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Le choix d’un chef de parti n’est pas un exercice banal. La méthode retenue pour faire ce choix n’est également pas sans conséquences, sur les plans interne et externe. Plusieurs systèmes partisans connaissent une ouverture plus grande du processus de sélection des chefs de leurs principaux partis (LeDuc, 2001 ; Pilet et Cross, 2014). Cette tendance à l’ouverture implique la contribution d’un nombre toujours plus important d’individus à la sélection du chef. Elle impose plusieurs éléments de réflexion quant à l’évolution de la dynamique interne au sein d’une formation politique. Il en est de même au niveau de la distribution du pouvoir entre le chef et les militants, mais également à celui de la légitimité populaire des partis politiques.

Aux États-Unis, les partis ont depuis longtemps choisi un degré d’ouverture élevé pour leur processus de sélection des candidats à l’élection présidentielle (Bartels, 1989). En France, les deux formations politiques dominantes se sont également engagées dans cette voie (Grunberg, 2015 ; Haegel, 2015). Au Canada, avec les modifications apportées en 2014 au processus de sélection du chef du Parti libéral du Canada (PLC) et l’élection de Justin Trudeau en 2015, la question d’adopter la formule de primaires ouvertes se pose maintenant avec davantage de pertinence.

Une primaire est une formule qui remet en question le pouvoir de la direction (ou de l’élite) d’un parti de choisir son chef. Dans le cas d’une primaire fermée, ce pouvoir est conféré aux membres en règle selon la formule « un membre, un vote ». Pour une primaire ouverte, il est aussi accordé à certains électeurs qui ne sont pas pour autant membres en règle du parti (Audemard et Gouard, 2014).

La réforme du PLC laisse poindre un phénomène nouveau dans un contexte de parlementarisme de type britannique. Dans ce type de régime, les candidats au poste de chef de parti sont de facto des candidats au poste de premier ministre lorsque leur parti forme déjà le gouvernement. Si ce n’est pas le cas, ils deviennent rapidement des aspirants candidats à ce poste après leur sélection. Contrairement aux États-Unis ou à la France, ils se retrouvent à la tête d’une structure partisane hiérarchisée, à la fois aux commandes de l’aile parlementaire et de l’aile militante. Comme c’est le cas au Canada et au Québec, le chef est un personnage puissant, sans véritable contrepoids en raison d’une discipline de parti rigide. Le choix du chef aura donc des effets plus significatifs et plus durables auprès de l’organisation partisane. Il appartient par ailleurs à chaque parti d’établir les modalités de la sélection de leur chef. Par conséquent, un parti choisit qui sera son candidat au poste de premier ministre lors des élections générales ou en remplacement d’un premier ministre démissionnaire. Le chef de parti est donc le personnage central de la vie politique au Canada (Savoie, 1999). Cela est d’autant plus vrai que les campagnes électorales sont structurées autour d’eux et que le vote personnel attribuable aux candidats locaux demeure très faible (Blais et al., 2003).

À l’aide des cas canadien et québécois, cet article a pour objectif d’expliquer les causes qui favorisent l’adoption d’une formule de primaire ouverte. En effet, la direction d’un parti politique au Canada bénéficie d’un contrôle plus important sur la vie partisane interne que celui observé au sein de systèmes différents. Il faut donc avoir des raisons majeures pour consentir à se départir de ce niveau de contrôle. Les partis politiques sont-ils ainsi à la recherche d’une légitimité accrue auprès d’un bassin plus large d’électeurs, et ce, dans un contexte de déclin du militantisme traditionnel ? En somme, au-delà d’un mimétisme institutionnel, existe-t-il des facteurs qui favorisent l’ouverture du processus de sélection des chefs ?

Sur le plan méthodologique, nous utiliserons le cadre développé par Lawrence LeDuc (2001) afin de comparer sur une échelle précise les différents niveaux d’ouverture des processus de sélection des candidats au poste de chef et éventuellement de premier ministre. Cela nous permettra d’abord de dresser le portrait de l’ouverture du processus de sélection des chefs des principaux partis politiques à la Chambre des communes du Canada ainsi que des partis représentés à l’Assemblée nationale du Québec. LeDuc (2001) a développé un continuum d’ouverture (inclusiveness continuum) sur lequel il situe les différentes formations politiques. Entre le choix réservé au caucus parlementaire et à la tenue de primaires ouvertes, il identifie différents niveaux d’ouverture quant à la sélection du leader. Il applique initialement son continuum au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis. Ce même outil sera cependant utilisé par d’autres auteurs pour décrire d’autres systèmes partisans. C’est notamment le cas des systèmes partisans roumain (Chiru et Gherghina, 2012) et israélien (Shomer, 2009). Nous dresserons ensuite un bref portrait du déclin du militantisme partisan afin d’en mesurer l’étendue. Nous utiliserons pour ce faire des données portant sur les revenus d’adhésion ainsi que sur le nombre de contributions.

Pour identifier empiriquement les caractéristiques qui favorisent l’ouverture, nous analyserons deux cas, ce qui constitue d’ailleurs la principale contribution théorique de cet article. Au Canada, deux formations politiques ont connu un débat sur l’intégration de primaires ouvertes. L’une, le Parti libéral du Canada, a retenu cette façon de faire alors que l’autre, le Parti québécois, l’a rejetée. En raison de leur choix différent, ces deux partis nous permettront de mieux comprendre les facteurs qui favorisent une telle réforme de leur statut. Il convient cependant de commencer par un bref rappel de la littérature qui constitue l’ancrage théorique de cet article.

La littérature : une tendance vers l’ouverture

Le choix du leader demeure l’une des fonctions centrales des partis politiques. Cela est d’autant plus vrai qu’au Canada les campagnes électorales sont de plus en plus centrées et structurées sur les aptitudes et les qualités des chefs (Kenig, 2009). Certains auteurs constatent même que, selon les circonstances, la sélection du candidat s’avère plus importante que l’élection elle-même (notamment Cross, 2008).

Sur le plan évolutif, James W. Davis (1998) et Lawrence LeDuc (2001) observent une tendance à l’ouverture du processus de sélection des candidats à la chefferie des partis. Dans la majorité des cas, la première étape est de passer d’un congrès de délégués vers une primaire fermée. LeDuc (2001) établit d’ailleurs trois constats pour le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni : 1) des résultats électoraux dévastateurs ont créé des conditions favorables au changement de processus ; 2) une plus grande perméabilité du processus accentue la possibilité d’élire un chef de parti qui provient de l’extérieur ; 3) le degré d’ouverture peut s’avérer être un mécanisme qui permet d’assurer davantage de légitimité. Il peut également être porteur de conflits, et ce, en assurant une plus grande diversité de points de vue. Des expériences canadienne, américaine et britannique, LeDuc conclut également qu’il existe une tendance irréversible vers une démocratisation accrue du processus de sélection des candidats. Cela aurait pour effet de réduire le poids de l’aile parlementaire. Il prévoit même que les systèmes parlementaires de type britannique importeront de plus en plus de caractéristiques inhérentes aux primaires américaines, ce qui, à terme, impliquerait un changement de style des chefs politiques, dans la mesure où l’arène électorale exige des qualités différentes de l’arène parlementaire, particulièrement sur les plans de l’image et de la communication. Cela se traduirait également par le risque pour les partis de perdre de plus en plus le contrôle du processus, comme c’est le cas aux États-Unis. Cette dernière prédiction ne s’avère cependant pas toujours. Au Portugal, par exemple, le processus d’ouverture de sélection des chefs n’a pas été accompagné d’une perte de contrôle des élites des partis (Lisi, 2010).

Michael Gallagher et Michael Marsh (1988) insistent plutôt sur la prise en compte aussi de l’aspect culturel des électeurs. Ils donnent l’exemple de l’attachement des Américains envers le processus de primaires, en le comparant au Canada où cet attachement va plutôt au respect de l’implication des membres. Ofer Kenig (2007) constate que l’ouverture ne garantit pas davantage de démocratie. Ainsi, les différents modes de sélection des chefs comportent autant d’avantages que d’inconvénients sur le plan démocratique. Un congrès à la direction conventionnel avec des délégués est assurément plus oligarchique, moins transparent et moins accessible à de nouveaux acteurs. En revanche, ce type de processus de sélection est davantage compétitif et se fait à moindres frais. À l’inverse, un processus ouvert est plus coûteux et peut rendre les candidats plus dépendants d’une certaine élite du milieu des affaires pour assurer leur financement. En contrepartie, le nouveau leader bénéficie théoriquement d’une plus grande légitimité puisque son mandat s’appuie sur le vote d’un plus grand nombre d’individus.

De son côté, Gideon Rahat (2007), après une étude comparative – y compris du cas canadien –, constate que les primaires ouvertes ne favorisent pas la cohésion. Il dresse deux principaux constats. D’abord, la plupart des juridictions, à l’exception des États-Unis, demeurent réticentes à ce que l’État intervienne de manière législative dans le choix du processus de sélection des candidats. C’est le cas au Canada, sauf pour le financement des candidats à la chefferie qui est encadré par la loi depuis peu. Ensuite, il juge que l’ouverture du système de sélection des candidats peut paraître plus démocratique, mais peut également conduire à une représentation moins fidèle des minorités. Le débat reste donc ouvert sur les bénéfices démocratiques de l’ouverture du système de sélection des leaders.

En ce qui concerne le cas canadien, la littérature offre deux éléments de réflexion. Le premier porte sur la tendance naturelle vers l’ouverture du processus de sélection du chef. Cette ouverture est encore plus favorisée à la suite de difficultés électorales. Le deuxième porte sur les effets en termes d’avantages et d’inconvénients sur le plan démocratique de l’ouverture de ce processus.

Notre article va au-delà de ces constats. Sur le plan empirique, grâce à l’analyse de nos deux cas, il permet de démontrer les résistances à l’ouverture, mais également les facteurs qui rendent celle-ci possible dans un contexte de parlementarisme britannique où la direction d’un parti dispose d’un pouvoir important et hautement hiérarchisé. Nous montrerons d’ailleurs que la crainte de la perte de légitimité d’un parti institutionnalisé permet d’expliquer un tel changement.

Une ouverture asymétrique du processus de sélection des chefs au Canada

Le Parti québécois, en 1985, a été le premier parti politique d’importance au Canada à modifier ses statuts pour intégrer le vote universel de ses membres lors du choix du chef. Au Canada, pendant des décennies, ce choix reposait sur la tenue de congrès à la chefferie réunissant des délégués. En examinant les règles qui prévalent maintenant au sein des principaux partis qui évoluent sur la scène fédérale au Canada et ceux représentés à l’Assemblée nationale du Québec, force est de constater que la vaste majorité des partis ont opté pour une plus grande ouverture de leur processus de sélection. Contrairement à la prédiction de LeDuc, on n’assisterait cependant pas à une tendance conduisant irrémédiablement vers l’adoption de primaires ouvertes.

Figure 1

État de la situation au Canada et au Québec

État de la situation au Canada et au Québec
Source : Selon l’échelle de Lawrence LeDuc, 2001

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Adaptée de l’échelle d’ouverture développée par LeDuc (2001), la figure 1 illustre que la majorité des partis, tant au Québec qu’au Canada, sélectionnent leur chef par le biais de primaires fermées. Seulement un des partis sélectionnés opte toujours pour une sélection du chef par des délégués réunis en congrès.

À Ottawa, c’est le cas du Nouveau Parti démocratique (NPD), dont les statuts prévoient que « le chef sera élu par scrutin secret » et que « tous les membres ont le droit de voter lors de la sélection du chef » (NPD, 2013 : 6). Le même principe s’applique au Bloc québécois (2014). Les statuts du Parti conservateur du Canada (PCC) stipulent que chaque membre participe à l’élection du chef ; en outre, « l’élection du chef a lieu par le vote direct des membres dans chacune des circonscriptions électorales » (PCC, 2016 : 13). Chaque membre à un vote, mais chaque circonscription à 100 points. Ainsi, selon les statuts, « Les candidats à la direction reçoivent un total de points en fonction du pourcentage des voix remportées dans chaque circonscription » (ibid.). Une majorité de voix dans l’ensemble du pays est nécessaire pour remporter l’élection. Notons que le vote a lieu par scrutin préférentiel transférable. Cette formule est le fruit d’un compromis négocié lors de la fusion du Parti conservateur et de l’Alliance canadienne visant à tenir compte d’un plus faible membership du nouveau parti dans l’Est du Canada. Nous reviendrons plus tard sur le cas du Parti libéral du Canada (PLC) qui a délaissé la formule des congrès à la direction en 2013 pour une primaire ouverte qui inclut des membres et des sympathisants.

Au Québec, le processus de sélection des chefs est plus fermé qu’au niveau fédéral. Trois formations prévoient la tenue de primaires fermées et aucune, comme nous le verrons plus tard avec l’analyse du cas du Parti québécois (PQ), n’a jusqu’à maintenant retenu un processus de primaires ouvertes. Les statuts du PQ prévoient que « si le Parti doit procéder à l’élection de la ou du chef, celle-ci se tient au suffrage universel direct des membres du Parti, au moment jugé opportun et selon un règlement adopté, sur proposition du conseil exécutif national, par la conférence nationale des présidentes et des présidents réunie en séance régulière ou spéciale » (PQ, 2011 : 5). La constitution de la Coalition Avenir Québec (CAQ) stipule que « l’élection d’un nouveau chef se tient au suffrage universel secret direct des membres du parti de la façon prévue par le Conseil exécutif national » (CAQ, 2014 : 14). Le suffrage universel des membres selon une formule de points par circonscription sera aussi utilisé pour élire le prochain chef du Parti libéral du Québec (PLQ) (2015). Le cas de Québec Solidaire (QS) est plus complexe. En principe il n’y a pas de chef, mais plutôt deux porte-parole élus. L’un doit être un homme et l’autre une femme. L’un émane de l’aile parlementaire et l’autre de l’aile militante. Ce dernier est élu lors d’un congrès réunissant des délégués. Ce fut le cas en 2013 avec 600 délégués (QS, 2013).

De façon générale au Canada, on note une tendance vers davantage d’ouverture du processus de sélection du chef. Cette tendance est plus marquée au niveau fédéral. Cela a eu pour effet d’accroître de façon importante le nombre de participants au vote pour le chef d’un parti. Kenig (2009) illustre d’ailleurs ce changement. En 2004, lors de la dernière course à la chefferie chez les conservateurs, 93 000 membres se sont exprimés. Ce fut le cas de 58 202 membres au NPD en 2003, et de 48 437 membres au Bloc québécois en 1997. En revanche, lors de sa dernière course traditionnelle en 2006, le choix du chef du PLC a été fait par 4815 délégués.

Lors de la course de 2012 au NPD, 65 108 membres se sont exprimés (Wherry, 2012). Au Bloc québécois, ce fut le cas de quelque 11 000 membres (Castonguay, 2014). Avec son nouveau mode de primaire ouverte, la course au PLC de 2013 aura permis d’attirer encore davantage de personnes. En tenant compte du niveau d’ouverture élevé du processus retenu, leur nombre a toutefois été, comme nous le verrons, relativement limité.

Un contexte de déclin du militantisme partisan

L’évolution du processus de sélection des chefs au Canada s’effectue dans un contexte de déclin du militantisme partisan. En parallèle, on note une professionnalisation et l’utilisation grandissante de nouvelles technologies pour compenser ce déclin (Montigny, 2015). Ce phénomène s’inscrit dans un contexte d’une diminution de l’importance de l’identification partisane et de la participation électorale (Gélineau, 2012).

Au sein des partis canadiens, ce déclin est amorcé depuis des années. Il y a peu de militants et ceux-ci y sont vieillissants (Cross et Young, 2004). À peine 16 pour-cent des Canadiens disent avoir déjà milité et moins de 2 pour-cent avoir été membre d’un parti fédéral (Howe et Northrup, 2000). Cela concorde d’ailleurs avec la transformation vers des partis de franchise (Carty, 2004) qui laissent beaucoup moins d’espace aux militants dans les orientations de leur formation politique.

Graphique 1

Évolution des revenus d’adhésion au Québec

Évolution des revenus d’adhésion au Québec
Sources : Benoit, 2007 ; et Directeur général des élections du Québec, 2016

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Au Canada comme au Québec, les partis politiques sont plutôt discrets quant au nombre réel de leurs membres. Dans le cas du Québec, il est possible de valider une tendance nettement à la baisse par rapport au début des années 1980 en comparant les revenus d’adhésion publiés dans les rapports annuels du Directeur général des élections (comme l’illustre le graphique 1) ; et ce déclin est davantage notable au sein du Parti québécois.

Depuis 1977, le Québec a opté pour l’interdiction du financement des partis par les entreprises et les organisations de la société civile. Seuls les électeurs ont le droit de contribuer. La société québécoise faisait alors le pari du financement populaire. Le nombre de contributions annuelles peut également servir d’indicateur quant à l’implication financière des militants. Sur cette base, on observe également un déclin. Ce déclin est aussi particulièrement notable au sein du Parti québécois (voir le graphique 2).

La situation au niveau fédéral est plus complexe dans la mesure où les données portant sur les revenus d’adhésion ne sont pas disponibles. De même, la tradition de financement populaire est beaucoup plus récente. Les électeurs sont les seuls à pouvoir contribuer aux partis depuis 2004. Il est donc impossible de tracer une véritable tendance sur plusieurs années. Cela dit, il importe de noter que le Parti conservateur du Canada est celui qui récoltait annuellement le plus grand nombre de contributions (graphique 3).

Graphique 2

Évolution du nombre de contributions au Québec

Évolution du nombre de contributions au Québec
Sources : Benoit, 2007 ; et Directeur général des élections du Québec, 2016

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Graphique 3

Évolution du nombre de contributions au niveau fédéral

Évolution du nombre de contributions au niveau fédéral
Source : Élections Canada, 2016

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En somme, si l’on peut constater un déclin du militantisme traditionnel au sein des partis politiques, on note également une modification des motivations auprès des militants (Montigny, 2011), particulièrement auprès des jeunes (Quéniart et Jacques, 2001). Dans ce contexte, l’ouverture du processus de sélection du chef vers des primaires fermées peut être perçu comme une façon de stimuler le recrutement de membres. Celui de procéder vers des primaires ouvertes vient plutôt remettre en question la pertinence du membership classique. Il est donc possible de voir ce changement comme une réponse au déclin du militantisme pour s’assurer que les partis conservent une légitimité populaire. Il convient maintenant d’étudier plus en détail les changements observés au Canada et au Québec quant au processus de sélection des chefs.

Étude des cas

À des paliers différents, le PQ et le PLC évoluent dans des systèmes similaires. Ayant chacun connu des débats sur des primaires ouvertes, un parti a choisi ce mode alors que l’autre l’a rejeté. Nous tenterons de comprendre pourquoi.

Le cas du PLC

Le Parti libéral du Canada fut longtemps considéré comme le parti naturel de gouvernement au niveau fédéral. Et pour cause, il a gouverné pendant 70 pour-cent du vingtième siècle, comparativement à 30 pour-cent pour les conservateurs (Whitaker, 1977 ; Blais, 2005 ; Clarkson, 2006). Alors que Jean Chrétien dirigeait un gouvernement libéral entre 1993 et 2004, certains évoquaient même un parallèle avec le Parti révolutionnaire institutionnel qui a dominé le Mexique pendant des lustres. Néanmoins, la fusion de la droite, soit de l’Alliance canadienne et du Parti progressiste conservateur pour former le Parti conservateur du Canada en 2004, est venue ébranler cette domination. En 2004, le Parti libéral conserve le pouvoir, mais doit se contenter d’un mandat minoritaire. Il perd le pouvoir en 2006. Il est défait en 2008 alors que son nouveau chef, Stéphane Dion, est contraint de démissionner. Candidat du compromis, ce dernier avait été élu, à la surprise générale, lors d’un congrès de délégués. C’est cependant lors des élections générales de 2011 que le PLC subit son plus grand choc. Il termine pour la première fois en troisième position, derrière le NPD.

Cette élection marque un tournant majeur. Le PLC ne fait élire que 34 députés sur 308 avec un mince 18 pour-cent des voix. Le NPD occupe l’opposition officielle avec 102 députés. Battu dans son comté, le chef, Michael Ignatieff, démissionne. Ce résultat électoral, le pire de l’histoire du PLC, s’ajoute au souvenir de l’élection inattendue de Stéphane Dion à la chefferie quelques années auparavant. Ce choc provoque un exercice de réflexion qui mènera à des modifications importantes au processus de sélection du prochain chef. Des données rendues publiques dans les médias indiquent une baisse significative du nombre de ses membres au Québec. Selon le quotidien La Presse (De Grandpré et Bellavance, 2012), en 2012 à peine 7000 personnes détiennent une carte de membre du parti. Le nombre de membres décroît constamment depuis 2004 (alors que le PLC pouvait compter sur 100 000 membres), pour chuter à 25 000 en 2006.

Lors d’un congrès du parti tenu en 2012, une nouvelle catégorie de sympathisants est créée dans l’objectif de permettre d’élargir sa base en accordant le droit à une personne appuyant le parti ou un de ses candidats de voter pour le choix du chef. À la suite du choc électoral de 2011, un tel changement est initié par la haute direction du parti : « La direction du PLC estime qu’une telle initiative attirera de nouveaux électeurs, qui souhaiteront ensuite suivre un chef qu’ils ont contribué à élire. ‘Il faut sortir des sentiers battus’, dit Bob Rae. » (Castonguay, 2012)

Le mécanisme retenu par le parti dans l’organisation de cette primaire ouverte reposait sur l’attribution de 100 points par circonscription, une formule s’apparentant à celle du Parti conservateur du Canada. Rappelons que celle-ci vise à ne pas désavantager les régions qui ont moins de membres ou de sympathisants, afin d’éviter un scénario où une seule région avec un nombre de membres plus élevé soit en position de décider seule du chef. Ce mode de scrutin prévoyait donc que le vainqueur devait obtenir plus de la moitié des 308 000 points répartis dans l’ensemble des 308 circonscriptions électorales de l’époque.

Sur le plan du bassin de sympathisants et des militants éligibles, les données indiquent une faible participation. « Le PLC, qui a ouvert ses rangs à des sympathisants ne payant pas de frais de membre, a recruté un total de 294 002 militants. De ce nombre, seulement 130 774 se sont inscrits pour exercer leur droit de vote. » (Buzzetti, 2013 : A2) Le décompte final publié par La Presse canadienne le lendemain du vote établissait une participation réelle encore plus faible. Ainsi, « parmi les quelque 127 000 militants et sympathisants qui s’étaient enregistrés pour le scrutin, un peu plus de 104 000 auront finalement voté, soit 82 pour cent, sélectionnant en ordre de préférence les six candidats, soit Justin Trudeau, Martin Cauchon, Joyce Murray, Martha Hall Findlay, Karen McCrimmon et Deborah Coyne » (La Presse canadienne, 2013 : n.p.).

En incluant les membres et les sympathisants, ce sont donc 104 000 personnes qui se seront prévalues de leur droit de vote. En comparaison aux primaires fermées des courses précédentes chez les deux autres principaux partis, l’écart s’avère faible en termes de participation. Rappelons que le choix du nouveau chef du NPD reposait sur le vote de 65 000 militants et celui des conservateurs, sur 93 000 militants. En définitive, bien que le PLC se targuait d’avoir recruté 300 000 membres et sympathisants, à peine le tiers d’entre eux auront exercé leur droit de vote. De ce nombre, il est difficile de distinguer qui avait le statut de membre et celui de sympathisant.

Dans la foulée de son congrès de 2012, le PLC a pris le soin de rédiger un Guide concernant les sympathisants (PLC, 2013). Ce document permet de mieux comprendre les objectifs du parti. Il précise : « Le Parti libéral du Canada ouvre ses portes à tous les Canadiens qui désirent créer des liens et s’engager auprès du Parti. » L’objectif énoncé est de : « transformer [le] Parti en un mouvement politique plus accueillant et plus moderne et ce, en permettant à tout nouveau groupe de sympathisants de participer à la sélection de notre prochain chef » (PLC, 2013 : 2). Les critères pour devenir sympathisant sont simples : être âgé d’au moins 18 ans, soutenir les objectifs du parti, avoir la qualité d’électeur au Canada ou résider habituellement au Canada, et n’être membre d’aucun autre parti politique au niveau fédéral.

Ce guide identifie également les meilleures façons de recruter des sympathisants. On y insiste sur l’importance de tisser des liens personnels, par exemple : « Développer votre relation avant de demander à quelqu’un de devenir sympathisant en planifiant des occasions d’interagir avec eux (comme des événements communautaires) au lien de seulement demander. » (Ibid. : 2) Il suggère également d’identifier les sympathisants potentiels dans une circonscription.

Au volet du recrutement, les trois premiers groupes ciblés seraient les bénévoles qui participent à des événements, les anciens bénévoles, les repreneurs de pancartes et les électeurs identifiés par le passé comme libéraux. Le parti suggère également de constituer une équipe susceptible de mener une campagne téléphonique et de créer des banques de données informatisées. Le PLC a d’ailleurs développé un nouvel outil de gestion de contact et d’identification des électeurs, soit le Libéraliste (PLC, 2012a).

Cet outil s’inspire de l’application VoteBuilder qui fut notamment utilisée aux États-Unis par le Democratic National Committee. Selon le PLC (2012b), le Libéraliste permettra aux organisateurs de campagne de :

  • stratégiquement contacter les électeurs par téléphone, courriel ou courrier direct ;

  • facilement observer les données d’adhésion, les listes de donneurs, de demandes de pancartes et de supporters ;

  • gérer leurs équipes, événements et volontaires locaux ;

  • cartographier l’appui et l’opposition au sein de la circonscription jusqu’au niveau des ménages ;

  • facilement suivre les problèmes clés aux niveaux local et national ;

  • faciliter les campagnes populaires en utilisant le modèle voisin-à-voisin de Barack Obama ;

  • développer du micro-ciblage et des messages propres aux profils sociodémographiques.

L’ouverture aux sympathisants et l’adoption d’une primaire ouverte s’inscrivaient donc dans une démarche plus large de construction d’une banque de données qui inclut le profil des électeurs les plus susceptibles d’appuyer le parti. Au-delà de la primaire ouverte, la constitution d’une banque de données regroupant les sympathisants a donc eu une valeur sur le plan de la recherche visant à établir les fondements de leur campagne électorale de 2015. Cette nouvelle ouverture s’est reflétée sur le ton de cette campagne. Les événements misant sur la proximité avec les électeurs, l’utilisation poussée des médias sociaux et la mobilisation d’un nouvel électorat ont été des éléments qui ont contribué à la revitalisation du parti, à sa remontée, puis à son retour au pouvoir.

Les officiers du parti considéraient d’ailleurs la tenue d’une primaire ouverte comme une source de recrutement pour reconstruire un militantisme plus traditionnel. Dans son rapport au Congrès biennal du parti de 2014, le président du parti révélait son objectif : « Rien ne me rendrait plus heureux de voir ces dizaines de milliers de nouveaux libéraux gravir à leur propre rythme l’échelle de l’engagement au fur et à mesure qu’ils deviennent la prochaine génération de membres, de donateurs et de bénévoles. » (PLC, 2014 : 1) En somme, en offrant la possibilité à un individu de devenir sympathisant, on souhaite qu’il s’agisse d’une première étape qui le conduira à adhérer plus formellement au parti en devenant membre. Ce faisant, il pourra participer aux travaux des différentes instances du parti.

Finalement, la participation au vote a été peu élevée. Trois millions d’électeurs canadiens ont voté pour le PLC lors des dernières élections générales de 2011. Il s’agissait donc d’un bassin naturel de sympathisants potentiels. Le PLC indiquait avoir l’appui de 300 000 militants et sympathisants en vue du vote pour le choix du leader. En tout, à peine plus de 100 000 personnes se sont exprimées. Ce niveau se rapproche des seuils atteints par les partis adverses. Le vote n’y était réservé qu’aux membres. Néanmoins, compte tenu du caractère secret de la proportion de membres versus celui de sympathisants, il est possible de formuler l’hypothèse que le choix du PLC d’établir des primaires ouvertes aura permis de dégager une perception de croissance plutôt que de déclin sur le plan des adhésions. « En annonçant, la semaine dernière, qu’il y avait près de 300 000 personnes qui pourraient voter à l’élection de son prochain chef, le Parti libéral du Canada (PLC) a joué sur la définition du terme ‘sympathisant’ pour gonfler ses chiffres. » (Foisy, 2013) Dans ce cas-ci, la primaire ouverte a contribué à asseoir la légitimité du nouveau chef auprès de l’électorat. Elle a permis de projeter la perception d’une capacité d’attraction comparable à celle de ses principaux adversaires, tout en masquant une potentielle faiblesse organisationnelle.

La formule de primaire ouverte tenue en 2013 par le PLC était originale. Pour la première fois au Canada des individus pouvaient voter pour le choix du chef tout en n’étant pas membre d’un parti. Comme elle est assortie d’une formule de points pour éviter les distorsions régionales, on peut aussi difficilement conclure que le PLC a adopté le modèle des primaires à l’américaine.

Le cas du PQ

Complètement absent de la scène politique québécoise, le concept de primaires ouvertes fait son entrée dans le débat public à la suite de la défaite du Parti québécois à l’élection du 7 avril 2014. Ce dernier obtient alors un de ses pires résultats depuis sa fondation. Battue dans sa propre circonscription, la cheffe, Pauline Marois, annonce rapidement sa démission (Lessard, 2014). L’émergence de cette idée a donc eu lieu dans un contexte difficile pour le PQ. Il venait de subir une défaite historique et de perdre le pouvoir après seulement 18 mois d’exercice. Ces événements font émerger un désir, chez certains élus, de réinventer le Parti québécois, qui, selon leur perspective, ne semble plus séduire l’électorat.

À première vue, l’adoption d’une primaire ouverte apparaît être l’étape ultime de démocratisation d’un parti politique. Dans cette optique, l’introduction de ce mécanisme semblerait naturelle considérant l’historique du PQ. En effet, dès sa fondation, ce parti se démarque dans le système partisan québécois. Les gains qu’ont faits les « participationnistes » ont mené à la création d’un mode de fonctionnement décentralisé accordant un pouvoir décisionnel important aux membres, une structure totalement inédite en 1968 (Murray, 1976). Avec le temps, le PQ a beaucoup évolué et plusieurs des éléments qui le rendaient unique ont disparu au profit d’une gouvernance beaucoup plus centralisée (Montigny, 2011). L’introduction de l’idée de primaires ouvertes pourrait donc s’apparenter à un retour aux sources pour un parti qui a été le premier, en 1985, à élire son chef au suffrage universel des membres[1].

Dans cet esprit, à la fin du mois d’avril 2014, le député péquiste Alexandre Cloutier lance l’idée d’élire le prochain chef suivant un mécanisme de primaire ouverte. Selon lui, cette idée permettrait au parti de « sortir des sentiers battus » et de « se rapprocher de la population » (Salvet, 2014a : 3). Cette suggestion reçoit toutefois un accueil mitigé. Certains craignent une érosion du pouvoir des membres. D’autres, comme le député Jean-François Lisée, sont ouverts à l’idée, mais en y aménageant des mécanismes pour préserver le pouvoir des membres. Certaines réticences sont également exprimées en lien avec des coûts plus élevés et des risques pour l’image du parti (Salvet, 2014b : 6).

En outre, des impératifs techniques compliquent la mise en oeuvre d’une telle idée. En effet, le mode de sélection du chef du PQ est inscrit dans les statuts du parti, qui ne peuvent être modifiés que lors d’un congrès (PQ, 2011). Or, en avril 2014, un tel rassemblement n’était pas prévu avant la date d’élection projetée pour le nouveau chef et la possibilité d’en organiser un dans un délai raisonnable pour la course à la chefferie était plus qu’incertaine (Salvet, 2014b : 6). Les discussions sur le sujet se sont poursuivies jusqu’en octobre 2014, moment de la tenue de la Conférence nationale des présidents, l’instance devant décider des règles encadrant la course.

L’exécutif national du parti a alors soumis trois propositions. Malgré les difficultés reliées à l’organisation de primaires ouvertes, deux des trois propositions permettaient à des électeurs non membres de se prononcer sur le prochain chef du Parti québécois. La première reprenait le fonctionnement déjà prévu par les statuts du parti, soit une primaire fermée pouvant aller jusqu’à deux tours. La deuxième proposition préconisait une primaire ouverte partielle dans laquelle le premier tour serait réservé aux membres et le deuxième ouvert aux membres et aux sympathisants. La troisième proposition suggérait une primaire ouverte complète dans laquelle les deux tours seraient ouverts aux membres ainsi qu’aux sympathisants (PQ, 2014a). Malgré le fait que les deux dernières propositions requéraient la tenue d’un congrès national extraordinaire, l’échéancier pour ces deux scénarios n’était retardé que d’un mois comparé à la proposition de primaire fermée. Théoriquement, il n’y avait donc plus d’obstacle technique lié à la tenue d’une primaire ouverte.

La Conférence des présidents a finalement tranché pour le premier scénario, permettant seulement aux membres en règle de participer au choix du prochain chef du parti (PQ, 2014b). Le PQ a donc jugé qu’il n’était pas opportun d’ouvrir davantage le processus de sélection de son chef. Ce faisant, sa direction répondait à l’inquiétude exprimée quant à la protection des prérogatives attribuées aux membres en règle.

Par ailleurs, tout en appuyant le principe d’une primaire ouverte, un député péquiste soulignait sur son blogue l’opposition de très nombreux sceptiques qui avaient peur d’un noyautage. Il résumait leurs craintes ainsi : « les fédéralistes vont venir voter pour infiltrer le processus, la fraude sera terrible, on va se retrouver avec le pire candidat possible… » (Lisée, 2014). Des partisans de cette réforme répondaient ainsi :

Est-ce que les adversaires vont infiltrer le Parti québécois avec une primaire ouverte ? Le principal argument contre les primaires ouvertes est la peur d’une infiltration par les adversaires du Parti québécois qui s’inscriraient en masse afin de faire gagner « un mauvais » candidat. Cet argument ne tient pas la route tant au regard des exemples internationaux que dans la pratique.

Michaud et Marchand, 2014 : A7

Le cas du Parti québécois est certes particulier en raison de son option fondamentale qui repose sur la souveraineté du Québec. Théoriquement, une primaire ouverte ouvre effectivement la porte aux opposants du parti pour lui nuire, par exemple en votant pour un candidat qui a peu de chances d’être attrayant pour le grand public lors d’une élection générale. Or, généralement, cette perspective n’est pas très vraisemblable puisque le vote d’un seul individu a une probabilité pratiquement nulle d’influencer une élection (Chamberlain et Rothschild 1981 ; Gelman et al., 2004). De plus, la littérature sur l’action collective indique que la coordination d’un nombre suffisant d’électeurs pour influencer le vote est infiniment complexe, voire impossible (voir notamment Olson, 1987). Les chances qu’une tentative de noyautage soit couronnée de succès sont donc extrêmement faibles. Ce fut d’ailleurs le cas au PLC.

Discussion

Les partis politiques évoluant sur la scène fédérale canadienne, tout comme ceux qui évoluent sur la scène politique québécoise, échappent en partie à la tendance menant à une plus grande ouverture du processus de sélection de leur chef. De façon générale, cette ouverture se limite surtout à des primaires fermées. Seul le PLC a jusqu’à maintenant opté pour la tenue d’une primaire ouverte. La formule retenue n’a cependant rien de comparable aux primaires américaines puisque le parti demeure responsable de la liste des électeurs éligibles. Dans le cas du Québec, deux des principaux partis prévoient toujours la tenue d’un congrès de délégués plutôt que le vote universel des membres. L’ouverture demeure donc circonscrite et la vaste majorité des partis restent prudents. L’État n’intervient d’ailleurs que pour encadrer le financement des courses à la direction. Contrairement à ce que prétend LeDuc (2001), l’ouverture n’est donc pas une tendance irrémédiable.

Dans ce contexte, quels sont les éléments qui favorisent l’ouverture du processus de sélection des candidats à la chefferie d’une formation politique au Canada ? L’ouverture est-elle une façon pour les partis de s’assurer d’une plus grande légitimité démocratique alors que ceux-ci subissent un déclin de leur membership ? Les cas du Parti libéral du Canada et du Parti québécois s’avèrent utiles pour amorcer une réponse à ces questions.

Les conditions préalables à l’ouverture : la perte de son statut de parti majeur et l’appui de la direction du parti

En 1985, le Parti québécois fut le premier parti à adopter le principe des primaires fermées. Ce mécanisme s’est imposé pour assurer la succession de son chef fondateur, principalement en raison de sa tradition importante de démocratie interne. Dans le cas du Parti conservateur du Canada, le processus de sélection du chef fut le fruit de négociations entre les représentants de l’Alliance canadienne et ceux du Parti progressiste conservateur en vue de leur fusion.

LeDuc (2001) identifiait la faiblesse de résultats électoraux comme élément déclencheur menant un parti à réformer les processus de sélection des chefs. Le cas du PLC confirme la pertinence de ce critère. Après une défaite historique en 2011, ce parti est même passé directement d’une formule de vote par des délégués à celle d’une primaire ouverte. Ce changement constituait clairement une tentative de relancer le parti sur de nouvelles bases, mais correspondait aussi à l’objectif de mettre sur pied de nouveaux outils de mobilisation de l’électorat. La primaire ouverte de 2013 constituait une tentative pour redynamiser un parti sérieusement menacé sur le plan institutionnel.

Le cas du Parti québécois qui a refusé d’adopter un processus de primaire ouverte est également intéressant. Si la défaite fut l’une des pires depuis sa fondation en termes de suffrage exprimé, il a tout de même conservé le statut d’opposition officielle. Sur le plan institutionnel, la menace était donc moins élevée au lendemain du scrutin que celle vécue par le PLC. En affinant l’énoncé de LeDuc, il est raisonnable de supposer que, dans le contexte canadien, un processus de primaire ouverte sera plus facile à adopter quand la survie institutionnelle d’un parti sera menacée.

Dans un système de type britannique, ce serait le cas lorsqu’un parti politique perd son statut de parti majeur (Lemieux, 2005). C’est alors le nombre de sièges remportés qui compte davantage pour déterminer si la survie d’un parti est réellement menacée. Par exemple, être le deuxième parti d’opposition plutôt que le parti de l’opposition officielle semble être interprété comme un échec plus grave qu’une perte de suffrage. Ce fut le cas au PQ pour une courte période en 2007 et 2008. Plutôt que de voir le problème de façon structurelle, le parti avait associé ce résultat à un accident de parcours conjoncturel lié à la mauvaise performance de son chef de l’époque. Pour initier un changement, le choc vécu par une organisation politique doit être important, mais également perçu comme une menace durable à la position dominante du parti. Ce ne fut pas le cas au PQ, alors que ce le fut au PLC.

D’ailleurs, au PLC, le changement fut initié par la direction du parti en réponse à la perte de son statut dominant. Au PQ, un aspirant chef s’en est plutôt fait le promoteur. La direction a choisi de s’en remettre à un vote de ses instances, sans publiquement donner une indication de sa préférence. Lorsque l’élite d’une formation politique est favorable à une réforme, évidemment le changement en est d’autant facilité.

Le déclin des adhésions et la quête de légitimité populaire

Au Canada comme ailleurs, les partis politiques traversent une crise de confiance importante. Au Québec, cela se traduit même par un déclin marqué du niveau de confiance de la population à leur endroit (Pelletier et Couture, 2012). Dans ce contexte, l’ouverture du choix du chef aux membres devrait assurer une plus grande légitimité que le choix par un congrès de délégués, plus propice à des tractations menées derrière des portes closes. Le déclin du membership traditionnel des partis vient compliquer cette donne. En effet, comment prétendre à la légitimité d’un nouveau chef, lorsque le membership traditionnel est en baisse ? Les primaires fermées sont les seules occasions où les partis doivent fidèlement faire état du nombre de leurs membres en règle. La dernière course à la direction du Bloc québécois, une primaire fermée, a rassemblé à peine 11 000 votes. D’ailleurs, dans les mois qui ont suivi, la légitimité du nouveau chef a vivement été contestée.

Au contraire, la mise en place d’une formule ouverte à des sympathisants peut permettre de protéger la légitimité du processus lorsque le membership officiel connaît un déclin important. En d’autres termes, l’ajout de sympathisants dans les données officielles permet de gonfler le niveau d’adhérents, surtout lorsqu’il est difficile de faire la distinction entre les membres et les sympathisants. Ce fut le cas au PLC. Cela dit, le taux de participation lors du vote risque d’être plus faible que lors d’une primaire fermée dans la mesure où certains sympathisants inscrits peuvent se révéler plus difficiles à mobiliser. De même, une mauvaise gestion de la liste électorale peut miner la crédibilité du processus et entacher la légitimité du résultat.

En vertu des deux cas étudiés, il ressort qu’un parti aura davantage de chances de procéder à une réforme menant à une primaire ouverte lorsqu’il sentira que sa légitimité politique pourrait être questionnée en raison de la faiblesse de son membership traditionnel. Ce fut le cas au PLC, mais pas au PQ. Ce dernier a pourtant affiché une baisse notable de son membership, soit de 140 000 membres habilités à voter dans une primaire fermée en 2005 à un peu plus de 60 000 en 2015 (Salvet, 2015). Le déclin du membership n’expliquerait donc pas à lui seul le changement de procédure de sélection du chef. Nous basant sur les deux cas étudiés, nous croyons qu’il faut plutôt examiner le niveau de légitimité relative par rapport aux autres partis politiques évoluant dans un même système partisan. En se limitant à une primaire fermée, le PLC pouvait afficher un déficit de légitimité causé par un nombre de membres moins élevé que ses adversaires. Ce n’était pas le cas du PQ. Malgré une baisse marquée de son membership, son nouveau chef serait toujours élu par un nombre plus important de personnes que les chefs des autres principaux partis évoluant sur la scène québécoise. Il faut considérer la légitimité recherchée en termes relatifs plutôt qu’absolus. Un parti sera donc davantage incité à procéder à une ouverture lorsque son parti accusera un déficit de légitimité par rapport à ses principaux rivaux.

L’érosion du statut de membre : un risque pour la démocratie interne

Certains peuvent plaider que l’adoption du processus de primaire ouverte constitue une avancée démocratique au sein d’un parti politique. Cela permet effectivement à des électeurs qui appuient les idées de ce dernier, mais qui ne souhaitent pas devenir membre, de participer à l’événement le plus structurant pour l’avenir de leur courant politique. Au-delà des considérations logistiques, un des principaux arguments soulevés par les opposants à l’adoption d’une primaire ouverte au sein du Parti québécois reposait sur la crainte de voir le pouvoir des membres s’éroder parmi les instances. Les membres perdraient ainsi un certain contrôle sur le chef, ce qui à terme favoriserait une centralisation accrue du pouvoir. Une ouverture élevée peut contribuer à atomiser les contrepoids au sein d’une formation politique évoluant dans un système parlementaire. Un gain en termes de légitimité auprès d’un électorat plus diffus pourrait donc se faire aux dépens de la démocratie interne et du pouvoir traditionnel des membres. Cela n’est pas sans effets.

D’abord, le concept de membre devient flou. Aussi, une certaine confusion concernant le statut de sympathisant peut s’installer. En effet, lors d’une primaire ouverte du type retenu par le PLC, les mêmes droits s’appliquent à des électeurs n’ayant pas le même statut. Pour accroître la légitimité du processus, les dirigeants en viennent même à assimiler les concepts de membre et de sympathisant. À quoi bon alors devenir membre ? Le PLC a d’ailleurs senti le besoin de publier un document rappelant les privilèges des membres au sein des autres instances. Sur le plan organisationnel, une primaire ouverte, en multipliant les électeurs potentiels, pourrait favoriser une augmentation des dépenses de campagne. Par ailleurs, en puisant sa légitimité auprès d’un électorat plus large, un parti peut-il être considéré comme une organisation privée qui n’a de compte à rendre qu’à ses membres ? Cette question se pose avec encore davantage d’acuité pour les partis dont le financement repose largement sur des fonds étatiques. Dans ce cas, c’est davantage au public, donc aux journalistes, qu’ils doivent rendre des comptes sur leur gestion. Par ailleurs, une plus grande ouverture se traduira-t-elle par la sélection de chefs qui ont des habiletés en matière d’image et de communication au détriment de véritables débats d’idées, comme le supposent James W. Davis (1998) et Lawrence LeDuc (2001) ? Certains pourraient dire que ce fut le cas lors de l’élection de Justin Trudeau en 2015.

LeDuc (2001) soutient par ailleurs qu’une primaire ouverte mène à une certaine perte de contrôle des dirigeants du parti sur le déroulement de la course et le choix du chef. Si sa prédiction s’avère fondée dans le cas des primaires américaines de 2016, ce ne fut pas le cas au PLC. Le développement du concept de sympathisant vient néanmoins redéfinir la relation et les zones d’équilibre quant à la redistribution du pouvoir entre les membres d’un parti et leur chef. S’il est trop tôt pour conclure sur ces effets à long terme, on peut déjà dégager certaines pistes de réflexion. Cela pourrait notamment conduire à une érosion du pouvoir des membres sur le plan de l’imputabilité du chef et à une plus grande centralisation du pouvoir au profit du chef. Cela favoriserait également la transformation du profil des membres vers celui de militant engagé pour débattre d’idées à celui de simple partisan d’une organisation. Dans un tel cas, la frontière entre membre et sympathisant deviendrait bien mince.

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La formule des primaires fermées permettant le vote universel des membres a été progressivement adoptée par la vaste majorité des partis évoluant à Ottawa et à Québec pour remplacer les congrès avec délégués. La formule des primaires ouvertes adoptée par les libéraux sera-t-elle imitée dans l’avenir ? Rien ne le laisse présager. Le Parti québécois fut l’un des premiers partis à en débattre et à rejeter cette formule. Le dilemme entre ouverture et démocratie interne fut au coeur de ce choix.