Recensions

Joining Empire : The Political Economy of the New Canadian Foreign Policy, de Jerome Klassen, Toronto, University of Toronto Press, 2014, 344 p.[Record]

  • Manuel Dorion-Soulié

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Jerome Klassen cherche dans Joining Empire à développer un modèle théorique marxiste pour expliquer la politique étrangère canadienne. Plus exactement, il tente de montrer comment, depuis vingt ans, les gouvernements canadiens successifs ont élaboré une politique correspondant au nouveau système international néolibéral, caractérisé par l’extension globale du capitalisme comme mode de production et la domination politique des États-Unis. Selon Klassen, il s’agit là d’une nouvelle forme d’empire, définie comme « une économie mondiale et un système d’États-nations de plus en plus menés par des entreprises transnationales et l’infrastructure politico-militaire de l’État américain » (p. 3). De ce constat initial, il serait aisé de conclure, avec les théoriciens de la dépendance, que le Canada est au service de la politique étrangère américaine et que l’État canadien plus généralement serait au service du capital américain. Or, Klassen avance que c’est en fait le capital canadien qui est la cause première de la nouvelle politique étrangère canadienne : « la thèse centrale de ce livre est que, pour comprendre la nouvelle politique étrangère canadienne, il est nécessaire de cartographier et d’analyser les processus de formation de classe capitaliste au Canada » (p. 6). C’est à cette fin que Klassen mobilise une théorie marxiste du capital, de l’État et de l’empire, qu’il conçoit comme le seul cadre théorique apte à étudier la politique étrangère sous l’angle des relations sociales à l’intérieur des États qui composent le système international. Selon l’auteur, l’histoire des vingt dernières années, et donc de la « nouvelle politique étrangère canadienne », va comme suit : dans les années 1990, avec la fin de la guerre froide, les gouvernements canadiens se font les défenseurs du néolibéralisme (dérégulation des marchés, privatisation, libéralisation du commerce et des investissements). La politique étrangère canadienne, à cette époque, se préoccupe surtout de questions économiques. Le 11 septembre 2001 entraîne un changement de priorités et la politique étrangère canadienne se concentrera désormais sur la guerre à la terreur, ce qui implique l’abandon des missions de maintien de la paix au sein de l’Organisation des Nations Unies et une forte croissance des dépenses militaires. Dès lors, Klassen voit émerger une « approche systématique » de la politique internationale du Canada, combinant l’économique, le diplomatique et le militaire et visant explicitement l’extension mondiale du capitalisme, la garantie de l’accès au marché américain, la sécurité continentale et la projection de la puissance militaire contre les groupes terroristes et les États voyous. Prise sous l’angle de la théorie marxiste, l’ère néolibérale a marqué « l’internationalisation » de l’économie canadienne, processus par lequel les firmes canadiennes en viennent à concevoir le marché mondial comme le lieu de l’organisation de l’accumulation du capital. Cette internationalisation, conséquence naturelle des mécanismes de l’accumulation du capital, a eu pour effet la création d’une classe capitaliste transnationale dont l’intérêt consistait non seulement en l’intégration nord-américaine, mais aussi en la transformation néolibérale de l’économie mondiale. La stratégie internationale du Canada s’est ainsi développée suivant les intérêts du capital canadien ou, dans les mots de Klassen, d’un « bloc de pouvoir corporatif internationalisé ». La formation de cette classe et son influence sur l’État canadien sont les deux facteurs principaux qui expliquent notamment la signature des traités de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique. Après les attentats du 11 septembre 2001, et dans le but de préserver l’accès au marché américain, l’État canadien s’est restructuré suivant la logique de ce que Klassen nomme le « néolibéralisme blindé » : plus grande intégration canado-américaine en termes de sécurité et d’économie ; centralisation de l’État canadien autour des « appareils de défense et de sécurité nationale » ; « exploitation …