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Vincent Lemieux soutient dans Les partis générationnels au Québec que le Parti libéral du Québec – qui a été au pouvoir pour la majorité de la première moitié du XXe siècle –, l’Union nationale et le Parti québécois seraient des partis générationnels. C’est une thèse que l’auteur avait déjà présentée dans un article en 1986 et qui est reproduite intégralement en annexe. Le livre se veut ainsi un développement de cet article sur une centaine de pages. Dans les prochaines lignes, après avoir présenté les différents critères de la grille d’analyse établie par l’auteur pour définir ce qu’est un parti générationnel, nous passerons rapidement en revue les différents chapitres du livre pour aborder ensuite certaines difficultés que rencontre cette thèse, ainsi que les possibilités qu’offre le travail de Lemieux.

La thèse avancée par Lemieux est que plusieurs partis qui ont marqué l’histoire politique du Québec ont été des partis générationnels. Un parti générationnel, selon lui, serait en premier lieu lié à une génération politique. Il définit cette dernière comme étant un groupe d’individus qui partagent une localisation dans la structure économique et la structure du pouvoir d’une société. Ces individus ont été marqués par des événements communs. Dans une génération politique, il y a également des leaders charismatiques qui se démarquent pour mener la génération sur des solutions de rechange au pouvoir en place. Ainsi, une génération politique chercherait à « répondre à des problèmes et à des défis différents de ceux de la génération précédente et de ceux de la génération suivante » (p. 11). Lemieux souligne aussi qu’une génération politique ne doit pas être confondue avec une « cohorte », celle-ci étant « faite d’un groupe de personnes nées à l’intérieur d’un même intervalle de temps et qui vieillissent ensemble » (p. 15).

Les partis générationnels, dit-il, possèdent cinq caractéristiques. Premièrement, ils naissent dans une insatisfaction répandue envers un gouvernement en place. Ils se présentent comme des agents de changement en offrant des solutions de rechange attirantes. Ensuite, ces partis mobilisent, entre autres, les jeunes appartenant à une génération politique. Également, ces partis font face à la problématique du cycle de vie, puisqu’ils sont fondés sur des cohortes (p. 21). Quatrièmement, les partis générationnels traversent trois phases : l’émergence, la maturité et le déclin. Finalement, ces partis sont proéminents dans leur système de partis pendant leur période de maturité.

Après avoir clairement défini sa thèse, Lemieux expose quatre cas pour démontrer ce qu’il avance. D’abord, il se déplace du côté de l’Alberta pour découvrir que le Crédit social de cette province répond aux cinq caractéristiques d’un parti générationnel au cours des années 1930 à 1970. Il se tourne ensuite vers le Parti libéral du Québec et sa domination, de la fin des années 1880 – en tant que Parti national – à 1936, alors que Maurice Duplessis prend le pouvoir avec l’Union nationale. Ce dernier fait l’objet du chapitre suivant pour sa prédominance des années 1930 jusqu’au milieu des années 1970. Comme quatrième cas, Lemieux présente les aspects qui font que le Parti québécois répond aux critères d’un parti générationnel. Deux courts chapitres suivent pour clore le texte : le premier fait la liste des différences ainsi que des constances d’un parti générationnel à l’autre et le dernier explore la possibilité de voir la naissance d’un nouveau parti qui répondrait aux cinq caractéristiques d’un parti générationnel.

Au premier abord, la thèse de Lemieux est très intéressante. Toutefois, celle-ci semble modulée afin de permettre à l’auteur de soutenir que les trois partis politiques qui ont marqué l’histoire du Québec au XXe siècle ont été des partis générationnels. Ainsi, dans le cas du Parti libéral du Québec, doit-on véritablement parler d’un parti générationnel ? Il y a quelque chose d’antinomique à apposer le qualificatif « générationnel » à un parti qui perdure dans le temps et qui survit à sa génération politique. Cependant, en modifiant légèrement l’angle de perception de parti générationnel vers les phases où un parti s’est comporté à la manière de ce que Lemieux définit comme un parti générationnel – les phases générationnelles –, il devient possible d’ouvrir sa théorie sur un aspect plus cyclique pour les partis. Un parti pourrait vivre plusieurs phases générationnelles. Toutefois, cela implique que l’accent se déplace des partis vers les générations politiques qui sont si bien introduites dans cet ouvrage.

Nous remarquons également les nombreuses « élections de déviation ». Celles-ci viennent répondre aux allées-retours du parti générationnel entre le pouvoir et l’opposition. La thèse de Lemieux n’explique malheureusement pas pourquoi la génération politique ne suit pas pleinement son parti générationnel. De plus, si plusieurs de ces élections de déviation ont été gagnées avec de courtes majorités par un autre parti, ou par une majorité en siège sans avoir une majorité en nombre de votes, cela n’est pas le cas des élections où le Parti québécois n’a pas pris le pouvoir. Finalement, les partis générationnels, dit Lemieux, ont une durée de vie de 30 à 40 ans (p. 21). Toutefois, le Parti québécois est de retour au pouvoir plus de 40 ans après sa fondation, et ce, après être passé troisième à la suite de l’élection de 2007. En approchant l’analyse selon l’angle des phases générationnelles, ces points prennent un nouveau sens et permettent de mieux comprendre les allers-retours au pouvoir et la survie des partis à leurs générations politiques.

Avec le Crédit social d’Alberta, le seul autre parti qui nous semble correspondre pleinement aux caractéristiques établies par Lemieux est l’Union nationale de Duplessis. Toutefois, notons que, de l’aveu même de l’auteur, « le Bloc populaire semble mobiliser davantage les jeunes électeurs que l’Union nationale » (p. 61). Il s’agit d’un constat qui est directement en opposition avec la deuxième caractéristique des partis générationnels. Il serait également intéressant de réfléchir à cette particularité à la lumière des phases générationnelles.

En somme, la thèse de l’auteur stimule notre réflexion et nous invite à pousser plus loin cette recherche. En nous appuyant sur l’idée des « préthéories » avancées par James N. Rosenau (The Study of World Politics : Theorical and Methodological Challenges, vol. 1, New York, Routledge, 2006, p. 171-173), nous constatons que Vincent Lemieux a finement choisi et préparé les matériaux. Toutefois, les ajustements nécessaires pour maintenir la thèse devant ces études de cas nous convient à poursuivre l’étude du phénomène générationnel en politique, qui est ici traduit en parti générationnel, du côté des phases générationnelles.