Recensions hors thème

The Baron’s Cloak : A History of the Russian Empire in War and Revolution, de Willard Sunderland, Ithaca, Cornell University Press, 2014, 344 p.[Record]

  • Sébastien Parker

…more information

L’ouvrage de Willard Sunderland, The Baron’s Cloak, porte sur la vie du baron Roman Fiodorovich von Ungern-Sternberg (1885-1921), surnommé le « baron fou » et le « baron sanglant ». La prémisse de l’ouvrage est de faire la « micro-histoire » (p. 9), et non la biographie, d’Ungern. Comme l’explique l’auteur, la vie du baron devient alors un véhicule nous permettant de voyager au sein de l’Empire russe, de l’Estonie à la Mongolie en passant par la Sibérie, afin de témoigner des réalités complexes de l’Empire. De façon magistrale, Sunderland arrive à discuter de la trajectoire d’Ungern afin de démontrer comment son parcours fut semé de hasards et de bifurcations, sans jamais admettre que les événements étaient complètement aléatoires. Puisque sa trajectoire correspond à une période de vastes changements au sein de l’Empire, elle nous permet par ailleurs de saisir ce qui s’est joué à certains moments et d’explorer les « noeuds » de « combinaisons et contradictions interculturelles » (p. 3). En effet, un des arguments centraux du texte est que ces « knots of connection, both internal and external, help to explain how the empire ‘worked’ as well as how it fell apart » (p. 10). Ungern devient ainsi un point focal à partir duquel Sunderland fait une analyse fine de contextes et des points de litige au sein de l’Empire russe se situant à la croisée des chemins : s’y défileront, au gré des pages, des discussions abordant les politiques gouvernementales, les dynamiques régionales, les contacts interculturels et les visions de l’Empire, du point de vue de la vie d’un homme qui, par son « timing » (p. 8), s’est trouvé au coeur des événements. Un des points forts de l’ouvrage est que, contrairement à de nombreux historiens qui ne se sont intéressés qu’à une certaine période de la vie d’Ungern, Sunderland retrace sa vie pas à pas, dans un travail d’une grande érudition ; son objectif est de démontrer qu’Ungern « n’est pas apparu, comme par magie, à Urga en tant que le baron fou » (p. 229). Sa « campagne » en Mongolie n’est alors plus à saisir en tant qu’un épisode exceptionnel que l’on peut extirper de son contexte, mais plutôt comme un moment de sa vie à replacer dans son histoire longue. Chacun des chapitres s’attarde, en fait, sur une région correspondant à l’ordre chronologique de la trajectoire géographique d’Ungern. C’est à Graz, ville natale d’Ungern, que nous sommes introduits au cosmopolitisme de l’aristocratie allemande de l’époque. Ayant été placé très tôt « au sein de ces noeuds relationnels » (p. 20), notamment aux idées du pangermanisme, la vision promue par Ungern des années plus tard en Mongolie – visant à créer une grande entité se ralliant à la dynastie Qing – se place ainsi au sein d’un continuum. Se succèdent ensuite les chapitres sur l’Estonie, Saint-Pétersbourg et la Mandchourie, ainsi que le Baïkal, où le lecteur saisit comment le baron était à maints égards un « produit de son temps » (p. 104). On voit alors Ungern issu d’une famille d’aristocrates observant leur pouvoir en train de s’éroder tranquillement en raison des politiques de « russification » de l’Empire au sein des provinces baltes, puis comment il est introduit au tournant de l’Empire vers l’Asie lorsqu’il s’enrôle dans l’armée et, enfin, lorsqu’il prend connaissance de l’ambivalence des liens transfrontaliers et de la perception des « étrangers » à la lisière des empires russe et chinois. Apparaît alors, au fil des interactions, le commandant d’unités multinationales et multiethniques se mobilisant contre les bolchéviques, perçus comme les garants de l’idéologie révolutionnaire, et déstabilisant …