Recensions

L’histoire des idées, de Marc Angenot, Liège, Presses universitaires de Liège, 2014, 394 p.[Record]

  • Guillaume Sauvé

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Dans le monde universitaire francophone, l’histoire des idées est une discipline méconnue et incomprise. Si elle jouit d’une solide légitimité scientifique aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne, c’est tout le contraire en France, où elle est souvent dédaigneusement écartée sous prétexte qu’elle porte sur un objet par trop intangible. Partant de ce constat, Marc Angenot se porte dans cet ouvrage à la défense de cette discipline, dont il entend, d’une part, démontrer la légitimité et, d’autre part, confronter les principaux objets, approches théoriques et enjeux épistémologiques. Ce faisant, il s’adresse principalement au monde intellectuel français, dont sont issus la plupart des auteurs avec lesquels il engage une discussion poussée (Michel Foucault, Raymond Boudon, Régis Debray et bien d’autres). La liberté du style d’écriture de l’auteur surprendra le lecteur qui pense trouver dans cet ouvrage un manuel de méthode : Angenot y compare certes des approches et des objets théoriques, mais il présente aussi des réflexions personnelles et des études de cas parfois fort poussées. L’auteur le reconnaît d’emblée, décrivant son ouvrage comme « un essai avec ce que ce genre compte de subjectif et de conjectural (et de libertés digressives) » (p. 5). Ce vaste programme repose sur le savoir encyclopédique d’un chercheur d’expérience, professeur émérite au Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill qui a derrière lui plusieurs décennies d’étude de la rhétorique et du discours social, auxquels il a consacré quelque trente ouvrages. L’érudition de l’auteur est indiscutable, mais, en l’absence d’un fil d’argumentation bien déterminé, il n’est pas toujours évident de saisir la logique qui prévaut à l’organisation des chapitres et à leurs subdivisions. Le premier chapitre est sans doute le plus intéressant pour les profanes de l’histoire des idées. Angenot y fait tout d’abord un état des lieux de la discipline, telle qu’elle s’est établie dans les mondes universitaires anglo-saxon et germanique. Il se tourne par la suite vers la France, où il entreprend de rallier, parfois contre le gré des principaux intéressés, de nombreux penseurs contemporains (Raymond Aron, Marcel Gauchet, Pierre Rosanvallon…, plus d’une trentaine au total) à l’histoire des idées, arguant de leur contribution à cette discipline. Parmi ces « historiens des idées malgré eux », Angenot accorde une attention particulière à Foucault et à son Archéologie du savoir, qui énonce, dit-il, « un programme qui entre dans l’idée que je me fais d’une histoire des idées qui ne se raconterait pas d’histoires » (p. 28). Au deuxième chapitre, Angenot cherche à définir l’intangible objet de l’histoire des idées. L’influence de Foucault est ici bien visible, puisque l’auteur reprend résolument les principes immanentistes, « anti-cohérentistes » et anti-téléologiques du philosophe français dans sa période structuraliste. Ce qui intéresse l’historien des idées, pose Angenot, ce sont les « idées collectives » en tant que « faits sociaux », et non pas la pensée des grands auteurs. « Pour l’historien des idées et des discours, explique-t-il, c’est l’évidence : il ne traite ni des usagers individuels ni d’événements d’énonciations singuliers, ni de situations psychologiques d’appropriation, il les refoule du moins, il les secondarise au profit du fait social trans-individuel qu’il extrait » (p. 57). La suite du chapitre est consacrée aux concepts les plus couramment utilisés pour désigner les idées collectives, tels que « discours », « idéologie », « mythe » et « croyance ». Les troisième et quatrième chapitres présentent un vaste catalogue d’objets d’études et de manières de les appréhender. L’auteur y fait notamment la critique de l’« approche classique » de l’histoire des idées, qui consiste à suivre l’évolution d’« idées trans-historiques » (p. 125). Il présente aussi …