Recensions

La mutation stratégique du Japon, 1945-2010. Succès et mérites de l’approche adaptative, de Dominic Roy, Québec, Les Presses de l’Université de Laval, 2010, 224 p.[Record]

  • Olivier Mbabia

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Si l’Asie est omniprésente dans l’actualité internationale des dix dernières années, c’est surtout la Chine et l’Inde qui sont l’objet d’une attention particulière. Le Japon semble être relégué aux oubliettes alors même qu’il est situé dans une région du monde où la probabilité d’une guerre de type conventionnel est loin d’être nulle. D’une pertinence et d’une actualité indiscutables, l’ouvrage de Dominic Roy a le mérite de nous rappeler le cheminement des options stratégiques de l’archipel au cours de la seconde moitié du vingtième siècle et de la première décennie du vingt et unième. L’option d’une approche de longue durée permet à l’auteur, en bon historien qu’il est, de rendre compte de l’adaptation gradualiste ou des « changements dans la continuité » de la mutation stratégique japonaise. D’entrée, l’auteur pose clairement la base de son argumentation, qu’il tient à démarquer à la fois de l’approche dite « statique » selon laquelle le Japon refuse de s’engager sur la voie du réarmement et de la perspective de la rupture drastique selon laquelle le Japon aurait depuis une vingtaine d’années renoué avec le militarisme d’antan. Pour Roy, au contraire, « Tokyo a fait preuve d’une grande capacité d’adaptation lente et progressive car aucune rupture n’est apparente en rapport avec les ‘traditions’ ou les pratiques passées » (p. 2). Exprimé autrement, la stratégie de défense adoptée par le Japon a été le fruit d’une adéquation entre les contraintes domestiques (normatives et de l’opinion) et la conjoncture stratégique internationale. Cette évolution stratégique graduelle est perceptible à travers le découpage historique qu’opère l’auteur : on passe en effet d’une « indépendance subordonnée » de 1952 à 1990 (chap. 2) à une période d’« autonomie, bilatéralisme et internationalisme » de 1990 à 2001 (chap. 4) et enfin à la « guerre globale contre le terrorisme » dans la période post-11 septembre (chap. 5). Acteur incontournable de la politique de défense japonaise, les États-Unis ont pesé de tout leur poids pour contrecarrer les velléités belliqueuses de certains voisins de l’archipel. L’allié américain a également essayé d’influencer les décisions prises par les autorités japonaises en matière de stratégie et de défense. De fait, si l’alliance nippo-américaine a survécu aussi longtemps, les choses ont été plus tumultueuses qu’il n’y paraît d’emblée, notamment du fait des pressions américaines et des résistances japonaises. La méfiance américaine pendant la période d’occupation des années 1940 a laissé la place à des menaces tacites et explicites, voire à du marchandage. Par exemple, les États-Unis redoutent que le Japon ne se rapproche de la Chine au début des années 1950 : « Pour forcer la main aux décideurs japonais, [John Foster] Dulles se rend à Tokyo en décembre 1951, accompagné de deux influents sénateurs (John Sparkman et H. Alexander Smith) avec pour message la menace claire que le Sénat aurait beaucoup de difficultés à ratifier le TPSF [Traité de paix de San Francisco] si Tokyo ne prend pas un engagement ferme à ne pas commercer avec la Chine de Mao » (p. 96). Aussi, devant la réticence japonaise à s’engager activement dans la première guerre du Golfe, le président américain George H.W. Bush menace-t-il « de voir se développer aux États-Unis et surtout parmi les Congressistes un sentiment anti-japonais en réaction à l’inaction de Tokyo » (p .117). L’attitude des dirigeants américains flirte parfois avec le chantage : Il convient de souligner que l’insistance américaine résultait parfois de la différence de perception qui existait entre les deux alliés, différence que les équipes dirigeantes japonaises n’ont eue de cesse de rappeler. L’attitude japonaise n’a par conséquent pas été celle d’un suivisme béat ; a contrario, l’évolution …