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Peu recensé dans les revues universitaires, ce collectif en quatre sections reprend 18 communications présentées lors du colloque organisé par l’Association internationale des études québécoises (AIEQ) en avril 2012 pour souligner le trentième anniversaire du rapatriement de la Constitution canadienne. Initialement, ce colloque était intitulé « 30 ans après le rapatriement, l’état des lieux. Quel bilan ? Quelles perspectives ? » Les participants réunis à l’Université du Québec à Montréal à l’occasion du colloque provenaient de diverses institutions : la plupart étaient des universitaires, des doctorants, des politiciens, mais on comptait aussi deux journalistes, pour le meilleur et pour le pire. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce livre n’est pas une charge contre le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne et ses conséquences ; il est clair que les coresponsables ont voulu – dans un souci d’impartialité – offrir des points de vue opposés, soit critiques, soit au contraire laudatifs envers les événements de 1981-1982 et les étapes qui ont suivi (Accord du lac Meech ; entente constitutionnelle de Charlottetown ; Référendum pancanadien d’octobre 1992 sur l’entente constitutionnelle de Charlottetown) pour s’étendre, dans certains cas, jusqu’aux élections fédérales de 2011 (p. 144). Dans cet ensemble inévitablement inégal, deux des 18 chapitres méritent particulièrement d’être mentionnés : ceux de Louis Bernard et de François Rocher.

L’ouvrage commence en force et on saisit rapidement le sentiment partisan qui pouvait être présent durant les négociations. Témoin de cette époque et observateur privilégié des moeurs politiques canadiennes, Bernard (qui se présente comme la seule personne à avoir accompagné René Lévesque durant toutes les séances – cruciales – à huis clos des négociations) (p. 13) touche le noeud du problème dès le chapitre d’ouverture en rappelant un constat troublant sur l’importance accordée par beaucoup de Canadiens anglais au renouvellement de la Constitution canadienne de 1982, qui n’a d’égale que leur indifférence totale envers le point de vue du Québec : « Lors d’un colloque organisé par l’Université McGill, en 2007, […] j’y ai entendu plusieurs représentants du Canada anglais, certains parmi les acteurs du rapatriement de la Constitution, se féliciter chaleureusement de l’accord du 5 novembre 1981 en passant complètement sous silence, comme un fait sans importance, l’absence et l’opposition du Québec » (p. 12). Au terme d’un exposé instructif et nuancé, Bernard conclut sur une métaphore : « Le 5 novembre 1981, le Québec a, en quelque sorte, été mis à la porte du Canada. » (p. 18)

Dans une volonté de raviver le contexte de cette époque, les quatre chapitres de la première partie permettent d’exposer les deux perspectives à partir de quatre récits partiels proposés par des intervenants comme Louis Bernard, Howard Leeson, le Terre-Neuvien Brian Peckford et Roger Tassé. Ce dernier attribue même au Québec une partie du blâme quant à l’échec de Meech, sans vraiment prendre en compte le rôle partial des médias et des faiseurs d’opinion, sans oublier l’influence de plusieurs éditorialistes biaisés de monde anglophone : « L’utilisation de la clause dérogatoire pour interdire l’affichage commercial en anglais et l’interprétation un peu excessive de la clause de société distincte visant à calmer les nationalistes au Québec ont donné des munitions aux opposants de Meech. » (p. 51)

Sans doute parce que les attentes étaient trop élevées, le septième chapitre de Kenneth McRoberts, portant essentiellement sur la double édification de la nation (canadienne et québécoise), laisse le lecteur sur sa faim car il reste – du moins dans sa première moitié – en amont de la crise constitutionnelle et que sa longue mise en contexte – non sans intérêt – se termine sur une note de politique-fiction : « Je ne pense pas qu’il soit exagéré d’avancer que sans cette lutte entre deux projets d’édification de la nation, il n’y aurait simplement pas eu de rapatriement. » (p. 110)

La partie centrale se concentre sur les conséquences de l’échec de 1982. Focalisé sur « la mémoire de 1982 », le chapitre très précis de François Rocher permet de mieux appréhender la portée des points de friction entre le Québec et les autres provinces, à partir des données d’un sondage pancanadien de la firme Léger Marketing réalisé en 2012 (en annexe, p. 126-136). Les constats sont révélateurs et trop nombreux pour être tous décrits ici : « Dans l’ensemble, les Québécois et les Canadiens sont relativement amnésiques quant aux événements entourant le rapatriement de 1982 […] [Cependant,] les Québécois sont mieux informés au sujet des événements entourant le rapatriement que les répondants du reste du Canada » (p. 113).

La troisième section (chap. 9-15) porte principalement sur les dimensions juridiques et sur la Charte canadienne des droits et libertés. N’ayant pas peur du ridicule, le journaliste torontois Ron Graham (chap. 10) fait l’apologie de l’actuelle Constitution canadienne sans le Québec et encourage les Québécois à la signer sans concessions ni conditions (p. 152). Ce texte indigeste s’apparentant davantage à un essai approximatif contient tant d’énormités qu’il faudrait en rectifier chaque paragraphe – ce que les coresponsables ne font pas ; en même temps, ce pamphlet désolant est symptomatique et révélateur de ce que croient fermement une majorité de Canadiens, et cette attitude mélangeant ignorance et nonchalance constitue une dimension non négligeable de tout ce vaste problème.

Maniant habilement l’autocitation (p. 155, 158, 159, 161, 162), Irvin Studin (chap. 11) appelle de ses voeux un Canada dans lequel la langue française sera « préservée au sein du Québec (y compris par le biais d’un ou plusieurs amendements constitutionnels), en plus d’être parlée couramment par chaque Canadien à l’extérieur du Québec, à laquelle s’ajouterait la maîtrise de trois ou quatre autres langues » (p. 162). On peut toujours rêver à ce Canada où la francisation et le bilinguisme restent encore des prétextes à des résistances farouches. Chantal Maillé (chap. 12), quant à elle, montre subtilement comment les batailles constitutionnelles ont influencé les relations entre groupes féministes du Québec et du Canada ; ses remarques finales portent sur les changements des conditions de vie des femmes canadiennes, particulièrement chez les Autochtones (p. 176). Un constat mériterait d’être répété à propos de l’avènement de ce qui fut la toute première charte ayant protégé les droits de la personne en territoire canadien, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (en 1976), ratifiée six ans avant la Charte canadienne dont la portée touchait toutes les provinces : « Il n’y a jamais eu de la part du mouvement féministe québécois de lobbyisme des féministes du Canada anglais pour la Charte canadienne. » (p. 174) D’autres chapitres se penchent sur les dimensions juridiques inhérentes à l’imposition de la Charte canadienne des droits et libertés, par exemple à partir du cas des écoles passerelles qui permettent aux allophones de contourner la Charte de la langue française en fréquentant l’école anglaise (p. 224). Enfin, dans un effort louable de politique comparative, les trois derniers chapitres comparent le cas canadien avec des situations européennes contemporaines (respectivement la Catalogne, l’Écosse, l’Irlande).

Après la lecture attentive de ces 18 chapitres contrastés et inégaux ayant néanmoins le mérite d’exposer des points de vue diamétralement opposés entre des intervenants québécois et non francophones, on est saisi de constater une fois de plus à quel point une majorité de Québécois connaissent et comprennent les deux côtés de la médaille des enjeux constitutionnels, tandis que les Canadiens en général n’en ont qu’une vision univoque. Ajouté aux barrières idéologiques, l’obstacle linguistique des Canadiens unilingues ne fait qu’accentuer ce fossé en empêchant l’accès au point de vue de l’autre, en l’occurrence celui des Québécois de toutes allégeances indignés par le rapatriement de 1982. D’ailleurs, le titre de l’ouvrage (qui paraphrase le projet controversé de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation la science et la culture (UNESCO) sur le « Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication » ayant eu cours durant les années 1980) rappelle subtilement et dans un tout autre contexte à quel point ce discours constitutionnel demeure idéologisé. Il illustre éloquemment cette boutade du jeune Raymond Aron qui se plaisait à dire que « l’idéologie, c’est la pensée de mon adversaire ». Par les propos des journalistes présents, on comprend également l’engagement viscéral des médias de langue anglaise pour tenter de façonner l’opinion publique à leur guise et sans nuance, conformément à leur perspective. Autrement dit, si le point de vue québécois n’est jamais exposé convenablement (ou toujours discrédité) dans les médias de langue anglaise, comment peut-il être reconnu comme faisant partie de la réalité canadienne ? En ce sens, on comprend à quel point la plupart des médias (et beaucoup d’universitaires du Canada anglais) se complaisent dans leur position de dominants en occultant (ou en discréditant) la position québécoise dans ce conflit irrésolu. Nous touchons là et par la bande une partie essentielle du problème canadien, et certains passages de ce livre contribuent – directement, mais parfois sans le vouloir – à cette réflexion.

Indéniablement, ce Nouvel ordre constitutionnel canadien aborde un sujet fondamental et négligé en science politique et dans les études canadiennes. Comme dans tout ouvrage collectif reprenant des actes de colloques, le lecteur a droit à d’inévitables redites d’un texte à l’autre (par exemple l’affaire Claude Morin), à quelques variantes près. Dans un élan d’optimisme aveugle, on ne peut que souhaiter que cet ouvrage soit traduit en anglais afin que la majorité des universitaires canadiens puissent découvrir la perspective du Québec, si largement occultée dans l’opinion publique de langue anglaise. Clairement, le Nouvel ordre constitutionnel canadien n’épuise pas ce vaste sujet, mais tente au contraire d’ouvrir des portes sur une question complexe qui reste toujours brûlante, qu’on le veuille ou non.