Recensions

Gustave Papineau, une tête forte méconnue, de Georges Aubin et Yvan Lamonde, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014, 297 p.[Record]

  • Émilie Bernier

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Gustave est le plus jeune fils de Louis-Joseph Papineau, une tête forte et insubordonnée, que la maladie a emporté à l’âge de 22 ans. Georges Aubin et Yvan Lamonde offrent ici une réception de son oeuvre méconnue, et pourtant considérable, en dépit de la brièveté de sa vie. L’ouvrage consiste en une compilation de ses correspondances, de conférences prononcées au séminaire de Saint-Hyacinthe et à l’Institut canadien de Montréal, dont il fut un membre dynamique, et d’une trentaine d’articles parus dans le journal L’Avenir, véhicule intellectuel du libéralisme radical. On est au Canada de l’Union, alors que le « gouvernement responsable » ne contient plus que maladroitement les abus d’une oligarchie coloniale de plus en plus contestée auprès de la population canadienne-française. L’idée d’indépendance gagne du terrain, à mesure que s’intensifie l’admiration pour « la République américaine, [qui] grandit plus étonnamment qu’il n’a jamais été donné à aucun peuple de le faire » (21 septembre 1850, p. 238), mais se heurte à la résistance d’un gouvernement de « caducs eunuques » (ibid., p. 242) propice à la corruption des hauts fonctionnaires. Devant la stagnation économique et le blocage politique, l’oeuvre du fils Papineau est une exhortation à laisser s’exprimer les tendances démocratiques et la sensibilité plébéienne si caractéristiques du peuple canadien, et à participer incessamment à la destinée manifeste de cette jeune nation, à assumer, enfin, le brillant « avenir que lui a assigné la Providence, le jour où il jettera les langes du régime colonial » (ibid.) et « viendra s’allier, sous le beau nom d’État du Canada, à la colossale République du Nouveau-Monde » (10 novembre 1949, p. 190). Le jeune Gustave meurt en décembre 1851, « universellement regretté », selon le mot de son frère Amédée, qui écrit la chronique de la famille. Les textes sélectionnés par les auteurs donnent à lire une prose étonnamment mature, libre, d’une rigueur inflexible. Ils laissent deviner un jeune homme aussi « impraticable » que le père, au dire des ministres qui n’ont su ni s’en débarrasser, ni le « pratiquer » en leur faveur » (26 juillet 1850, p. 232). Assurément, le jeune Gustave se destinait à une carrière politique illustre, en cette période décisive de l’histoire canadienne. Les toutes premières lettres révèlent un enfant d’une vive intelligence, qui entretient avec ses frères Amédée et Lactance une correspondance à coeur ouvert, à la fois pleine de philosophie et de considérations toutes matérielles. Elles rendent compte de son quotidien de collégien, des sommes qu’on lui réclame pour son instruction, de l’état d’usure de ses vêtements et de ses accessoires. L’adolescent voue une déférence sincère à sa mère et à ses soeurs, alors qu’il témoigne une affection indéfectible à son père et à ses frères aînés, tantôt sollicitant leurs vues sur des sujets philosophiques, tantôt les exhortant à lui pardonner ses lettres « griffonnées » sur du temps emprunté à ses précieuses études. Les comptes rendus détaillés et fréquents de l’état de son travail scolaire témoignent du grand cas que l’on faisait de l’instruction chez les Papineau. Le lecteur est ainsi témoin de l’expression d’une curiosité intellectuelle remarquable et de l’éveil politique du jeune séminariste, notamment lorsqu’en 1848 il remet en question l’enseignement des frères à l’effet que Dieu soit l’origine de tout pouvoir. Au jeune homme, qui a grandi dans le climat de rébellion de 1837 et 1838, a souffert l’exil de son père dans l’État de New York, y a été lui-même astreint, à Paris, ses parents refusant de se fixer dans leur malheureuse patrie tant qu’elle « sera[it] opprimé[e] sous le joug de fer …