Recensions

Le sens du social : les puissances de la coopération, de Franck Fischbach, Montréal, Lux, coll. « Humanités », 2015, 260 p.[Record]

  • Nicolas Gauvin

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Le philosophe Franck Fischbach nous offre un projet audacieux dans Le sens du social : identifier les conditions d’intensification des rapports coopératifs entre individus. Cette entreprise s’inscrit dans une revalorisation du social en tant que catégorie philosophique, c’est-à-dire en tant que concept normatif. Selon l’auteur, dans le contexte actuel, cette entreprise s’avère urgente. Le social a été gravement mis à mal par l’idéologie néolibérale qui définit la société comme un jeu de concurrence entre individus (p. 25). Tout au long de l’ouvrage, Fischbach va s’employer à démontrer que le social est avant toute coopération entre individus, c’est-à-dire l’antithèse de la concurrence. Dans le premier chapitre, Fischbach met en lumière les raisons derrière la discréditation du concept de social. Cette discréditation serait largement imputable à la philosophie politique. Dans celle-ci, le politique disposerait d’une dimension symbolique et rassembleuse qui fait défaut au social. Le politique en tant que forme d’agir en commun est fondamentalement un instituant, tandis que le social est institué, car le social renvoie essentiellement chez les philosophes à des nécessités matérielles et mécaniques (p. 58). Fischbach accorde évidemment la priorité au social : le social fait référence à un agir, à une conduite que l’on retrouve dans les « rapports avec les autres » (p. 68). Le social, en tant que concept, suppose une « totalité dynamique », un ensemble de rapports sociaux immanents et se redéfinissant sans cesse et qui pointe en direction d’une certaine normativité. Afin d’élaborer cette normativité du social, Fischbach va se servir de notions développées par le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel (p. 75). Selon Fischbach, Hegel est probablement le premier à penser la portée normative du social. Pour Hegel, la vie sociale est tissée de rapports complexes dans lesquels il est possible de trouver « des attentes normatives » quant à la forme que doit revêtir la vie humaine afin d’être considérée comme une vie accomplie (p. 86). On trouve ainsi chez Hegel une théorie sociale dans laquelle les normes d’égalité et de liberté d’une société sont rendues possibles seulement à partir de la participation de l’individu à leur élaboration collective (p. 91). Dans cette théorie, le social n’est pas tout simplement quelque chose qui existe, c’est également quelque chose que l’on veut. Le normatif du social représente le social que l’on désire, c’est-à-dire l’intensification de la vie sociale qui se décline, selon Fischbach, sous la forme de la coopération entre individus. Or cette possible intensification de la vie sociale est mise à mal par ce que Fischbach appelle dans le chapitre suivant « l’économie désocialisée ». L’économie capitaliste autorégulée a des effets délétères sur le social. Cela est particulièrement latent avec l’avènement du néolibéralisme qui « désocialise » l’économie comme jamais. Cette situation résulte du conflit entre une économie « contextualisée » par le social et une économie qui en est séparée, « une lutte manifestement emportée par la deuxième tendance », soutient l’auteur (p. 113). Selon les néo-libéraux, l’économie est l’analyse d’une conduite strictement individuelle (p. 115). Plus concrètement, cela signifie que le travail, l’activité économique par excellence, est perçu dans une optique utilitaire : les individus travaillent seulement pour obtenir un revenu. Pour Fischbach, les individus attendent du travail une reconnaissance « de la valeur sociale positive de leur prestation » et non un simple revenu. C’est pourquoi le travail est avant tout une conduite collaborative et coopérative dans laquelle l’individu obtient reconnaissance (p. 116). Le travail est ainsi chez Fischbach l’élément essentiel à partir duquel il est possible de reconstruire le social. S’appuyant sur des intuitions que l’on retrouve chez le philosophe et sociologue Axel Honneth, Fischbach …