Recensions hors thème

Cities of Commerce. The Institutional Foundations of International Trade in the Low Countries, 1250-1650, d’Oscar Gelderblom, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2013, 293 p.[Record]

  • Frédérick Guillaume Dufour

…more information

L’ouvrage d’Oscar Gelderblom sur les fondements socioéconomiques de l’âge d’or de la puissance de la République de Hollande vient jeter un éclairage sur une période fascinante mais complexe de l’histoire de l’Europe du Nord-Ouest. Ce spécialiste de longue date de l’histoire économique des Pays-Bas analyse les stratégies des villes de Bruges, d’Anvers et surtout d’Amsterdam pour attirer des marchands durant la période de 1250 à 1650 qui culmine avec la position de puissance d’Amsterdam. Il propose des révisions importantes aux thèses néoinstitutionalistes récentes en histoire économique. La trajectoire sociohistorique des Pays-Bas est un cas captivant de l’histoire sociale et économique comparée. En 1585, Amsterdam était devenue une puissance commerciale et financière au coeur d’un important réseau d’acteurs, non seulement sur les contours de la Baltique, mais de plus en plus à une échelle globale. En 1650, sa domination commerciale était à son apogée. Comment ce petit réseau de villes marchandes est-il parvenu à se hisser au sommet de la géopolitique pendant cette période de l’histoire globale ? Comment ces villes ont-elles négocié leur autonomie, souvent par la guerre, contre les ambitions des ducs régionaux et de la dynastie des Habsbourg ? Dans quelle mesure ce réseau de marchands pratiquait-il un commerce enchâssé dans des relations sociales de propriété capitaliste ? Pour quelles raisons cette puissance allait-elle vaciller aussi rapidement face à la puissance économique de la Grande-Bretagne ? Cette ascension fulgurante en contexte de tensions géopolitiques et de conflits entre la République de Hollande, les Habsbourg et les ducs de Bourgogne est le théâtre de cet ouvrage. L’hypothèse qui guide cette recherche est que pour comprendre cette ascension, il faut analyser l’ensemble des institutions spécifiques qui ont été créées notamment par Amsterdam pour rendre la ville attrayante et sécuritaire pour les marchands locaux et étrangers. Le travail de Gelderblom s’inscrit dans les débats actuels en histoire économique et en sociologie historique, c’est-à-dire dans une longue tradition de questionnements, qui remonte au moins à Henri Pirenne et à Max Weber, sur ce qui a permis à certains États et à certaines villes situés en Europe d’accéder à une position de puissance géopolitique sur l’échiquier global durant certaines périodes de l’histoire. Les historiens néoinstitutionnalistes, qui s’inscrivent dans la foulée de Douglas C. North, comme c’est ici le cas, s’insèrent généralement dans un programme de recherche portant sur l’origine des ordres à accès ouvert et des ordres à accès fermé (open access, close access), ainsi que sur l’origine des institutions dites généralisées par opposition aux institutions fermées ou exclusives. Les premiers ordres favorisent le libre accès aux acteurs, ainsi que la compétition entre les acteurs et les bienfaits qui y sont associés par la théorie libérale : plus grande division du travail, spécialisation accrue, recherche de l’amélioration, baisse des coûts, limitation de la violence. Le second type d’ordres, en restreignant la circulation ou l’accès des acteurs, est associé à des mécanismes qui ne stimulent pas ou découragent les processus socioéconomiques attendus dans une perspective libérale et dans les traditions marxistes qui restent fortement inspirées des théories circulationnistes libérales, comme celles de Paul Sweezy, de Fernand Braudel et d’Immanuel Wallerstein. Deux thèses sont généralement associées aux traditions néoinstitutionnalistes et wébériennes sur la spécificité du rôle des villes jouissant d’une autonomie singulière dans le développement de l’Europe de l’Ouest. Selon la première, le développement économique et la consolidation d’un ordre d’accès ouvert fut en grande partie la conséquence de la concurrence entre les villes dans une Europe morcelée sur le plan politique. L’incapacité d’un Empire à imposer son pouvoir à l’ensemble du territoire, affirme par exemple Wallerstein, explique le développement d’un système-monde …