Recensions

Sous la dir. de Blaise Bachofen, Le libéralisme au miroir du droit. L’État, la personne, la propriété, Lyon, ENS Éditions, 2008, 241 p.[Record]

  • Sylvie Goupil

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La thèse centrale de cet ouvrage pose le libéralisme comme objet philosophique. Il s’agit d’un projet qui ne va pas de soi selon Blaise Bachofen qui, dans l’introduction, note que c’est d’abord dans un contexte politique et polémique que le terme voit le jour au sein des parlements européens. L’ouvrage s’articule autour d’une construction conceptuelle établissant un parallèle entre libéralisme et normativité juridique. Le libéralisme est ainsi décliné en trois dimensions (p. 16) : celle de l’État, comme producteur « de normes collectives et contraignantes », celle de la personne, comme « objet d’investigation », et celle de la propriété, qui représente une jonction entre les deux autres dimensions quant à ce qui est propre à la personne et quant à la jouissance de la « liberté dans l’État ». Les trois dimensions constituent la toile de fond qui relie les textes de l’ouvrage de façon transversale, constituant un cadre d’analyse dynamique ponctué par les questions pratiques auxquelles les penseurs libéraux ont tenté de répondre au cours de l’histoire ainsi que des débats entourant leurs propositions de réponses. Le libéralisme se serait donc « construit sur un mode stratégique et dialectique plutôt que sur un mode académique et didactique » (p. 14). Les réflexions sur l’oeuvre de John Locke, figure paradigmatique du libéralisme, donnent le ton aux premiers textes de l’ouvrage. Michaël Biziou présente le libéralisme de Locke comme une « politique du jugement » qui met en perspective la confrontation de la personne à « l’exercice individuel et l’exercice en commun du jugement », notamment en ce qui concerne le droit de résistance (p. 31). S’y affiche le pragmatisme de Locke qui, tout en s’inscrivant dans l’optique de la raison et de la science, de portée universaliste, reconnaît que, face aux situations concrètes, le recours au jugement est nécessaire, ce dernier n’offrant toutefois que des probabilités et non des certitudes. Le pragmatisme de Locke semble toutefois bien modéré face à l’utilitarisme de David Hume. Dans son texte, Claude Gautier reprend la question du droit de résistance chez Locke en la mettant en perspective avec la position de Hume. Tous les deux partagent l’idée de la constitution de l’État comme étant une construction artificielle, mais le processus y conduisant ne serait pas le même. Locke en fait l’objet d’une décision rationnelle, celle par laquelle les individus mandatent leurs représentants, se réservant la possibilité de résister à leur autorité dans le cas où son exercice ne serait pas justifié. Le droit de résistance au pouvoir est conçu comme exercice de la volonté individuelle. Quant à Hume, il voit plutôt le lien qui unit individu et gouvernement comme relevant de l’habitude. L’exercice de l’autorité serait utile au vivre ensemble, permettant une sorte de régulation des passions et des affects. Le principe directeur étant celui de l’utilité, la résistance au pouvoir se produirait lorsque les individus estiment que « l’intérêt immédiat à entrer en rébellion est plus fort […] que l’intérêt général à obéir » (p. 72-73). La relation entre Locke et Hume est aussi abordée dans le texte d’Éléonore Le Jallé à propos de la propriété. La lecture qu’elle propose de la critique de Hume à l’égard de Locke indique un tournant par rapport à l’objet initial de l’ouvrage. D’autres textes viennent renforcer cette perception. Le libéralisme philosophique apparaît comme un axe autour duquel s’articule une réflexion plus large qui intègre d’autres courants constituant la pensée philosophico-politique moderne. La conception lockéenne de la propriété fait référence à une « prescription de la loi de nature selon laquelle chacun est tenu (et donc a le droit) de se préserver » (p. 79). Il …