Recensions

Un printemps rouge et noir. Regards croisés sur la grève étudiante de 2012, sous la dir. de Marcos Ancelovici et Francis Dupuis-Déri, Montréal, Écosociété, 2014, 376 p.[Record]

  • Michel-Philippe Robitaille

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La mobilisation dans le cadre la grève étudiante de 2012 a fait couler beaucoup d’encre. Moins de deux ans après le début de la grève, Marcos Ancelovici et Francis Dupuis-Déri ont recensé les écrits sur le sujet, qu’ils ont compilés dans une bibliographie indicative de quatre pages (p. 368-371). Au sein du ce corpus qui évolue rapidement, l’ouvrage collectif dirigé par ces professeurs des départements de sociologie et de science politique de l’Université du Québec à Montréal marque une étape importante dans l’appropriation du sujet par les chercheurs en milieu universitaire. Plus que la majeure partie des écrits disponibles, Un printemps rouge et noir traite la grève comme un objet de connaissance et non simplement d’intervention politique. Politique, on ne peut pas dire qu’Un printemps rouge et noir le soit moins que la littérature existante sur le printemps érable. Mais à la différence des témoignages et des débats d’idées quant à l’interprétation du conflit de 2012, qui s’en tiennent pour l’essentiel à réfléchir sur la grève, ce livre se propose de documenter les répertoires d’actions d’une frange minoritaire mais significative des militants : la tendance anarchisante attachée aux pratiques d’action et de démocratie directes. À travers ses treize chapitres, introduction et conclusion incluses, l’ouvrage donne la parole à 28 auteurs, qui se penchent sur des thématiques aussi diverses que l’histoire du syndicalisme de combat chez les étudiants québécois ; la construction du rapport de force du mouvement face à l’État québécois et au gouvernement de Jean Charest ; la démocratie directe au sein des structures organisationnelles de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) et de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) ; l’implication des féministes au sein de la grève, les apports spécifiques à leurs réflexions sur le conflit et la conflictualité qui en a résulté à diverses occasions ; la mobilisation des populations non étudiantes avec les manifestations de casseroles et les assemblées de quartiers ; l’utilisation des médias sociaux comme outils de mobilisation et de diffusion des idées ; l’art et la littérature comme actes militants et les aspects artistiques du militantisme étudiant ; les réactions des partis politiques québécois face à la grève ; et la répression du mouvement et de ses franges les plus militantes opérée par les tribunaux, l’Assemblée nationale, les corps policiers ou même par des militants en son sein. Si l’ouvrage offre un portrait plus « académique » que nombre de publications à caractère plus directement politique ou militant parues jusqu’ici, il n’en demeure pas moins campé dans l’esprit de la grève. Chaque texte est signé conjointement par des professeurs et des étudiants, reproduisant symboliquement l’unité constatée à de nombreuses reprises durant la grève entre les aspirations d’une importante part du corps professoral et celles des militants étudiants. Par ailleurs, les auteurs documentent souvent des pratiques militantes auxquelles ils ont pris part, brouillant la distinction entre les perspectives analytique et militante. Cette proximité entre l’action politique et la recherche serait peut-être plus problématique si l’observation participante jouait un rôle prépondérant dans l’éventail méthodologique des recherches réunies dans l’ouvrage. Mais Un printemps rouge et noir s’appuie sur un large éventail de méthodes : recherches documentaires, analyses statistiques, données de sondage, analyses de textes et de discours, entretiens semi-directifs, etc. Ce pluralisme méthodologique favorise une mise à distance dont la complexité est inhérente au double rôle d’auteurs et de militants ; cela permet aussi d’illustrer les représentations de la grève par la mouvance libertaire, ainsi que l’image de cette dernière vue par elle-même comme par ses détracteurs. Et c’est là le tour de force de l’ouvrage : à …