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Les luttes qui perdurent, depuis plusieurs années, au sujet de la proposition 8 en Californie ne sont pas sans rappeler le conservatisme d’une frange de la population américaine face à la symbolique du mariage et de ses pratiques. Néanmoins, l’annonce de l’appui de l’actuel président des États-Unis, Barack Obama, au mariage gai a fait naître à nouveau, au moins de manière conjoncturelle, le débat public sur cet enjeu spécifique. À l’aube des élections présidentielles américaines où les enjeux liés à l’homosexualité auront une place notoire d’ici novembre 2012, il est intéressant de comprendre, dans une perspective transnationale, le processus de reconnaissance légale des unions de même sexe. C’est ce que propose l’ouvrage Revendiquer le « mariage gai » : Belgique, France, Espagne du chercheur David Paternotte. Cet auteur nous transporte sur le continent européen d’où il fait l’examen de l’émergence des revendications qui touchent le mariage gai jusqu’à la reconnaissance juridique de la légitimité de ces unions dans trois pays distincts : la Belgique, la France et l’Espagne. S’intéressant particulièrement au rôle des acteurs qui ont porté la lutte pour le droit au mariage des couples homosexuels, Paternotte s’interroge sur les convergences qui existent entre ces trois pays au niveau de la militance gaie et lesbienne. En effet, comme il est souligné en quatrième de couverture, « les militants belges, espagnols et français ont commencé à revendiquer le droit au mariage au même moment (1996-1997) et à l’aide des mêmes arguments ». Néanmoins, dépassant le seuil de l’analyse comparative entre les trois pays, l’auteur propose plutôt une étude transnationale qui considère les luttes non comme étant uniquement stato-nationales, mais bien comme ayant été influencées par le contexte et les confrontations sur la scène internationale. Par conséquent, l’ouvrage est divisé en trois parties distinctes.

En premier lieu, Paternotte fait état de la transformation discursive qui a traversé le mouvement social, luttant d’abord pour une reconnaissance juridique des couples de même sexe, puis pour une égalité avec les mariages civils hétérosexuels. Avec les transformations revendicatives, les militants et les militantes des trois pays ont eu à redéfinir le mariage et à repenser les cadres de l’institution familiale. Ce faisant, ceux-ci se sont appuyés sur les notions d’égalité citoyenne et de liberté de choix. L’auteur reflète, dans ce premier chapitre, les outils juridiques, politiques et discursifs avec lesquels le mouvement homosexuel a entrepris de lutter. Par ailleurs, comme il le démontre, il y a des spécificités nationales importantes à prendre en compte malgré les convergences.

En deuxième lieu, Paternotte met en exergue les contextes nationaux et les conjonctures politiques qui ont influencé la teneur des revendications en Belgique, en Espagne et en France. Par exemple, il démontre comment, en Belgique, deux histoires revendicatives (francophone et flamande) ont vu le jour au niveau régional alors que la demande concernait le palier de pouvoir fédéral. Il fait également état de la quasi-absence de contestations politiques et du peu d’espace médiatique qu’ont pris les débats en comparaison aux autres pays à l’étude. En Espagne, le chercheur souligne l’influence incontestable du contexte politique propre à ce pays sur la nature des demandes. En effet, l’attachement à la démocratie à la sortie d’une dictature a favorisé le discours de l’Église catholique contre le mariage gai dans une logique de continuité avec les années répressives de la dictature. Cela a ainsi consolidé le lien dans l’imaginaire collectif entre la démocratisation, la modernisation et l’acceptation des différences citoyennes. En ce sens, bien que certains partis politiques se soient opposés au mariage entre gens de même sexe, les militants et les militantes du mouvement espagnol ont trouvé écho à leurs demandes dans un contexte politique spécifique. En France, alors que l’homosexualité était une subculture affirmée et connue de la population, le SIDA a transformé le visage du mouvement homosexuel chez les hommes homosexuels plus que chez les lesbiennes. Ainsi, à l’ère de l’intellectualisation des sexualités, dont Michel Foucault marqua le paysage, les revendications se sont transformées, passant d’une reconnaissance des unions homosexuelles au mariage. Par ailleurs, il est intéressant de noter dans la mise en lumière des spécificités historiques le rôle notoire que Paternotte donne aux acteurs. En effet, l’importance accordée à des causes juridiques spécifiques montre l’influence des acteurs sur l’avancement des revendications qui concernent le mariage gai et la reconnaissance légale des unions de même sexe.

En troisième lieu, Paternotte s’intéresse à la dynamique internationale et transnationale de ces revendications et s’interroge notamment sur l’influence de l’européanisation. Il démontre comment le contexte international et les revendications mises de l’avant dans d’autres pays ont pu permettre l’avancement de certaines luttes au niveau national. Néanmoins, il souligne que la Belgique, l’Espagne et la France demeurent des pays pionniers en ce qui concerne le mariage homosexuel. Ainsi, si la mise à l’agenda de la non-discrimination des homosexuels dans les instances internationales est désormais bien vue au niveau politique, il reste que les mouvements sociaux des trois pays à l’étude ont exigé plus que la non-discrimination en luttant pour la légalisation du mariage.

Par ailleurs, si le travail de recherche révèle le sérieux incontestable de cet ouvrage, l’utilisation que fait Paternotte du concept de « triangle de velours » élaboré par Allison Woodward mérite d’être soulignée. En se basant sur ce concept issu du gender mainstreaming que l’on retrouve au sein des études sur les politiques publiques, Paternotte réussit à créer des liens entre des acteurs de différentes provenances. De plus, en mettant en lumière l’importance des réseaux et les ponts qui existent entre les experts, les militants et les politiciens, il nous incite grandement à changer notre perspective face aux mouvements sociaux. Ainsi, c’est le décloisonnement de notre compréhension du rôle unique d’un acteur que l’auteur propose. Si l’ouvrage fait état uniquement de la question du mariage gai, il est aisé de croire que cette perspective nouvelle, largement inspirée des théories critiques, s’applique à de nombreux autres cas. Enfin, le dépassement d’une étude comparative stato-nationale pour mieux saisir les dynamiques transnationales et internationales marque l’originalité de cet ouvrage et mérite également d’être souligné.