pleinement à véhiculer les idées de démocratie et de liberté, de respect des Droits de l’homme, et les Droits des femmes » (p. 36). Certes, les conditions de vie sont encore bien disparates aux quatre coins de la planète, mais il est indéniable que, de manière générale, elles se sont grandement améliorées grâce à la mondialisation (p. 37). L’accélération sans précédent des échanges repose en grande partie sur l’ordre international mis en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est cette institutionnalisation des relations internationales qui a permis la croissance économique sur laquelle s’appuie le développement pour lequel « la libéralisation des échanges constitue une condition nécessaire et absolue » (p. 40).

B. Munier s’applique alors à analyser les conditions et les perspectives du développement (chapitre 2). Il considère que la majorité des « altermondialistes » représente de « véritables et indéfectibles adversaires de la liberté, du marché, et de la démocratie telle que nous la concevons » (p. 46). Pour lui, « le propos et les analyses anti-mondialistes [reposent sur] mystifications, erreurs de raisonnement et tromperies » (p. 50). Si un milliard de personnes contrôlent 80 % du produit intérieur brut (PIB) mondial alors que un autre milliard lutte pour survivre avec moins de un dollar par jour, ce n’est pas tant la faute du capitalisme que de « leurs propres difficultés à intégrer le marché mondial pour s’inscrire dans la division internationale du travail, et investir par la suite dans le développement de leur économie » (p. 56). Il en conclut que « lutter contre le système commercial multilatéral est en réalité proprement irresponsable » (p. 57). En effet, la marginalisation du Sud est le résultat d’une mauvaise gouvernance envers l’ouverture économique et l’intégration au marché mondial qui sont les « éléments essentiels d’une stratégie de croissance » (p. 59), d’autant que l’argument d’un enrichissement ne bénéficiant qu’aux plus favorisés est manifestement erroné : « de l’échange naît le progrès, non seulement économique mais aussi social ! » (p. 68-69). Certes, la situation des pays les moins avancés (PMA) est préoccupante, surtout que « l’aide ne doit [...] en aucun cas servir au maintien de régimes qui nuisent à la croissance et au bien-être des populations » (p. 73). Mais le problème principal ne tient pas tant au manque de richesses des PMA qu’à la responsabilité de « gouvernements trop peu scrupuleux qui ne se soucient aucunement de l’intérêt général » (p. 77). Pour l’auteur, « la clef du problème, c’est la gouvernance ! » (p. 77). Cet état de fait est d’autant plus important que « désormais, ce sont les pays en développement qui tirent la croissance ».

Le troisième chapitre s’intéresse alors à la thématique du « lien indéfectible » (p. 114) entre « Gouvernance et développement ». Le développement dépend en effet largement de la « capacité d’une société à formuler les stratégies adéquates » (p. 91). Dans un contexte de mondialisation, le rôle de l’État moderne doit donc être largement revisité pour qu’il s’adapte à la compétitivité économique et tende vers la croissance (p. 93-97). La démocratie se présente alors indéniablement comme « le système le mieux adapté » et « l’État de droit s’impose donc comme une priorité absolue » (p. 100). Pour B. Munier, le chemin vers le développement consiste d’abord et avant tout à « doter l’État d’un cadre institutionnel cohérent, stable et efficace et d’un gouvernement déterminé à consacrer ses énergies au profit et au service de la Nation et de son économie » (p. 109). Le rôle de l’État est, dès lors, un subtil mélange d’interventionnisme et de repli que l’auteur résume en affirmant que « l’État ne doit être ni contraignant, ni passif ; il a la responsabilité d’assurer le développement équilibré de l’économie et, pour ce faire, il doit encourager et respecter l’investisseur, mais dans une perspective éclairée et raisonnable » (p. 121). On regrettera véritablement que, tout au long de l’ouvrage, l’auteur ne propose jamais de réformes concrètes pour arriver à une mise en oeuvre efficace de ce genre d’affirmations qui abondent dans son essai... Engager l’État sur la voie de la croissance au moyen d’une bonne gouvernance ne doit pas pour autant faire oublier les risques liés directement à une telle dynamique, par exemple le respect de l’environnement (p. 123).

Ce constat amène B. Munier à réfléchir sur les questions de « sécurité mondiale, éthique et responsabilité » dans un quatrième chapitre (p. 131). Selon lui, « passivité et désunion sont en fait les principales faiblesses de la démocratie dans le monde » (p. 136). Les ennemis du libéralisme ou « forces antisystémiques » — les altermondialistes et Al-Qaïda — sont tous présentés comme des « héritiers de l’idéologie marxiste-léniniste ». Ils constituent une seule menace « absolue et parfaitement insidieuse », complotant ensemble, comme à Paris en 2003, « alors que les “gentils” altermondialistes n’hésitaient pas à accueillir Tariq Ramadan, idéologue islamiste aux prêches extrémistes » (p. 141). Puisque le « super-terrorisme » représente la menace la plus grave contre les fondations économiques et politiques sur lesquelles reposent nos sociétés, les gouvernements démocratiques doivent réagir de manière coordonnée sur le plan systémique en n’écartant aucune option, « même les plus agressives » (p. 144). Le refus de certains alliés de participer à la dernière guerre en Iraq serait alors « une erreur stratégique encore plus grave » que l’unilatéralisme américain (p. 143). L’auteur insiste sur la nécessité de maintenir la stabilité et l’ordre du système international pour promouvoir le libéralisme. Cette nécessité rend alors « légitime toute stratégie qui voudrait aller dans ce sens » (p. 147) et, de ce fait, la guerre en Iraq. Paradoxalement, pour maintenir cet ordre international, « les affaires des autres [deviennent] aussi nos affaires » (p. 146), l’auteur préfère reformuler l’épineuse problématique de l’ingérence dans les affaires intérieures d’autrui — pilier du système onusien d’après-guerre — en posant la question suivante : « la mondialisation est-elle compatible avec l’indifférence ? » (p. 131). Puis, il glisse directement vers l’importance des ressources naturelles. On comprend alors mieux pourquoi on s’intéresse vraiment aux affaires des autres : « Si la démocratie et le marché sont intimement liés, l’accès aux matières premières stratégiques, sur lesquelles repose le fonctionnement du marché, doit logiquement constituer une priorité absolue » (p. 148). Pour l’auteur, le pétrole est le garant de la démocratie américaine, expliquant ainsi son omniprésence au coeur des préoccupations stratégiques de l’hyperpuissance (p. 149).

La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse davantage à la manière de régenter ce monde en pleine mutation en adaptant les institutions et les règles de fonctionnement. Au chapitre 5, B. Munier s’arrête sur les caractéristiques d’« un monde global ». Selon lui, « la réduction ou l’apaisement des antagonismes interétatiques ne présuppose pas [...] l’uniformisation des intérêts, des perspectives, ni des moyens » (p. 169), même si la mondialisation a engendré de profondes mutations des relations internationales tant sur le plan juridique qu’institutionnel. La période actuelle correspond à une période de transition caractérisée par l’émergence de nouveaux acteurs dont il faut tenir compte (organisations intergouvernementales, ONG [organisations non gouvernementales], multinationales) sans pour autant préfigurer la disparition de l’État, bien au contraire (p. 174). Reste que « l’intégration au marché et à la société mondiale (économiquement, sociologiquement et politiquement) constitue aujourd’hui la seule option crédible pour un pays, quel qu’il soit » (p. 177). La rapidité des bouleversements du système international et le manque d’expériences antérieures et de recul en la matière rendent difficiles toute prévision et anticipation des risques qu’ils pourraient engendrer. L’auteur s’attarde néanmoins sur le risque écologique et tente de démontrer, de manière bien peu convaincante, « un lien entre la défense de l’environnement, la croissance économique et le développement » (p. 183). Il parle de « dégâts collatéraux » du développement pour conclure qu’il « faut logiquement alors favoriser la croissance économique pour préserver l’environnement ; et pour ce faire, il n’est évidemment d’autre solution que d’encourager l’intégration des pays pauvres au marché mondial ! » (p. 184). B. Munier se propose alors de « repenser l’implication des acteurs au sein du système mondial » (p. 185). S’appuyant sur le Pacte mondial, il insiste sur la nécessaire « mutation profonde de l’organisation sur laquelle repose la société mondiale » (p. 187).

Le chapitre 6 se penche sur le renforcement de la démocratie participative et sur la modernisation de la gouvernance mondiale. Du fait de leur contribution sur les plans de la croissance et du développement, les entreprises transnationales doivent jouer un rôle renforcé en la matière, tout en cherchant « à mieux [se] responsabiliser pour canaliser plus avantageusement leur énergie au profit du développement et dans le respect des règles et des priorités localement établies » (p. 195). Si, historiquement, certains excès des multinationales ont logiquement pu être dénoncés, « les nouvelles contraintes qui s’imposent [à elles], du fait de l’action militante des ONG et des relais médiatiques, les forcent à adapter leur conduite et leur attitude, indépendamment de leur propre évolution en termes d’éthique » (p. 197). Les ONG, devenues elles aussi des acteurs incontournables de la mondialisation dont elles reflètent la dimension démocratique, doivent aussi participer à la modernisation de la gouvernance mondiale, qui « n’est pas une fin en soi, ni même un idéal, mais une exigence » (p. 213). La prise en compte de ces nouveaux joueurs sur la scène internationale — qui n’ont cependant pas de mandat représentatif — amène l’auteur à s’intéresser à la multidimensionnalité et à la complexité de la gouvernance mondiale (chapitre 7). La régionalisation, le multiplicité des intervenants, la perduration de l’État conduisent à une « stratification de la gouvernance » (p. 224) au sein de laquelle « il peut être difficile de travailler en commun, voire tout simplement de se comprendre » (p. 231). Mais, pour l’auteur, « l’inégalité est surtout la règle ! ». Il rappelle alors les principes de la théorie réaliste des relations internationales (poursuite de l’intérêt national défini en termes de puissance) qui lui apparaissent plus pertinents que jamais. Selon lui, « dans un tel univers, “l’unité” ou la cohésion ne peuvent véritablement s’affirmer que dans la nécessité ! Mais, on l’aura compris, cette dernière est au rendez-vous et tend à contraindre la communauté hétéroclite vers plus de cohérence » (p. 240). Si l’ordre mondial donne « parfois l’apparence d’une certaine confusion », l’enjeu est de « trouver un équilibre entre l’indispensable cohésion des forces qui composent le système, et le nécessaire respect d’une certaine pluralité » (p. 241). Des propositions concrètes de l’auteur se font alors attendre, mais le dernier chapitre, intitulé « Géopolitique de l’asymétrie », semble donner carte blanche aux Américains tant l’hégémonie de l’hyperpuissance au sein du système paraît incontestable et puisque « la mondialisation contribue à encourager l’influence américaine sur la marche du monde » (p. 259).

Tout au long de son ouvrage, B. Munier ne cache pas sa profonde conviction que la généralisation du libéralisme est la seule solution pour le salut de notre planète. On regrettera, cependant, qu’au fil des pages, ses connaissances presque encyclopédiques de la mondialisation libérale, des enjeux et des excès qui en découlent restent très théoriques. Avec des « si » et des « il faut », il est vrai qu’on peut refaire le monde. En critiquant de manière virulente les voix dissidentes de la mondialisation, l’auteur finit par donner l’impression d’un essai de propagande de la libéralisation et du capitalisme, auquel s’ajoute un style parfois pesant (nombreuses répétitions, termes soulignés, en gras ou en majuscules, nombreux points d’exclamation ou de suspension...). L’ensemble ne manquera pas de susciter chez certains lecteurs l’effet inverse de celui escompté.