Abstracts
Résumé
Cet article propose de faire un retour critique sur la façon dont certains courants de gauche interprétaient et intégraient les apports théoriques du féminisme après une décennie de luttes politiques portées par le mouvement des femmes à la fin des années 1970 et le début des années 1980. L’étude porte sur la gauche plurielle, celle qui a été la plus susceptible de comprendre et d’accueillir positivement les revendications féministes à l’intérieur d’une plateforme politique élargie. La revue alternative le Temps fou (TF) (1978-1983) a été choisie pour réaliser cette analyse, en raison de la place que celle-ci a occupée au sein de la presse alternative au Québec durant cette période. Cette revue avait fait du féminisme un enjeu important dans le renouvellement du discours de la gauche au Québec. Deux articles du TF sont particulièrement étudiés. Le premier texte souligne les difficultés qu’éprouve la gauche à saisir la portée réelle des transformations proposées par le mouvement des femmes, alors que le deuxième met l’accent sur le contexte d’intégration des apports théoriques féministes au centre du projet discursif d’un mouvement social.
Abstract
This article proposes a critical review of the ways in which some trends within the left interpreted and integrated theoretical issues brought by the women’s movement after a decade of feminist political struggle at the end of the seventies and the beginning of the eighties. The study concerns the pluralist left which was the most susceptible to understand and to accept positively feminist demands within an enlarged political platform. The alternative journal Temps fou (TF) (1978-1983) was chosen for the place it occupied within the alternative and progressive press in Québec during that period. This journal considered that feminism represented an important challenge for the renewal of the left’s political discourse in Québec. Two articles are analysed. The first one exemplifies the difficulty for the left to understand the real meaning of social transformations requested by the women’s movement. On the contrary, the second article underlines the context within which a social movement integrates feminist theoretical issues within its core discourse.
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Appendices
Note biographique
Jacinthe Michaud est professeure agrégée à l’École d’études des femmes / School of Women’s Studies de l’Université York. En 2005, elle a publié l’ouvrage Conscience subalterne, conscience identitaire : la voix des femmes assistées au sein des organisations féministes et communautaires, aux Presses de l’Université d’Ottawa. Elle travaille présentement à un projet d’analyse comparative entre les mouvements féministes québécois et italien dans le contexte de leurs rapports avec la gauche parlementaire et extraparlementaire durant les années 1970 et 1980.
Notes
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[1]
Cet article a été rendu possible grâce au soutien financier du Glendon College de l’Université York. L’auteure tient à remercier les évaluateurs anonymes de leurs commentaires qui ont contribué à l’amélioration de l’article.
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[2]
Nous avons laissé de côté la deuxième période de parution du TF (1995-1997). Durant ces deux années, la revue a publié 24 numéros sous un format beaucoup plus grand, mais avec un nombre moindre de pages.
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[3]
Dans cet article, on peut lire par exemple que 40 % des revenus d’une fête-bénéfice sont allés à La vie en rose et que 75 % d’une subvention de 44 100 $ ont assuré le salaire de quatre personnes pendant un an (un salaire pour LVR et trois pour le TF).
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[4]
Même un sujet comme la santé a été abordé sans référence à l’important mouvement des femmes (Minaudo et Couturier, 1979-1980).
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[5]
Les journalistes en question sont Serge Martel, fondateur de l’APLQ, Christian Lamontagne et Louise Vandelac.
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[6]
La lettre que Francis Simard (1978) avait fait paraître dans les pages de la revue est assez révélatrice de cette nouvelle forme de subjectivité affichée par des militants politiques de gauche.
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[7]
Voir également cet autre article de Véronique Dassas (1982) qui est en fait le compte rendu d’un dîner-causerie mettant en scène trois femmes journalistes au TF et dans lequel elles partagent leur malaise vis-à-vis de ce qu’elles identifient comme le féminisme ambiant au Québec. D’abord présenté comme une simple discussion d’un soir, ce dîner privé/public a suscité des réactions tant positives que négatives, dont certaines ont été publiées dans le numéro suivant.
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[8]
Pour un aperçu de commentaires quelque peu négatifs sur la défense de l’autonomie au sein des groupes de femmes, voir l’article écrit dans le contexte de la formation d’une coalition socialiste au Québec, signé S, J.-R. (1981 : 5-7).
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[9]
LVR a adopté un tout autre ton que celui du TF en 1978. À sa sortie, LVR décrivait un mouvement féministe moderne qui ne vivait pas de crise. Voir en particulier la page-annonce de l’arrivée de LVR dans le TF de mars 1980, rédigée par Sylvie Dupont et al. (1979-1980), l’éditorial du premier numéro de LVR, ainsi que l’article que Martine D’Amours publié dans la Gazette des femmes (1988) faisant le bilan des années de la revue la plus lue des féministes québécoises.
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[10]
Il s’agit d’Yves Baron, respectivement auteur et coauteur de Croissance et Crise (1979) et de Les travailleurs face au capitalisme (1976).
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[11]
Dans cet article, John Lippert fait le récit des luttes ouvrières dans une usine de montage automobile. Un article typiquement marxiste qui présente l’avant-garde ouvrière comme moteur de l’histoire, mais qui ignore les ouvrières… même si l’on apprend que les « ouvriers tricotent » entre les voitures sur la chaîne de montage !
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[12]
Pour un exemple d’absence de références au mouvement des femmes en santé, voir Vito Minaudo et Jacques Couturier (1979-1980) et, pour un exemple d’analyse non sexiste, mais qui ne fait pas appel à la théorisation féministe contemporaine, voir Véronique Dassas et Louise Savard (1980) ainsi que Jean-Robert Sansfaçon (1980).
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[13]
La liste de ces thèmes que nous rapportons ici peut sembler assez longue, mais elle n’est nullement exhaustive : la gauche marxiste-léniniste, le socialisme, le syndicalisme, le mouvement coopératif, le travail, le chômage, les prisonniers politiques, les prisons, la répression policière, les mouvements politiques d’ici et d’ailleurs, le spirituel et le religieux, l’aménagement urbain, le mouvement coopératif, les formes d’écologie, la technologie, le développement économique et social, la santé, l’école.
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[14]
Lamontagne fait la revue des principales manifestations des années agitées de la fin des années 1960. La première manifestation des femmes, qui a eu lieu en décembre 1969 contre le règlement municipal répressif de l’administration Drapeau, n’y est pas mentionnée. Elle avait été durement réprimée par les forces policières et 150 militantes avaient été arrêtées. Il faudra attendre l’article de Marc Raboy (1981), deux ans plus tard, pour apprendre que, le même jour, des militants anglophones avaient protesté contre le même règlement municipal sans être inquiétés, contrairement au sort qui avait été réservé à la manifestation des femmes.
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[15]
Voici quelques exemples de propos négatifs sur le mouvement des femmes : « [l]es difficultés qu’éprouve le mouvement féministe à se donner une dimension politique » (TF/CL, 1980 : 8) ; « mouvement touffu qui va dans toutes les directions dont la force n’est pas dans la mobilisation mais dans sa capacité de toucher des segments larges de la population » (Sansfaçon, 1982 : 27).
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[16]
Wilson et Rény font le récit des répressions policières comme celle de Stonewall, ce bar de New York qui fut à l’origine de mouvement de politisation des homosexuels en Amérique du Nord, et aussi celle du bar Trux à Montréal, où une soixantaine de policiers avaient effectué plusieurs arrestations en 1977. Un fonds de défense juridique avait alors été constitué pour la défense des homosexuels accusés.
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[17]
L’ouvrage de Nancy Guberman et al. (2004) donne un bon aperçu d’une analyse adoptant ouvertement l’approche du féminisme libéral appliqué aux pratiques démocratiques dans les groupes de femmes du Québec.
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