Recensions

Augustin Simard, La loi désarmée : Carl Schmitt et la controverse légalité/légitimité sous Weimar, Québec, Presses de l’Université de Laval, coll. « Pensée allemandes et européenne », 2009, 435 p.[Record]

  • Louis-Philippe Vien

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La distinction entre légalité et légitimité nous est aujourd’hui familière et son usage est courant, tant dans le discours politique que scientifique. Lorsque nous évoquons la notion de la désobéissance civile légitime, quoique illégale, ou encore que nous dénonçons comme illégitime l’application d’un article de loi parce qu’il est jugé discriminatoire, la distinction entre légalité et légitimité nous apparaît alors comme un fait massif et évident. Or, dans un ouvrage issu de sa thèse doctorale soutenue en 2005 à l’École des hautes études en sciences sociales, ce que rappelle Augustin Simard, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de Montréal et chercheur affilié au Centre canadien d’études allemandes et européennes, c’est que la distinction entre la légalité et la légitimité est intimement liée au devenir d’un mode particulier d’organisation du politique, à savoir le constitutionnalisme moderne. L’évolution de cette dichotomie conceptuelle n’est donc pas qu’un élément à l’intérieur de l’histoire de l’État constitutionnel ; « la trajectoire suivie par le couple légalité/légitimité [se révèle] structurante pour toute cette histoire, [elle] en a commandé certains des développements les plus décisifs, et [elle] continue aujourd’hui à la faire » (p. 12). Augustin Simard s’affaire à dégager un moment particulièrement significatif dans la mise en place de ce couple conceptuel, tel qu’il se présente actuellement à notre compréhension du politique. Il s’agit donc, et de l’opinion même de l’auteur, d’une généalogie de ces concepts politiques. Une généalogie, disons-nous, et donc nullement une histoire des régimes politiques et encore moins celle d’institutions concrètes particulières. Car ce qui fait la nature politique d’un concept, comme celui du couple légalité/légitimité, n’est pas le fait qu’il soit mis au service d’un objectif dit politique ou encore qu’il s’applique à un objet politique, mais bien plutôt que sa signification devienne elle-même l’enjeu d’un conflit. Or, c’est précisément cette nature polémique, parce que politique, des concepts de légalité et de légitimité du temps de la république de Weimar qu’Augustin Simard se propose de mettre à jour. À travers la réception et les transformations de l’oeuvre de Max Weber, de sa sociologie de la domination tout particulièrement, par Carl Schmitt en un premier temps, puis par Otto Kirchheimer, il nous propose une lecture du conflit et de l’évolution de ces deux concepts, de leurs trajectoires ainsi que leurs formulations les plus significatives. Aux yeux du Kronjurist Schmitt, ce qui fait l’intérêt de la sociologie wébérienne, c’est avant tout le concept de légitimité formelle qu’elle met de l’avant. À la conception jusqu’alors dominante de la légitimité comme « droit de gouverner », Weber propose une compréhension du concept qui cherche à décrire les propriétés structurelles du pouvoir plutôt qu’à le justifier. Chez Weber, le concept de légitimité n’est formulé ni en termes fonctionnels de motivation ni en termes philosophico-normatifs de justification : « Il désigne uniquement un principe taxinomique permettant de construire une typologie des formes de domination en fonction d’une présentation articulée de l’autorité et de ses effets quant au fonctionnement de la ‘direction administrative’. » (p. 400) L’oeuvre de Schmitt entre 1919 et 1933, nous dit Simard, doit être comprise comme une « déformation contrôlée » du concept de légitimité wébérienne. Tout en conservant le niveau d’analyse proposé par Weber, celui de la direction administrative et des dispositifs concrets assurant le fonctionnement d’un groupement de domination, Schmitt s’oppose in extenso au formalisme de la définition wébérienne et à la conception d’une légitimité « neutre » qu’elle entraîne. La cible de Schmitt est ici le positivisme juridique wébérien qui fait du droit une activité autoréférentielle productrice de normes, mais incapable de prendre en compte, parce que non juridique, …