Recensions

Le Printemps arabe : mirage ou virage ? de Sami Aoun et Stéphane Bürgi, Montréal, Médiaspaul, 2013, 143 p.[Record]

  • Charles-Antoine Millette

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Près de trois ans après l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi et la vague de destitutions en Tunisie, en Égypte et en Libye, Sami Aoun et Stéphane Bürgi, respectivement professeur à l’Université de Sherbrooke et doctorant en études du religieux contemporain à la même université, nous proposent une analyse astucieuse du Printemps arabe et des principaux concepts qui s’y rattachent. Présenté sous la forme d’un entretien (Aoun est questionné par Bürgi), l’ouvrage compte sept parties, dont quatre études de cas sur la Tunisie, l’Égypte, la Libye et la Syrie. La première partie examine les tenants et aboutissants du Printemps arabe. Ainsi, les auteurs se concentrent à définir ce mouvement, qui fait référence aux contestations nées de « l’incapacité des régimes en place à faire face aux demandes des nouvelles générations […], tant sur le plan des conditions de vie concrètes que sur le plan d’une plus grande ouverture aux valeurs modernes » (p. 11). Le Printemps arabe fait également référence à la volonté des jeunes souvent scolarisés, mais affligés par un taux de chômage considérable, d’effectuer un déverrouillage politique des régimes en place et de « limiter leur mainmise policière sur la société civile » (p. 12). Si Aoun demeure prudent quant à la portée de ce mouvement, puisqu’il est trop tôt pour garantir la durabilité des changements sociopolitiques qui se sont produits jusqu’ici, il affirme tout de même que deux mythes ont été rejetés dans la foulée du Printemps arabe : la dictature n’est plus synonyme de stabilité et de développement dans la région, et le terrorisme n’est plus perçu comme un moyen de défense de l’islam. Les auteurs concluent cette partie avec quelques considérations d’ordre géopolitique concernant les puissances régionales, comme la perplexité d’Israël face au Printemps arabe, l’attractivité du modèle turc et la volonté de l’Iran de voir émerger de ce mouvement une force islamiste idéologiquement proche de Téhéran. La deuxième partie de l’ouvrage vise d’abord à expliquer la naissance des protestations contre le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, puis à examiner la victoire électorale du parti islamiste Ennahda de Rached Ghannouchi, un intellectuel qui cherche à réconcilier islamisme et modernité. Comme le souligne d’emblée Aoun, « la Tunisie représente le moment euphorique du Printemps arabe » (p. 26). Malgré les réformes économiques et sociales faisant de la Tunisie un État engagé sur la voie de la modernisation, les réformes politiques étaient toujours inexistantes. En réaction à l’oppression policière et aux violations des libertés individuelles, les jeunes tunisiens se sont sentis « humiliés par un État qui n’arrivait plus à justifier le verrouillage politique de son régime » (p. 27). Malgré la sympathie de la population tunisienne à l’égard des islamistes, Aoun fait preuve de prudence quant à leur efficacité une fois élus et affirme : « la crainte qu’après un autoritarisme laïque, nous assistions à l’émergence d’un autoritarisme islamique » (p. 32) est bel et bien réelle. Somme toute, Aoun considère que la Révolution de jasmin constitue un exemple convaincant de transition démocratique. La troisième partie se concentre sur le cas égyptien, en commençant par l’analyse des trois facteurs qui fragilisaient le régime avant le début du Printemps arabe. Premièrement, la succession du président Hosni Moubarak s’annonçait laborieuse, dans la mesure où son fils ne faisait pas l’unanimité au sein de l’opposition et de l’armée. Deuxièmement, l’Occident a perdu confiance en Moubarak puisqu’il n’a pas assumé son rôle traditionnel de médiateur dans plusieurs dossiers : relations entre Israël et son voisinage, montée en puissance de l’Iran et séparation du Soudan du Sud. Troisièmement, la population s’est révoltée contre Moubarak, qui croyait être en mesure d’appliquer le …