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Dans son ouvrage intitulé Les gouvernements minoritaires au Canada et au Québec, Pier-Luc Migneault vise à comprendre un phénomène encore peu étudié au Canada. En effet, malgré treize gouvernements minoritaires au niveau fédéral canadien et une trentaine dans les provinces, seuls quelques chercheurs se sont intéressés à ce phénomène. L’auteur cherche alors à combler cette lacune pour comprendre si les gouvernements minoritaires au Canada occasionnent une situation où le Parlement se retrouve dans « l’incapacité de conduire sa fonction législative » (p. 20). Il argumente que, au contraire, « les gouvernements minoritaires ne sont pas nécessairement synonymes d’inefficacité » (p. 25). Pour tester cette hypothèse, l’ouvrage se divise en trois parties. La première cherche à définir les concepts et à revoir l’historique des gouvernements minoritaires canadiens ; la deuxième entame une démonstration empirique de type quantitatif et cherche à comparer les gouvernements majoritaires et minoritaires ; finalement, la dernière fait office de réflexion quant aux implications des résultats de ces comparaisons statistiques.

Dans le premier chapitre de l’ouvrage, Migneault explore en profondeur la littérature sur le parlementarisme canadien. Il relève que celle-ci est très mince au sujet des gouvernements minoritaires. En effet, si l’idée de l’efficacité des gouvernements minoritaires semble présente dans la littérature, la démonstration empirique laisse à désirer. Cela est peut-être dû au fait que ces gouvernements sont souvent vus comme des anomalies dans l’histoire canadienne. L’auteur entreprend alors de définir l’efficacité du Parlement en situation de gouvernement minoritaire comme « sa capacité à fonctionner, à être pratiquement tout aussi opérationnel qu’un Parlement en situation majoritaire » (p. 23).

Le deuxième chapitre, au ton plus historique, fait pour sa part une analyse exploratoire des différents gouvernements minoritaires au Canada, particulièrement ceux au niveau fédéral. Migneault y revisite chacun des treize gouvernements minoritaires fédéraux, du gouvernement de Mackenzie King de 1921 au gouvernement de Stephen Harper de 2008. L’auteur élabore plusieurs tableaux descriptifs, relevant des statistiques intéressantes. Il observe entre autres le fait impressionnant que, sur douze gouvernements minoritaires au Canada (excluant la période 2008-2011), « six ont pris fin à l’initiative du gouvernement » en place (p. 54).

La démonstration empirique s’effectue aux troisième et quatrième chapitres. L’auteur amorce le chapitre trois avec une comparaison statistique entre les gouvernements minoritaires canadiens et les gouvernements majoritaires, en s’appuyant sur neuf indicateurs. Alors que certains indicateurs sont de nature plus subjective, comme l’importance des projets adoptés, d’autres sont plus factuels, comme le nombre de projets de loi initiés par le gouvernement qui sont adoptés, ou encore le délai entre l’ouverture du Parlement et le premier budget. S’appuyant sur ces indicateurs, Migneault cherche à comparer les gouvernements minoritaires aux gouvernements majoritaires. Il constate que la différence ne semble pas significative et donc que les gouvernements minoritaires au Canada, contrairement aux croyances, fonctionnent plutôt bien.

Le quatrième chapitre se concentre sur le Québec et ses deux seuls gouvernements minoritaires. Après avoir fait un bref rappel historique du gouvernement dirigé par Henry-Gustave Joly de Lotbinière, l’auteur effectue une analyse statistique détaillée, semblable à celle du chapitre trois, du gouvernement minoritaire de Jean Charest en 2007. Plus précisément, il compare ce gouvernement aux deux précédents (tous majoritaires) à l’aide de cinq indicateurs quantitatifs, dont le rythme d’adoption des projets de loi ou encore le temps de travail à l’Assemblée nationale. Encore une fois, Migneault détermine qu’il n’y a pas de différences majeures entre les gouvernements minoritaires et majoritaires.

Finalement, le dernier chapitre et la conclusion rappellent les points importants de l’étude et en font une analyse, quoique limitée. L’ouvrage montre bien que les gouvernements minoritaires ont longtemps été mal perçus par la classe politique canadienne. Et si l’efficacité législative ne semble pas si diminuée en contexte de gouvernement minoritaire, il faut tout de même convenir que leur stabilité s’en trouve affectée. En effet, la recherche fait la démonstration que ces gouvernements ont une durée moyenne de 22 mois, contre 48 mois pour les gouvernements majoritaires. Mais les politiciens en souffrent-ils pour autant ? Après tout, comme le mentionne l’auteur, « la moitié des douze gouvernements minoritaires ont été réélus à la suite d’élections générales » (p. 108).

En somme, l’ouvrage traite d’un élément important du système parlementaire canadien qui est trop souvent passé sous silence. Toutefois, la démonstration empirique employée par l’auteur souffre de quelques problèmes de méthode. Plus précisément, il est possible de douter de la validité de certains indicateurs. Par exemple, si les gouvernements minoritaires arrivent bel et bien à faire adopter des projets de loi ambitieux, il est nécessaire de vérifier si ceux-ci ont été amplement modifiés par l’opposition. L’autre problème fait appel à la notion de contrôle. En effet, un des indicateurs est le pourcentage de projets de loi amendés par le Sénat. Migneault omet toutefois de créer une variable contrôle pour les Sénats monopolisés par l’opposition, ce qui aurait permis d’éviter une interprétation faussée des données. Finalement, l’utilisation simple de la moyenne comme instrument de comparaison aussi peut parfois fausser les résultats. Certains indicateurs, comme le rythme d’adoption des résultats, comportent une trop grande dispersion de ceux-ci. D’autres mesures, comme la variance ou l’écart-type, auraient dû être prises en compte.

Malgré tout, l’auteur a très bien documenté ses cas, qu’il détaille au chapitre 2, le mieux réussi de l’ouvrage. Ces passages permettent de bien contextualiser les résultats, en plus de fournir une meilleure compréhension d’un sujet mal documenté dans la littérature. En somme, dans le contexte électoral actuel, Les gouvernements minoritaires au Canada et au Québec saura plaire aux individus qui veulent en apprendre davantage sur ce type de gouvernement et ses implications sur le bon fonctionnement du parlementarisme.