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Les partis politiques occidentaux adoptent de plus en plus souvent des procédures inclusives pour sélectionner leurs dirigeants et leurs candidats (Scarrow et al., 2000 ; Hazan et Rahat, 2010 ; Pilet et Cross, 2014). L’Espagne ne fait pas exception, bien que la plupart des partis politiques aient initialement été réticents à cette idée. En ce qui concerne la sélection des dirigeants nationaux, les trois principaux partis politiques – les sociaux-démocrates du Partido Socialista Obrero Español (PSOE), les conservateurs du Partido Popular (PP) et Izquierda Unida (IU) à gauche – n’avaient pas introduit de véritables changements jusqu’au milieu des années 2010 (Rodríguez-Teruel et al., 2010), les deux seules exceptions ayant été les primaires du PSOE en 1998 et d’IU en 2008 (Hopkin, 2001 ; Ramiro et Verge, 2013). Par ailleurs, depuis le début des années 2000, les partis espagnols ont rendu plus inclusives leurs méthodes de sélection des candidats et des dirigeants aux niveaux local et régional (Barberà et al., 2015 ; Ramiro, 2016). Si cette pratique n’est pas encore généralisée, ces trois partis ont fait l’expérience – à divers degrés et selon des modalités variables – des primaires au niveau régional[2]. Ce sont justement ces différences inter-partisanes qui font de l’Espagne un excellent cas d’étude : elles doivent permettre de vérifier quels ont été les principaux effets des différentes méthodes de sélection dans une courte période (1997-2011) et à l’intérieur d’un même pays.

À quelques exceptions près (van Biezen et Hopkin, 2006 ; Fabre, 2008 ; Detterbeck, 2012), les efforts d’élaboration théorique en ce qui concerne les processus de sélection des candidats et des dirigeants des partis se sont concentrés sur le niveau national plutôt que régional. Pour combler cette lacune, nous combinons dans cet article la littérature sur les modes de sélection des candidats à des hypothèses issues de l’étude de partis politiques multiniveaux. Notre objectif est d’analyser les effets du degré d’ouverture et de décentralisation du sélectorat sur le profil social des candidats. Plus spécifiquement, nous nous concentrons sur la manière dont les têtes de listes régionales, en Espagne, ont été sélectionnées au cours de la dernière décennie ainsi que sur les conséquences politiques sur la représentation-miroir.

Nous commençons par élaborer un cadre analytique susceptible de rendre compte des particularités des méthodes de sélection des candidats à l’échelon régional ainsi que des conséquences politiques internes qu’elles entraînent sur différentes dimensions de la représentation-miroir. Nous définissons ensuite les unités d’analyse (les principaux partis politiques à l’échelle du pays) et la période étudiée dans le but d’opérationnaliser les variables correspondant aux méthodes de sélection des candidats et aux caractéristiques des profils des élus. Dans la section suivante, nous décrivons les principales dimensions de la sélection des candidats au niveau régional en Espagne. Dans les quatrième et cinquième sections, nous identifions les différences entre les profils des candidats choisis, en fonction de leur affiliation partisane et des méthodes de sélection utilisées par leur parti. Enfin, nous analysons en conclusion les résultats empiriques et discutons leur portée théorique.

Les conséquences politiques internes des méthodes de sélection des candidats au niveau régional

L’étude des conséquences politiques des méthodes de sélection des candidats est un domaine prometteur bien qu’il reste peu développé. Jusqu’à récemment, la grande majorité des recherches étaient centrées sur le cas américain et avaient pour préoccupation principale les effets des élections primaires sur les résultats des élections générales (Ware, 1979 ; 2002). Cette approche a considérablement évolué au fil des deux dernières décennies. L’émergence d’une nouvelle littérature européenne centrée sur les démocraties parlementaires a permis d’élargir la portée de l’analyse aux conséquences politiques internes des méthodes de sélection (Hazan et Rahat, 2010 ; Sandri et Seddone, 2015)[3]. Si ces recherches s’accordent sur le fait que les méthodes de sélection des candidats ont des dimensions multiples (la candidature, le sélectorat, la décentralisation, le système de vote), elles se sont surtout intéressées au degré d’inclusivité du sélectorat. L’inclusivité correspond au degré d’ouverture de l’instance chargée de sélectionner les candidats : elle s’apparente à un continuum allant des méthodes les plus exclusives où la sélection est le fait d’une seule personne (le dirigeant du parti) à des méthodes très inclusives qui prévoient la participation des adhérents et des électeurs. L’inclusivité est en général considérée comme le facteur le plus pertinent (Hazan et Rahat, 2010 : 35), car, comme Elmer E. Schattschneider l’avait souligné il y a déjà plusieurs décennies, « la nature du processus de nomination détermine la nature du parti, et celui qui est en mesure de faire les nominations est le véritable propriétaire du parti » (1942 : 64).

L’ouvrage précurseur de Reuven Y. Hazan et Gideon Rahat, Democracy within Parties. Candidate Selection Methods and Their Political Consequences (2010), fait la synthèse des principales conséquences politiques des méthodes de sélection des candidats que la littérature sur les phénomènes de participation, de compétition interne, de représentation et de réactivité (responsiveness) avait déjà suggérées (voir aussi Hazan et Rahat, 2006). Des travaux récents sur les primaires ont permis d’en savoir davantage sur la manière dont le sélectorat influence les partis politiques dans leurs dimensions internes et externes. Giulia Sandri et Antonella Seddone (2015) distinguent ainsi une dimension interne, liée aux effets sur les membres et les dirigeants du parti, d’une dimension externe, relative à l’impact en termes de réactivité, de performance électorale, d’image du parti et d’opinion publique. Miguel Pérez Moneo (2012), quant à lui, différencie l’influence que le sélectorat peut avoir sur les candidats de celle qu’il peut exercer sur le parti en question ou sur le système partisan dans son ensemble. Pour leur part, Bill Cross et Gideon Rahat (2012) font état des principales pathologies liées aux primaires qui peuvent toucher un parti ou, de manière générale, le système partisan.

Les différentes méthodes de sélection sont susceptibles d’avoir des répercussions sur le profil social des candidats et à travers lui sur la dimension de la représentation-miroir. Communément admise, la notion de représentation-miroir renvoie à l’idée que les représentants produisent une image réduite de la société et de ses principales caractéristiques sociodémographiques (voir, entre autres : Pitkin, 1967 ; Mansbridge, 1999 ; Achin 2001 ; Hazan et Rahat, 2010). En s’intéressant principalement à la présence de femmes parmi les candidats, la revue de la littérature de Hazan et Rahat fait ressortir que l’on trouve plus de femmes dans des circonscriptions sûres lorsque le sélectorat est réduit (Rahat et al., 2008 : 672 ; Hazan et Rahat, 2010 : 114). Les sélectorats restreints seraient donc plus sensibles à la question de la représentation-miroir que les sélectorats plus inclusifs et c’est pourquoi la démocratisation des processus de sélection des candidats a généralement été accompagnée de l’adoption de mesures visant à corriger ses effets (Norris, 2006), même si ces dernières n’annulent pas tous leurs défauts (Verge et Troupel, 2011).

La question du genre mise à part, les travaux sur la sélection des candidats ont jusqu’ici fait peu de cas des effets de cette sélection sur d’autres caractéristiques sociodémographiques telles que l’âge et le lieu de naissance. L’hypothèse étant identique à celle qu’on applique au genre, un raisonnement similaire pourrait être appliqué au niveau d’études et au type de trajectoire professionnelle. Cependant, on ne peut pas totalement assimiler ces dernières variables au genre ou au lieu de naissance, car elles correspondent non seulement à la représentation-miroir, mais aussi à un niveau de compétence indispensable au métier politique. Bien que l’inclusivité du sélectorat joue toujours un rôle non négligeable, les chiffres devraient ainsi être biaisés, quoi qu’il advienne, en faveur des candidats qui ont un niveau d’études supérieur ou qui appartiennent aux catégories socio-professionnelles supérieures. C’est en tout cas la conclusion à laquelle les études sur les élites politiques en Espagne sont parvenues (Rodríguez-Teruel et al., 2010 ; Jerez et al., 2012).

Jusqu’ici, nous avons envisagé l’impact du degré d’inclusivité du sélectorat sur le profil social des candidats. Or, s’il s’agit d’étudier les candidats régionaux, il nous faut évaluer les effets combinés de l’inclusivité et de la décentralisation territoriale. Au niveau national, Hazan et Rahat (2010 : 59 et suiv.) ont abordé cette question de l’interdépendance des deux dimensions en affirmant que bien qu’elles ne puissent pas être totalement indépendantes, elles peuvent être dissociées d’un point de vue analytique. Pourtant, ils ont adopté une approche pragmatique et ont intégré, dans leur classification des sélectorats, des procédures en plusieurs étapes (multi-stage party agencies) (ibid. : 48 et suiv.). L’ouvrage de Hazan et Rahat ne s’attardait qu’aux effets individuels de chaque dimension et n’analysait donc pas en détail leurs éventuels effets combinés.

Il y a cependant plusieurs raisons pour lesquelles il est impossible de dissocier ces deux dimensions au niveau régional. La plus évidente est empruntée aux travaux traitant du caractère multiniveau des partis politiques (van Biezen et Hopkin, 2006 ; Fabre, 2008 ; Swenden et Maddens, 2009 ; Detterbeck, 2012) : en ajoutant de nouvelles strates au processus décisionnel, les systèmes partisans multiniveaux peuvent altérer les effets de l’inclusivité et ainsi, du moins en théorie, complexifier davantage le processus de sélection des candidats.

À partir de là, nous pouvons émettre deux hypothèses générales concernant l’impact combiné de l’inclusivité et de la décentralisation sur le profil sociopolitique des candidats. Selon la première hypothèse, des méthodes de sélection très décentralisées et inclusives (les primaires) devraient aboutir à la sélection d’hommes politiques au profil plus classique (des hommes d’âge moyen ayant fait des études supérieures, principalement des avocats) et davantage orientés vers leur région (natifs de la région et ayant déjà une expérience politique régionale). Cela est dû au fait que les membres des partis politiques, ou plus largement les électeurs, préfèrent voter pour des candidats profondément ancrés dans leur région et qui ont le plus de chances d’obtenir le meilleur résultat électoral (voir par exemple Cordero et Cóller, 2015). Symétriquement, la seconde hypothèse indique que des candidats moins ancrés dans la région et au profil moins classique (femmes jeunes ayant arrêté leurs études au niveau du secondaire et sans expérience politique régionale) auront davantage de chances d’être retenus par des sélectorats plus centralisés et plus exclusifs. En effet, ce type de sélectorat devrait avoir davantage de marge pour expérimenter ou pour établir des critères au niveau national plutôt qu’au niveau régional (la parité pouvant, par exemple, ne pas être atteinte dans chaque région mais au niveau national par un effet de compensation) (voir, par exemple, Narud et Valen, 2008 ; Hazan et Rahat, 2010 : 114 et suiv.).

Sélection des cas et méthodologie

Depuis le début des années 1980, l’Espagne est divisée en dix-sept régions appelées communautés autonomes. Ces dernières ont toutes des pouvoirs législatifs et exécutifs définis par leurs statuts régionaux et par la Constitution espagnole. L’organisation politique régionale suit le système parlementaire : les citoyens élisent une assemblée régionale qui choisit ensuite le président de la région. Les principaux partis espagnols sélectionnent puis présentent des candidats à chaque élection régionale ; dans certaines régions, comme la Catalogne ou l’Euskadi (Pays basque), les partis régionaux participent également aux élections.

L’analyse porte ici sur les trois principaux partis d’envergure nationale des dernières décennies : le Partido Popular (Parti populaire, PP), le Partido Socialista Obrero Español (Parti socialiste ouvrier espagnol, PSOE) et Izquierda Unida (Gauche unie, IU). Les sociaux-démocrates du PSOE et les conservateurs du PP ont été les deux acteurs majeurs de la politique espagnole depuis le début des années 1980. Ces deux partis ont été créés avant la transition démocratique et le processus de décentralisation qui l’a suivie. Tous deux étaient des partis très centralisés à la tête desquels se trouvaient des chefs inamovibles, tels Felipe González (PSOE), José Luis Rodríguez Zapatero (PSOE), Manuel Fraga (PP) et José María Aznar (PP), des personnalités qui ont renforcé le pouvoir des élites nationales dans tous les domaines (Oñate, 2008 ; Field et Siavelis, 2011 ; Field, 2013). Alors que la sélection des candidats du PP n’a connu presque aucun changement jusqu’ici, le PSOE a adopté des méthodes plus inclusives, quoique de manière assez erratique. Notons encore que le PSOE a été au gouvernement de 1982 à 1996, puis de 2004 à 2011, tandis que le PP a été à la tête de l’exécutif de 1996 à 2004, puis de 2011 à 2015. Formée en 1986, Izquierda Unida (IU) est une alliance électorale de partis de gauche, dont le Parti communiste espagnol (PCE) est le plus important. Malgré la prééminence de ce dernier et le fort leadership de Julio Anguita, IU est moins centralisée que ne l’était le PCE autrefois. Depuis le début des années 1990, il n’y a pas eu pour autant de changement notable dans les méthodes de sélection des candidats d’IU. Le parti n’a jamais été au pouvoir au niveau national et son succès électoral a été inégal.

L’analyse approfondie des méthodes de sélection des candidats à l’échelle régionale – notre variable indépendante – s’appuie sur la lecture des statuts des partis ainsi que d’autres règles internes[4]. Sont prises en compte, dans un premier temps, les quatre caractéristiques principales correspondant aux dimensions identifiées par Hazan et Rahat (2010), à savoir : les critères de candidature ou d’éligibilité, l’inclusivité du sélectorat, le degré de décentralisation et les caractéristiques du mode de scrutin. L’opérationnalisation de chaque dimension suit scrupuleusement les recommandations de ces deux auteurs. En ce qui concerne les listes de candidats et leur tête de liste, notons que la majorité des partis espagnols ont mis en place des règlements séparés, ce qui justifie une étude distincte (tableaux 1 et 2). Quant à la période analysée (1997-2011), elle varie d’un parti à l’autre. Le PP et IU n’ont pas beaucoup fait évoluer leurs méthodes de sélection des candidats depuis le début des années 1990, alors que le PSOE a adopté sa réglementation actuelle à la fin des années 1990, en introduisant des primaires partisanes comme méthode de sélection alternative. C’est la raison pour laquelle la période considérée s’étend de l’introduction des primaires en 1997 aux élections régionales de 2011. Les élections régionales de 2015 ne sont pas prises en compte car l’apparition de nouvelles forces politiques comme Podemos (Nous pouvons) et Ciudadanos (Parti des citoyens) risquerait d’interférer avec les méthodes de sélection des grands partis traditionnels.

En fusionnant la dimension de l’inclusivité du sélectorat avec celle de la décentralisation, nous aboutissons pour la suite de l’analyse et l’exploration de nos hypothèses centrales à quatre grandes catégories de sélectorats pour les élections régionales en Espagne. La sélection des candidats est le fait soit d’une instance nationale du parti, soit d’une instance régionale, soit d’un processus de sélection qui implique des acteurs à plusieurs niveaux (aux échelles régionale et nationale), soit enfin de primaires[5]. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un sélectorat, nous incluons un cinquième type de sélection beaucoup plus « exclusif » : la resélection des élus sortants[6], ce qui permet de distinguer l’effet que les partis politiques auraient pu avoir sur cette variable (tableau 4).

Les statistiques relatives au profil des candidats portent seulement sur les têtes de listes. Juridiquement, il n’y a pas en Espagne de différenciation entre la tête de liste et les autres candidats : ni la législation sur les partis, ni celle sur les élections (quelle que soit l’élection, municipale, régionale, etc.) ne font ce type de distinction. Cependant, la plupart des partis traitent leurs têtes de listes (qui peuvent éventuellement devenir présidents régionaux si leur parti a la majorité) différemment des autres candidats (tableaux 1 et 2). Par ailleurs, si les têtes de listes ne connaissent pas de conditions de candidature particulières, elles font l’objet d’une couverture médiatique plus forte et de traitements spéciaux en cours de campagne électorale (sécurité accrue, meilleures conditions lors des déplacements, débats).

L’analyse des têtes de listes prend en considération un ensemble de caractéristiques sociodémographiques comme le sexe, l’âge[7], le lieu de naissance (dans la région ou en dehors de celle-ci), le niveau d’études[8] et la carrière professionnelle[9]. Elle s’attache également aux caractéristiques politiques des candidats : être adhérent du parti, en être le leader (responsable de l’organisation extra-parlementaire, par exemple), l’ancienneté au niveau local, régional ou national. Comme indiqué plus haut, notre analyse sera limitée à la période 1997-2011 (même si nous ferons allusion aux caractéristiques sociopolitiques des têtes de listes régionales depuis les premières élections régionales) et à 204 cas. Chaque cas dans notre base de données reprend les caractéristiques d’une tête de liste régionale pour une élection donnée (un même individu peut donc apparaître plusieurs fois pour des élections distinctes). La base de données a été élaborée à partir d’informations provenant de la presse, des sites web des institutions et des partis, ainsi que d’encyclopédies imprimées et en ligne[10].

Les méthodes de sélection des candidats pour les élections régionales en Espagne

Cette section s’attache à décrire et à comparer les méthodes de sélection des candidats régionaux des principaux partis politiques espagnols. Comme nous l’avons déjà indiqué, nous distinguons pour chaque parti les têtes de listes du reste des listes. L’analyse du cas espagnol offre globalement une bonne variance sur la variable indépendante.

Depuis le début des années 1990, il n’y a pas de condition formelle de candidature (pas même être adhérent) pour devenir un candidat régional du PP. Des comités indirectement élus sont chargés de sélectionner les candidats selon des modalités distinctes pour les têtes de listes et pour les autres candidats. La Commission électorale nationale (CEN), dont la composition est déterminée par le Bureau exécutif national, a la charge de la sélection de l’ensemble des têtes de listes régionales. Les présidents régionaux sortants sont généralement réinvestis, mais ce principe ne repose sur aucune règle écrite. Les autres candidats sont sélectionnés par le biais d’un processus en plusieurs étapes : la Commission électorale régionale (CER), une instance du parti indirectement élue par le Bureau exécutif régional, est chargée de faire une première sélection de tous les candidats et le dernier mot revient à la CEN qui supervise le tout. Cette dernière peut déléguer ce contrôle final des listes à chaque CER, mais pour cela elle doit recevoir l’approbation explicite du président du parti.

La sélection des têtes de listes régionales est donc le résultat d’un processus hautement centralisé aux mains de l’élite nationale du parti. Elena María García-Guereta (2001) et Tània Verge (2007) ont fourni de nombreux exemples où les élites partisanes nationales ont imposé avec succès leur choix concernant les têtes de listes régionales. La sélection des autres candidats est par comparaison légèrement plus décentralisée, mais elle demeure fondamentalement aux mains des élites régionales et nationales du parti. Elodie Fabre (2008) a constaté, à partir d’entretiens, que la CEN s’intéresse principalement aux têtes de listes régionales et aux candidats en position éligible. Elle a également remarqué que le degré d’autonomie de la CER dans l’élaboration de la liste du parti dépend fortement de la capacité d’influence du chef régional du parti. Les statuts du parti ne donnent aucune information sur la façon dont la CEN ou la CER prennent leurs décisions, mais la littérature suggère un processus de négociation a) au sein de la CER et b) entre la CER et la CEN (Astudillo et García-Guereta, 2006 ; Fabre, 2008).

Jusqu’au milieu des années 1990, peu de choses différenciaient le PSOE du PP en termes de sélection des candidats (Méndez et al., 2004). En 1997, le PSOE a mis en place un nouveau procédé de désignation des candidats qui est toujours en vigueur. Les conditions d’éligibilité pour obtenir la tête de liste régionale sont assez strictes : le futur candidat doit avoir soit le soutien de la Commission exécutive régionale, soit celui du Comité régional (c’est-à-dire de l’instance représentative régionale), ou encore il doit obtenir quinze pour-cent des signatures des adhérents du parti. Les candidats doivent pareillement se conformer à d’autres exigences : ne pas cumuler avec d’autres mandats électoraux, se soumettre au code éthique du parti et déclarer son patrimoine et ses activités rémunérées.

Les têtes de listes régionales du PSOE peuvent être désignées selon deux mécanismes principaux : a) Lorsque deux prétendants remplissent les conditions de candidature, le parti doit organiser des primaires. Cependant, les primaires sont interdites dans les régions où le parti est au gouvernement, à moins qu’elles aient été approuvées par le Comité régional du parti. La Commission fédérale d’investiture (CFL) peut également décider d’annuler les primaires régionales si nécessaire (notamment en raison d’irrégularités, etc.). Le sélectorat des primaires est composé des adhérents du parti et des sympathisants qui se sont enregistrés au préalable. b) Lorsqu’un seul prétendant parvient à remplir les conditions de candidature ou quand le PSOE gouverne la région, le processus de sélection se fait en plusieurs étapes : le candidat doit d’abord recevoir le soutien du Comité régional et il doit ensuite obtenir la double approbation de la CFL et du Comité fédéral (la principale instance représentative nationale). Jusqu’à présent, seul un petit nombre de têtes de listes régionales ont été désignées à l’issue de primaires (Barberà et al., 2015 ; Ramiro, 2016).

Le processus d’élaboration de la liste comprend plusieurs étapes. Les sections locales du PSOE ou le bureau local du parti peuvent proposer des noms à l’Assemblée provinciale. Le Bureau exécutif provincial élabore une première ébauche de liste, laquelle est ensuite acceptée ou rejetée par le Comité régional. Fabre (2008) a remarqué que les branches régionales du parti peuvent créer une Commission régionale d’investiture pour coordonner l’ensemble du processus avant de soumettre leur proposition au Comité régional. Dans un cas comme dans l’autre, la CFL et le Comité fédéral supervisent et modifient la liste lorsque nécessaire. À la suite d’une enquête approfondie par entretiens, Fabre (2008) a observé que depuis les années 1990, les élites nationales du parti ont rarement interféré dans l’élaboration des listes régionales, sauf lorsqu’il s’agissait de faire respecter le critère de la parité hommes-femmes. On peut citer, parmi les rares exceptions, la démission de la tête de liste régionale de la Communauté valencienne en 1999 après la modification de la liste par les élites nationales (alors que cette dernière avait été approuvée par la branche régionale du parti).

Le degré de décentralisation est donc très élevé lorsqu’on a recours à des primaires partisanes pour sélectionner la tête de liste régionale ; inversement, il décroît quand les instances dirigeantes du parti interviennent. Dans le cas du PSOE, bien que les élites régionales aient un rôle non négligeable dans le processus décisionnel, elles le partagent avec les élites nationales du parti. L’élaboration de la liste est apparemment plus décentralisée du fait de l’implication des adhérents et des sections locales. Cependant, la CFL semble avoir le dernier mot et maintient ainsi une certaine centralisation. Plusieurs auteurs ont documenté le haut degré de centralisation dans les années 1970 et 1980, ainsi que l’expansion de l’autonomie des branches régionales depuis le milieu des années 1990 (Gillespie, 1989 ; Juliá, 1997 ; Méndez et Orte, 2005 ; Betanzo, 2006 ; Fabre, 2008).

Le mode de scrutin n’est pas clairement défini dans la réglementation du PSOE. Le parti a jusqu’à présent pratiqué un mode de scrutin majoritaire pour ses primaires. Ce même système est utilisé pour obtenir l’approbation des listes et des têtes de listes régionales par le Comité régional et par le Comité fédéral. La manière dont les décisions sont prises au sein de la CFL n’est pas spécifiée non plus, mais on peut supposer qu’elles sont le fruit de négociations complexes à l’intérieur de la CFL même et entre la CFL et d’autres acteurs influents.

Le Parti communiste espagnol, l’ancêtre d’IU, disposait d’un processus de sélection très centralisé. En 1993, IU a adopté un nouveau système qui reste en vigueur aujourd’hui (Méndez et al., 2004). Les statuts du parti ne donnent que des orientations générales concernant les conditions d’éligibilité. Là encore, aucune différence n’est faite entre les têtes de listes et les listes elles-mêmes. Parmi les exigences les plus claires, on trouve l’interdiction de cumuler avec un autre mandat électif et celle d’exercer plus deux mandats consécutifs au même poste (sauf exception). Les statuts du parti encouragent vivement la parité des sexes dans toutes les listes.

La sélection des candidats régionaux au sein d’IU est véritablement décentralisée au niveau régional. C’est pourquoi les statuts du parti sont imprécis quant à l’organisation du processus décisionnel : la Commission électorale régionale ou un nombre déterminé d’adhérents peuvent proposer de recourir à des listes fermées. Les statuts du parti suggèrent de façon ambiguë que la sélection des candidats doit être faite au moyen de mécanismes démocratiques directs. Des auteurs, dont Mónica Méndez, Laura Morales et Luis Ramiro (2004) de même que Tània Verge (2007), notent cependant que si quelques élections primaires ont été organisées depuis 1993, aucune réglementation ou presque n’est venue encadrer une procédure qui n’a été utilisée que très occasionnellement. Les listes sont le plus souvent élaborées dans une assemblée régionale par un système de vote complexe basé sur une représentation proportionnelle qui applique la parité des sexes. Le Conseil politique régional (Consejo Político) a le dernier mot.

Le tableau 1 présente une vue d’ensemble des méthodes de sélection des listes de candidats entre 1997 et 2011. Au PSOE, les conditions de candidature pour les membres de la liste sont moins exigeantes que pour les têtes de liste. Il n’y a de différences formelles ni au PP, ni à IU. Dans tous les partis, la liste est constituée par des sélectorats stratifiés. Les principales différences entre les partis résident dans leur niveau de décentralisation : le PSOE et le PP délèguent leur décision finale au niveau national, alors qu’IU la maintient à l’échelon régional. Cependant, on en sait peu sur la manière précise dont les décisions sont prises lorsque la sélection implique plusieurs instances à différents niveaux.

Tableau 1

Les méthodes de sélection des candidats sur les listes pour les élections régionales en Espagne (1997-2011)

Les méthodes de sélection des candidats sur les listes pour les élections régionales en Espagne (1997-2011)

CER : Commission électorale régionale ; CEN : Commission électorale nationale ; CFL : Commission fédérale d’investiture.

Sources : Données de l’auteur à partir des statuts et règlements des partis politiques (l’opérationnalisation suit les principes énoncés par Hazan et Rahat, 2010)

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Tableau 2

Les méthodes de sélection des candidats têtes de listes pour les élections régionales en Espagne (1997-2011)

Les méthodes de sélection des candidats têtes de listes pour les élections régionales en Espagne (1997-2011)

*Élections primaires dans les îles Baléares en 2010 **Élections primaires à Madrid en 1998. Les autres élections primaires ont été le fait d’Iniciativa per Catalunya-Els Verds, le parti frère d’IU en Catalogne.

Sources : Données de l’auteur à partir des statuts et règlements des partis politiques (l’opérationnalisation suit les principes énoncés par Hazan et Rahat, 2010)

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Le tableau 2 se concentre sur les têtes de listes régionales pour la même période et permet de les situer dans différentes catégories. C’est au PP que les conditions formelles de candidature sont les plus légères, tandis que le PSOE applique des conditions bien plus strictes. IU se trouve dans une position intermédiaire, bien qu’elle soit plus proche du PSOE que du PP. Chaque parti a opté pour différents types de sélectorats et différents niveaux de centralisation. Là où le PP a le système le plus exclusif et le plus centralisé de tous, le PSOE et IU sont à mi-chemin sur ces deux dimensions : IU est davantage décentralisée car elle a recours à une instance représentative du parti à l’échelon régional, alors que le PSOE a opté pour une méthode en plusieurs étapes qui combine le niveau régional et le niveau national et procède également à des primaires. Quel que soit le sélectorat, les décisions sont adoptées de manière formelle suivant des scrutins majoritaires uninominaux, exception faite d’IU qui utilise un scrutin proportionnel.

Profil des têtes de listes régionales en Espagne

Les pages précédentes ont permis d’examiner les différentes méthodes de sélection des candidats au niveau régional depuis la fin des années 1990. Dans les sections qui suivent, nous nous intéressons au profil des candidats en tête des listes aux élections régionales : d’abord pour montrer les profils qui se détachent au sein de chaque parti, puis pour déterminer si des différences s’établissent en fonction de la méthode de sélection adoptée.

Les partis espagnols ont-ils, depuis la fin des années 1990, opté pour des profils de têtes de listes très différents ? Le tableau 3 montre que certaines caractéristiques sociologiques sont communes à l’ensemble des partis tandis que d’autres, qui concernent essentiellement la carrière politique, les différencient davantage. Malgré des réformes dans leurs méthodes de sélection et des efforts pour promouvoir des quotas féminins, les partis politiques espagnols privilégient toujours les candidatures masculines en tête des listes ; les écarts entre les partis sont minimes. Un phénomène similaire se produit en ce qui regarde l’âge : de manière générale, les partis préfèrent les candidats d’une quarantaine d’années aux candidats très jeunes ou très âgés. Ces observations doivent cependant être interprétées avec précaution en raison des écarts-types élevés dans les données. Enfin, les partis investissent des candidats natifs de la région où ils se présentent : même si environ un quart des candidats sont nés dans d’autres régions, les différences entre les partis ne sont pas significatives.

Tableau 3

Principales caractéristiques des candidats têtes de listes aux élections régionales en Espagne (1997-2011) (en pourcentage)

Principales caractéristiques des candidats têtes de listes aux élections régionales en Espagne (1997-2011) (en pourcentage)

1. Le tableau ne reprend qu’une partie des catégories. *p < 0,05 **p < 0,001 (résultats du test du Chi2 avec SPSS).

Source : Base de données de l’auteur

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Si l’on peut penser que tous les candidats se ressemblent compte tenu des convergences observées sur les plans de l’âge, du sexe et du lieu de naissance, l’examen d’autres caractéristiques sociologiques fait apparaître d’importantes différences. Bien que beaucoup des candidats têtes de listes aient au minimum une licence, le niveau d’études est une caractéristique discriminante. Près de un quart des candidats du PSOE sont titulaires d’un doctorat, là où un quart des candidats d’IU n’ont pas poursuivi leurs études jusqu’à la maîtrise, situation qui concerne moins de deux pour-cent des candidats du PP. La carrière professionnelle en amont des premiers postes politiques est elle-même liée au niveau d’études. Le PSOE recrute une part importante de ses candidats parmi les professeurs d’université, tandis qu’IU fait appel à des personnes qui ont un niveau de scolarité secondaire ou inférieur. Le PP, quant à lui, puise dans les ressources humaines de l’administration publique (excepté l’éducation) et parmi les avocats.

Même si l’adhésion au parti n’est pas une condition formelle de candidature dans les trois partis étudiés, presque tous les candidats s’y conforment. Cependant, tous les partis ne désignent pas leur leader régional comme tête de liste. C’est le cas neuf fois sur dix au PP et à IU, alors que moins des trois quarts des têtes de listes du PSOE étaient les dirigeants régionaux du parti au moment de l’élection (bien que la plupart d’entre eux aient probablement été amenés à exercer des fonctions de direction par la suite).

En Espagne, les têtes de listes régionales se distinguent également par leur ancienneté dans la politique et par l’échelon territorial où elles ont précédemment exercé des mandats. La moitié des têtes de listes du PSOE, du PP et d’IU ont eu une fonction politique locale dans le passé, en particulier à l’échelon régional : près de 80 pour-cent des candidats du PSOE et du PP et 60 pour-cent de ceux d’IU ont déjà une expérience à ce niveau. En outre, plus de la moitié des candidats du PP et du PSOE ont déjà été candidats en tête de liste lors d’élections régionales précédentes. IU ne connaît pas cette même tendance, le taux de rotation de ses candidats étant plus élevé. Enfin, la moitié des candidats du PSOE et du PP ont de l’expérience au niveau national, mais c’est le cas de moins de 10 pour-cent des candidats d’IU. Ces chiffres semblent indiquer que les candidats têtes de listes aux élections régionales peuvent suivre un plan de carrière ascendant aussi bien que descendant.

Relation entre méthode de sélection des têtes de listes aux régionales et profil sociopolitique des candidats

Pour les élections régionales, les partis politiques espagnols sélectionnent – comme on l’a vu – des têtes de listes qui comportent certaines caractéristiques communes comme le sexe et l’âge, mais qui se différencient par leur trajectoire politique. Il s’agit à présent de déterminer si la méthode de sélection des candidats affecte le profil sociopolitique des candidats qui occupent les têtes de listes. Pour ce faire, nous nous appuyons sur la typologie déjà présentée qui combine l’inclusivité du sélectorat et son degré de décentralisation. Nous avons identifié quatre catégories : la sélection par les instances nationales, la sélection par les instances régionales, la sélection séquentielle combinant les niveaux régional et national, et les primaires. À ces catégories il faut ajouter celle des sortants. Il convient de préciser ici que cette variable est partiellement corrélée au parti politique : les données de certaines catégories ne proviennent que d’un seul parti (le PP pour la sélection centralisée au niveau national et le PSOE pour la sélection séquentielle), alors que d’autres ont été fusionnées à partir de plusieurs partis (le PSOE et le PP pour les sortants, le PSOE et IU pour la sélection régionale, et tous les partis en ce qui concerne les primaires). Ces variations devraient néanmoins permettre de tester les hypothèses issues de notre cadre théorique.

Indépendamment de la méthode de sélection des candidats, les têtes de listes espagnoles sont très majoritairement des hommes qui approchent la cinquantaine et sont natifs de la région où ils se présentent (tableau 4). D’autres tests statistiques montrent toutefois que la moyenne d’âge diffère significativement entre les sortants (plus âgés) et les candidats qui sont issus d’une sélection faite par la direction nationale, régionale ou séquentielle du parti[11]. Cela corrobore dans l’ensemble les conclusions de la section précédente sur l’homogénéité des partis politiques espagnols en termes de domination masculine, de lieu de naissance et, dans une moindre mesure, d’âge.

La lecture du tableau 4 révèle, en revanche, des différences notables en ce qui concerne le niveau d’études des têtes de listes. Les sortants sont ceux qui possèdent le plus souvent un diplôme de doctorat, alors que les têtes de listes sélectionnées par les instances régionales du parti, c’est-à-dire les candidats d’IU, présentent la plus forte proportion de personnes à ne pas avoir suivi un parcours universitaire. Les méthodes de sélection restantes ne semblent pas induire de différences particulières.

Les partis politiques constituent une variable intermédiaire pertinente en ce qui concerne la carrière professionnelle des candidats. Alors que près de la moitié de ceux sélectionnés par les instances nationales du parti – les candidats du PP – provenaient de la fonction publique, près de 40 pour-cent de ceux sélectionnés par les instances régionales du parti – les candidats d’IU – oeuvraient dans le domaine de l’enseignement. Par ailleurs, les sortants et les candidats issus de primaires sont ceux qui comptent le plus grand nombre de professeurs d’université dans leurs rangs, ce qui peut expliquer la proportion élevée de détenteurs d’un doctorat dans ces deux catégories.

La méthode de sélection ne semble pas avoir d’incidence sur l’importance de l’adhésion partisane : dans tous les cas de figure, les candidats têtes de listes sont très majoritairement membres d’un parti politique. Les résultats sont différents en ce qui concerne la variable « dirigeant régional du parti ». Dans ce cas, les primaires se singularisent par rapport aux autres méthodes de sélection des candidats : moins de la moitié de leurs têtes de listes avaient ce type de responsabilité, alors que la proportion était de 77 à 90 pour-cent pour les autres méthodes de sélection. Cela est sûrement dû au fait que pour le PSOE, où elles sont organisées, les primaires ne sont pas seulement un moyen efficace de trouver de bons candidats, mais aussi d’identifier de futurs dirigeants : une fois que le nouveau candidat a prouvé qu’il pouvait remporter une victoire électorale, il est alors considéré comme étant apte à être investi comme dirigeant.

Tableau 4

Méthodes de sélection et caractéristiques des candidats têtes de listes régionales en Espagne (1997-2011) (en pourcentage)

Méthodes de sélection et caractéristiques des candidats têtes de listes régionales en Espagne (1997-2011) (en pourcentage)

1. Le tableau ne reprend qu’une partie des catégories. *p < 0,05 **p < 0,001 (résultats du test du Chi2 avec SPSS).

Source : Base de données de l’auteur

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Cette capacité qu’ont les primaires de servir de tremplin pour le renouvellement des dirigeants d’un parti est également perceptible lorsque l’expérience politique est prise en considération. Cela n’apparaît pas si l’on s’en tient aux anciens mandats aux niveaux local et régional, mais c’est très clair en ce qui concerne les précédentes candidatures comme chefs de file régionaux : les candidats sélectionnés par des primaires diffèrent fortement de ceux de toutes les autres méthodes de sélection. Cela se vérifie en outre sur le plan de l’expérience nationale, bien que les candidats choisis par les instances régionales de leur parti aient encore moins d’expérience nationale que ceux issus de primaires partisanes. À l’évidence, les sortants sont ceux qui ont la plus forte expérience au niveau régional. Indépendamment du type de sélectorat, près de la moitié des candidats ont de l’expérience au niveau local. L’engagement au niveau régional est néanmoins très hétérogène : les candidats sortants ont évidemment tous cette expérience, mais ce n’est le cas que de la moitié des candidats sélectionnés par les instances régionales du parti (les candidats IU). Le résultat est tout autre lorsqu’on prend en compte les anciennes candidatures comme têtes de listes : les primaires (25 %) et les élus en poste (92 %) correspondent à deux configurations diamétralement opposées ; en revanche, on ne relève pas de différence significative entre les candidats sélectionnés par les méthodes de sélection restantes. Ici encore, on peut observer des disparités en termes d’expérience politique au niveau national. Parmi les têtes de listes sélectionnées de manière centralisée par la direction nationale de leur parti ou suivant un processus à plusieurs étapes, plus de la moitié avaient préalablement exercé des fonctions à l’échelle nationale. De même, la moitié des élus sortants (52,2 %) avaient une expérience nationale, ce qui n’est pas le cas des candidats sélectionnés par les instances régionales du parti ou, dans une moindre mesure, lors de primaires. Les partis politiques semblent donc être une variable intermédiaire déterminante entre l’ancienneté politique et la méthode de sélection des candidats.

Discussion et conclusions

L’objectif de cette contribution était d’évaluer la relation entre les différentes méthodes de sélection des candidats et les profils des têtes de listes aux élections régionales espagnoles. En nous focalisant sur l’échelon régional, nous avons pu examiner l’influence combinée de l’inclusivité du sélectorat et de la décentralisation, deux dimensions analytiquement différentes. Si ces deux aspects ne vont pas nécessairement de pair à l’échelle nationale (Hazan et Rahat, 2010), les dissocier au niveau régional est quasiment impossible. C’est pourquoi notre cadre théorique a suggéré différentes manières dont ces dimensions peuvent affecter la représentation et, plus particulièrement, le profil sociopolitique des candidats aux élections régionales.

Les résultats de notre recherche ne semblent pas corroborer certaines conclusions des recherches antérieures relatives aux effets du sélectorat sur la représentation-miroir. En ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe et lieu de naissance) des candidats têtes de listes, les différences d’un sélectorat à un autre sont minimes. Cela pourrait porter à douter de l’affirmation selon laquelle les sélectorats réduits sont plus à même d’équilibrer la représentation (Hazan et Rahat, 2010 : 114). Cependant, nous n’avons traité ici que des têtes de listes aux élections régionales qui sont, par nature, très difficiles à équilibrer. Est-il possible aussi que les résultats soient biaisés parce que nous nous sommes seulement concentré sur l’échelon régional ? Nos résultats révèlent qu’indépendamment du parti et de la méthode de sélection, il y a un profil commun typique des têtes de listes régionales en Espagne. Les données ne semblent pas montrer que l’échelon régional joue un rôle important dans ce processus.

Un constat similaire peut être dressé à propos des parcours scolaires des candidats. Comme les travaux sur les élites politiques l’avaient déjà établi, tous les partis et toutes les méthodes de sélection favorisent généralement les candidats ayant suivi un cursus universitaire. À nouveau, un tel résultat peut être lié au fait que nous ne nous sommes intéressé qu’aux candidats têtes de listes et non à l’ensemble des listes où la représentation peut être mieux équilibrée. Dans ce cas, la méthode de sélection des candidats semble avoir une certaine influence sur le niveau d’études des candidats choisis, bien qu’il soit difficile d’établir le sens de la relation ; cela est sans doute attribuable au fait que les partis politiques constituent une variable intermédiaire puissante. Il en est de même pour l’expérience professionnelle : les partis politiques espagnols recrutent dans des milieux très différents (fonction publique, professeurs d’université, professeurs du secondaire), ce qui affecte la relation entre la méthode de sélection et le profil des candidats.

Les partis espagnols ont donné d’importants pouvoirs à leurs dirigeants, notamment en termes de contrôle de l’organisation parlementaire et extra-parlementaire, tant au niveau national que régional. Cela explique que les chefs de parti au niveau régional deviennent souvent les têtes de listes lors des élections régionales, et ce, quelle que soit la méthode de sélection. Les primaires font ici figure d’exception dans la mesure où elles constituent une voie alternative pour accéder au pouvoir : le candidat doit d’abord prouver son potentiel d’attraction électorale pour ensuite être nommé chef du parti à l’échelle de la région. Les sortants, lorsqu’ils sont chefs de parti, ne sont généralement pas soumis à la contrainte de la primaire. Il est intéressant de noter que le caractère multiniveau de la politique espagnole joue ici un rôle important, les primaires n’ayant été utilisées qu’une fois par le PSOE et une fois par IU au niveau national entre 1997 et 2011. De fait, c’est avant tout aux niveaux régional et local que les principaux partis ont choisi d’expérimenter cette nouvelle méthode de sélection.

Les méthodes de sélection exercent également une certaine influence sur l’expérience politique préalable des candidats choisis : comme nous l’avons indiqué plus haut, les candidats investis à l’issue de primaires ont peu d’ancienneté, quel que soit le niveau. En revanche, presque tous les élus sortants ont déjà été à la tête d’une liste régionale et ont exercé différents types de mandats. Cela dit, les partis politiques représentent ici encore une variable intermédiaire de poids ; il est donc difficile de dissocier leurs effets de celui des méthodes de sélection des candidats.

Enfin, deux hypothèses générales se dégagent de notre cadre analytique : les méthodes de sélection fortement décentralisées et plus inclusives seraient plus susceptibles de retenir des candidatures plus classiques et davantage enracinées dans la politique régionale, tandis que les sélectorats centralisés et exclusifs opteraient pour des têtes de listes moins orientées vers la région et moins classiques. La première partie de chaque hypothèse – profils régionaux ou non – ne semble pas être validée car nous ne pouvons constater qu’une légère différence entre les méthodes qui intègrent les instances nationales du parti au processus de sélection, celles qui se déclinent en plusieurs étapes, et les autres types de sélectorat (les deux variables n’étant pas liées). La deuxième partie de notre hypothèse qui a trait au profil traditionnel ou non n’est pas non plus vérifiée si l’on prend en compte l’âge, le sexe ainsi que certains aspects politiques comme être membre du parti. Cependant, les primaires et les sélectorats à plusieurs étapes engendrent effectivement des profils de carrière plus diversifiés que les autres sélectorats.

De manière générale, les données issues du cas espagnol ont montré que les méthodes de sélection des candidats ont une influence sur les profils des candidats positionnés en tête des listes. Or, il est difficile de déterminer la façon dont la relation fonctionne étant donné que le niveau régional combine à la fois la dimension de la décentralisation et celle de l’inclusivité. Il semble en réalité y avoir deux modèles en forte opposition : d’une part les sortants, d’autre part les candidats élus lors de primaires. Les catégories restantes sont en quelque sorte dans une position intermédiaire, mais pas nécessairement selon une logique parfaitement linéaire. Nous avons aussi montré la pertinence d’autres variables intermédiaires comme les caractéristiques organisationnelles des partis politiques. Si tout cela nous empêche de tirer des conclusions unilatérales, cela prouve néanmoins l’importance de tenir compte de l’organisation interne des partis, en particulier dans un système politique multiniveau.