Recensions

Le discours « néo-réactionnaire », sous la dir. de Pascal Durand et Sarah Sindaco, Paris, CNRS Éditions, coll. « Culture & Société », 2015, 361 p.[Record]

  • Félix L. Deslauriers

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Il y a plus de treize ans, Daniel Lindenberg publiait Le Rappel à l’ordre.Enquête sur les nouveaux réactionnaires (Seuil, 2002). Ce pamphlet brossait le tableau d’une constellation émergente du paysage intellectuel français : issus pour la plupart de la gauche, ces écrivains semblaient désormais convertis à la critique de l’égalitarisme associé à l’« esprit » de Mai 68. Cette intervention allait déclencher une vive polémique et cristalliser les termes d’un débat qui n’a pas faibli depuis. Les auteurs réunis dans Le discours « néo-réactionnaire » s’engagent donc sur un sentier que d’autres ont tenté de baliser avant eux, non sans difficultés et résistances. Conscients qu’il s’agit d’une route semée d’embûches, ils entendent contribuer à un « examen dépassionné » de la nébuleuse intellectuelle « néo-réactionnaire ». Leur démarche cherche à s’inscrire dans le registre de l’analyse sociologique plus que dans celui de l’intervention politique, sans renoncer à une posture critique. Sociologues de la littérature à l’Université de Liège, Pascal Durand et Sarah Sindaco ont rassemblé des spécialistes de différentes disciplines à l’occasion d’un colloque dont sont issus les textes du recueil. C’est entre guillemets qu’ils reprennent l’appellation de Lindenberg, afin de la soumettre à un travail d’objectivation conjuguant études de cas et analyses d’ensemble. L’hétérogénéité des profils réunis derrière l’étiquette « néo-réactionnaire » est reconnue d’emblée dans le chapitre inaugural. La coalition dont il est question se caractérise par une diversité d’horizons d’appartenance, de trajectoires, de statuts occupés, de genres pratiqués et même de positionnements politiques. Qu’ont en commun le socialisme originel auquel aimerait revenir un Jean-Claude Michéa, la « droite décomplexée » d’un Éric Zemmour et l’apolitisme esthétisant d’un Michel Houellebecq ? Cette diversité générale « semble bien faite pour décourager toute tentative d’envisager le phénomène en termes collectifs » (p. 12). Y renoncer comporterait toutefois le risque de conforter l’ethos de « libre penseur » dont se pare chacune des personnalités étudiées. Cette posture qui articule conservatisme et transgression est précisément ce qui unit les figures en présence, selon Durand et Sindaco. Elle constitue le point de départ pour brosser le portrait du « personnage collectif » qui se dégage de la somme des individualités « néo-réactionnaires ». Cette tâche se subdivise en trois voies complémentaires, qui constituent autant de sections de l’ouvrage. La première partie vise à repérer des trajectoires typiques et à cerner, à travers elles, un espace social structuré. Gisèle Sapiro s’y emploie en utilisant un modèle développé dans ses travaux antérieurs sur le champ littéraire. Des années 1930 à nos jours, elle examine la répartition des positions au sein de la droite radicale en distinguant trois idéaux-types : notables, esthètes et polémistes. Les outils qu’elle fournit permettent d’expliquer les spécificités de chacun des pôles, mais aussi l’unité d’un ressentiment dirigé contre tout ce qui paraît menacer les positions des écrivains concernés. Les chapitres suivants se penchent sur des trajectoires ciblées : celles de Guy Hocquenghem, d’André Glucksman, de Pascal Bruckner et de Pierre-André Taguieff. La contribution de Marc Angenot relie la controverse actuelle sur les « nouveaux réactionnaires » à des débats plus anciens sur le concept de totalitarisme et l’héritage des Lumières. Cette ambition prometteuse est toutefois desservie par un style péremptoire qui tranche avec le reste de l’ouvrage. La section se conclut par un chapitre de Jean-Pierre Couture qui intéressera spécialement les lecteurs québécois. Le politologue y prolonge le travail entrepris avec Jean-Marc Piotte dans Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec (Québec Amérique, 2012). Avec aplomb, il explore un phénomène de « commerce triangulaire » (p. 116) entre les réseaux néoconservateurs étatsuniens, français et québécois. Ce parcours donne lieu …