Recensions

Politique de l’immortalité. Quatre entretiens avec Thomas Knoefel de Boris Groys, Paris, Maren Sell Éditeur, 2005, 219 p.[Record]

  • René Lemieux

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  • René Lemieux
    Université du Québec à Montréal

Traduction de quatre entretiens menés par le journaliste Thomas Knoefel, Politique de l’immortalité permet au public francophone de mieux connaître Boris Groys, professeur à la Staatliche Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe. Le titre du livre – qui est aussi celui du premier entretien – provient d’un thème omniprésent dans la pensée de B. Groys et qui lie l’ensemble des quatre entretiens. À cet égard, les trois autres entretiens viennent simplement compléter certains points insuffisamment abordés dans le premier et permettent au lecteur de se familiariser avec les principaux concepts et notions développés par l’auteur : la banalité, la nouveauté, la comparaison, l’étude du totalitarisme et de la déconstruction, le soupçon, ainsi de suite. Sous le vocable de « politique de l’immortalité », B. Groys définit l’action même de philosopher, ce qu’il résume à une quête pour la conservation de soi. Évidemment, il ne s’agit pas d’une immortalité ontologique – à travers l’esprit du monde ou la croyance en Dieu –, mais d’une immortalité littéraire, résultant de la reconnaissance par un public. Toute l’histoire de la philosophie ne se résume donc qu’à être un espace de conservation, ce que lui permet la spécificité de son langage : la philosophie pose des questions qui ne peuvent pas être résolues, elle est ainsi toujours requestionnée. Étant toujours déjà là, cet espace historique de la philosophie détermine en amont les contributions singulières qui lui sont faites. En effet, contrairement à ce que croit Pierre Bourdieu, le but du philosophe est non pas d’entrer en compétition avec les vivants, mais avec les morts. S’il n’est pas utile au philosophe de croire en ce qu’il dit, il lui faut toutefois bien choisir le « domaine céleste » (p. 27) – la tradition – dans lequel il veut s’insérer. Les autres philosophes de cette tradition y seront des meubles choisis pour leur utilité ou leur confort (p. 12). La nouveauté de la contribution du philosophe – absolument nécessaire, la répétition étant inacceptable – se résumera à la « consommation » des concepts tels qu’ils s’expriment dans les questions philosophiques et non, comme le croient Gilles Deleuze et Félix Guattari (p. 11), à une « production ». Savant dosage, cette insertion – en termes mathématiques – doit équivaloir à une « somme nulle » (p. 56). L’opposé de la politique de l’immortalité, c’est la banalité et, si la politique de l’immortalité est le propre de la compétition dans le domaine littéraire et philosophique, la banalité est ce qui caractérise aujourd’hui le domaine des médias (la culture de masse comme tautologie) et de la politique (toujours plus au « centre »). Cette banalité, pourtant, ce n’est pas l’absence de la différence – c’est-à-dire l’identité comme concept philosophique –, la banalité est ce qui se trouve entre les deux, c’est le moment de l’indistinction. Les prouesses des politiciens ou des publicistes aujourd’hui, dit B. Groys, c’est « d’inventer et de mettre au monde de telles banalités à la fois semblables et dissemblables » et, que de ceux qui votent ou qui achètent, la moitié doivent le faire parce que c’est nouveau, l’autre moitié parce que ça ne l’est pas, de sorte que, « au bout du compte tout le monde l’achète –, il faut vraiment être un génie » (p. 153). Si l’on choisit la politique de l’immortalité, on écrit donc en fonction des morts. Le résultat, les livres, sont des momies et les bibliothèques, leur chambre funéraire. Le deuxième entretien parle plus longuement de la notion d’archive, essentiellement pour comprendre le fonctionnement de la politique de l’immortalité. Si celle-ci nécessite une comparaison continue entre les contributions …