Recensions

Chili 1970-1973 : Mille jours qui ébranlèrent le monde, de Franck Gaudichaud, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Amériques », 2013, 345 p.[Record]

  • Pascal Lebrun

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  • Pascal Lebrun
    Candidat au doctorat en science politique, École d’études politiques, Université d’Ottawa
    plebr083@uottawa.ca

La première partie de l’ouvrage dresse en quatre chapitres l’historique du mouvement ouvrier (chap. 1), des syndicats et des milieux populaires urbains (chap. 2), des partis politiques et des organisations de gauche au Chili (chap. 3), ainsi que de leurs relations, des origines jusqu’au début du gouvernement de l’UP. L’auteur y met en relief le contexte dans lequel a pu émerger la vaste alliance qu’a représentée ce gouvernement, les facteurs d’union et de tensions qui l’ont traversé. La seconde partie traite de la participation populaire et de l’autogestion dans les premières années du gouvernement de l’UP. Gaudichaud y explique d’abord comment la gauche institutionnelle participante ou sympathisante à l’UP a tenté de mettre en place des mesures de participation limitées dans les entreprises nationalisées ou dans les quartiers populaires afin de les garder sous leur égide (chap. 1). Les facteurs ayant mené à la radicalisation et au débordement de la base militante ouvrière et des quartiers populaires sont ensuite exposés, ainsi que les conséquences de ce phénomène, notamment les occupations d’usines non planifiées par l’UP et la polarisation entre la gauche et la droite qui engendre le blocage institutionnel qui marque la période (chap. 2). Enfin, l’auteur décrit la cristallisation au sein de la gauche de la tension entre une tendance modérée, dont est issu le gouvernement, et une tendance radicale appelant parfois jusqu’à la formation d’un pouvoir populaire distinct de l’État bourgeois (chap. 3). La troisième partie, qui porte sur l’organisation des « cordons industriels » (CI) à la suite du blocage institutionnel, commence par la définition des concepts de cordon « en soi » (ou probable) et de cordon « pour soi » (ou réel), formés par le croisement des travaux de György Lukàcs (classe en soi et classe pour soi) et de Pierre Bourdieu (classe probable et classe réelle – p. 123-124). Gaudichaud présente la formation des CI en mettant l’accent sur les facteurs géographiques et sociopolitiques qui ont permis leur émergence, notamment l’écart grandissant rapidement entre le gouvernement et la base militante populaire (chap. 1). Il passe ensuite à l’offensive patronale que représente « l’octobre chilien » de 1972, notamment la grève des camionneurs, ainsi qu’aux réactions du gouvernement, qui s’en remet à l’armée et lance des appels au calme. Il démontre par ailleurs que la base militante accélère plutôt le mouvement d’occupation et d’auto-organisation des industries et des quartiers populaires, au point où Gaudichaud parle de dislocation des structures institutionnelles traditionnelles et d’autogestion, et ce, malgré plusieurs ratés dans ces multiples expériences (chap. 2). Il aborde l’éclatement de la tension entre le gouvernement et la base militante ouvrière à travers le va-et-vient entre les mesures gouvernementales visant à accorder des concessions à l’opposition conservatrice et la résistance populaire à ces mesures visant à pousser plus loin et à accélérer la transformation sociale en cours (chap. 3). Toute cette partie insiste sur le caractère transversal et contradictoire de cette ligne de fracture, le mouvement social et les partis politiques participant à l’UP s’interpénétrant malgré les dissensions. Cette interpénétration est donc mise en perspective à la lumière des positionnements et des débats politiques des différents acteurs au sein de la gauche d’alors à propos de l’auto-organisation populaire, et la comparaison de ces représentations à la réalité (chap. 4). Ce dernier chapitre se termine en soulignant le lien entre l’explosion culturelle, notamment dans la musique, qui marque l’époque, de même que le développement conséquent d’une conscience et d’une identité populaires fortes. Enfin, la quatrième partie de l’ouvrage prend la forme d’une énumération des événements politiques qui se sont succédé en 1973 jusqu’au coup d’État. Gaudichaud traite d’abord des …