Recensions

Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec, de Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, Montréal, Québec Amérique, 2012, 171 p.[Record]

  • Sébastien Rioux

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Selon Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, on assiste depuis 2007-2008 « à la renaissance d’un nationalisme conservateur qui, au nom d’un passé mythifié et d’une nation surplombante et divinisée, souhaite liquider l’héritage des multiples luttes pour la liberté, l’égalité et la solidarité qui ont traversé le Québec » (p. 160-161). Opérant dans l’ombre du nationalisme pluraliste depuis la défaite du référendum de 1995, cette mouvance intellectuelle enracinée dans le vieux nationalisme canadien-français a connu un regain dans la foulée de la crise des accommodements raisonnables en 2007. Les auteurs identifient « le passéisme, la critique conservatrice de la modernité, l’épistémologie idéaliste, l’oubli ou le rejet de l’apport des sciences sociales et l’euphémisation de leur conservatisme » (p. 12) comme traits distinctifs du nationalisme conservateur. Le livre analyse en autant de chapitres la pensée de six des principaux intervenants de cette mouvance. Une courte introduction définit les termes du débat et une étude sociologique sommaire des structures du réseau intellectuel propre à cette mouvance fait office de conclusion. Le premier chapitre est consacré à Joseph Yvon Thériault selon qui « le sens d’une société, l’intention qui l’anime, réside dans la mémoire d’une tradition qui résiste à la modernité » (p. 17). La nation québécoise issue de la Révolution tranquille, en tant que société civile moderne aux revendications plurielles, n’aurait donc ni sens ni direction. Cette intention elle doit la puiser aux sources de la nation canadienne-française, dont Lord Durham fut le premier lecteur lucide. Selon les auteurs, Thériault préfère le nationalisme culturel d’une nation canadienne-française catholique repliée sur elle-même au nationalisme politique des Patriotes centré sur une conception civique et territoriale de la nation. Condamnant la Révolution tranquille pour cet oubli de sens, Thériault oublie à son tour de prendre la mesure sociologique des institutions et des avancées sociales, culturelles, politiques et économiques de celle-ci. De plus, Thériault refuse de discerner entre ce qui est récupérable et ce qui est irrécupérable dans la tradition canadienne-française. Enfin, en privilégiant le récit à l’histoire, il favorise une lecture de la nation canadienne-française telle que promue par les élites. Chez Jacques Beauchemin (chap. 2), il n’y aurait pas de projet national inclusif car « son analyse se développe comme si ces communautés [Anglo-Québécois, nations autochtones, immigrants] n’existaient pas ou, plus exactement, comme si leur inexistence était préférable » (p. 41). Piotte et Couture soutiennent par ailleurs que Beauchemin fait fausse route en prétendant que les luttes entourant les libertés individuelles sont fragmentaires plutôt que contestataires de pratiques discriminatoires. Au contraire, ces derniers soulignent que c’est l’extension du marché qui détruit les institutions traditionnelles et qui opère une distinction fondamentale entre communauté et société, transformant par le fait même la hiérarchie et l’idéologie des sociétés traditionnelles. Beauchemin ne voit donc pas que c’est sa propre conception de la nation qui est fragmentaire et non les luttes identitaires qui cherchent à accéder aux valeurs universelles de liberté et d’égalité. Historien de la « nouvelle sensibilité » historique, Éric Bédard, le sujet du troisième chapitre, soutient une vision empiriste de la discipline qui se méfie de l’influence des sciences sociales et repousse toute interprétation explicative de l’histoire. Pour Piotte et Couture, la position épistémologique de Bédard est contradictoire. D’une part, l’accent mis sur le récit des grands personnages est déjà une lecture structurée qui mine les revendications empiristes et descriptives de l’auteur. D’autre part, la conception à géométrie variable de l’histoire chez Bédard trahit une idéologie conservatrice. Aussi juge-t-il des réformistes selon leurs intentions alors qu’il condamne la Révolution tranquille selon ses résultats. Or, demandent les auteurs, « Comment peut-il, sans totale incohérence, condamner cette Révolution en …