Recensions

Ethnic Boundary Making. Institutions, Power, Networks, d’Andreas Wimmer, Oxford, Oxford University Press, 2013, 304 p.[Record]

  • Olivier Santerre

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Dans Ethnic Boundary Making, Andreas Wimmer développe une typologie à prétention universelle permettant l’analyse des différentes modalités des frontières ethniques. Il prend comme point de départ plusieurs intuitions théoriques offertes par trois traditions sociologiques dites classiques. D’abord, il emprunte certains éléments à la sociologie de Max Weber en ce qui a trait à la formation des groupes ethniques, en accordant un pouvoir explicatif important aux notions d’opportunités économiques, de pouvoir politique et d’honneur du groupe. Son ouvrage est aussi fortement influencé par la sociologie de Pierre Bourdieu, son analyse s’intéressant beaucoup aux différentes stratégies déployées par les acteurs, mais également au pouvoir symbolique permettant à certains d’imposer leur catégorisation du monde social. Wimmer soutient d’ailleurs à plusieurs reprises qu’un des postulats de base de son analyse est que les individus se comportent de manière stratégique (p. 44). Finalement, l’auteur adopte la métaphore de la frontière ethnique, développée par Fredrik Barth, qui propose que la différenciation entre les groupes n’est pas nécessairement le produit de différences culturelles réelles. La différenciation est plutôt le produit d’un processus où les agents mobilisent certaines marques (réelles ou imaginaires) subjectivement pertinentes afin de définir les frontières, ces dernières pouvant être plus ou moins stables historiquement et plus ou moins « poreuses » (p. 205). L’ouvrage se divise en trois sections. Dans un premier temps, l’auteur met le lecteur en garde contre certaines manières de concevoir les groupes ethniques qu’il juge erronées. D’abord le sociologue critique les conceptions des groupes ethniques qui souscrivent, implicitement ou explicitement, à une ontologie sociale similaire à celle de Johann G. Herder, philosophe du dix-huitième siècle (p. 17). Le problème majeur de ces conceptions est qu’elles tiennent pour acquis que tous les groupes ethniques ont une culture distincte et clairement discernable, que chacun constitue un réseau de solidarité fort, et que tous les membres d’un groupe ethnique donné partagent nécessairement une identité et une manière commune de voir le monde. Wimmer dit que plusieurs études en sciences sociales ont tendance à tomber dans ce piège en présentant les groupes ethniques comme des unités discrètes. Pour lui, tous ces énoncés mériteraient d’être démontrés empiriquement plutôt que d’être postulés comme s’ils étaient des évidences. S’opposant ainsi à cette conception d’influence herdérienne des groupes ethniques, Wimmer met aussi en garde contre ce qu’il nomme le « constructivisme radical » (p. 25). Cette position se situant à l’autre extrême défend l’idée selon laquelle les différences culturelles entre les groupes sont toujours imaginées, et ce, pour répondre aux intérêts de certains acteurs. Wimmer soutient que la réalité se présente davantage comme un continuum de possibilités entre les deux extrêmes que représentent les conceptions herdérienne et constructiviste (p. 26). Pour comprendre ces différentes possibilités et être en mesure d’étudier empiriquement tous les cas possibles, Wimmer développe, dans un deuxième temps, son cadre d’analyse de la frontière ethnique (chapitres trois et quatre de l’ouvrage). Dans le troisième chapitre, il déploie une typologie des différents moyens et stratégies que peuvent utiliser les acteurs pour changer la nature des frontières. Son ambition dans le livre est de développer une typologie qui couvre tous les cas possibles. Il croit en effet que les types de stratégies et de moyens servant à effectuer un travail sur la frontière se présentent en un nombre fini (p. 45). Il divise les stratégies en deux types, soit celles visant à changer le lieu où sera tracée la frontière (déplacement de la frontière) et celles visant à modifier sa signification et ses implications normatives (modification de la frontière) (p. 49). Les stratégies de déplacement de la frontière peuvent elles aussi être divisées en deux …