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Professeure d’histoire et de psychologie, Carolyn Baker nous invite, dans son ouvrage L’effondrement : Petit guide de résilience en temps de crise, à nous préparer émotionnellement et spirituellement au changement de paradigme que causera ce qu’elle appelle « l’effondrement de la société industrielle ». Son « petit guide de survie » cherche à soulever le débat collectif sur la désindustrialisation non dans une logique survivaliste d’accumulation matérielle et d’autodéfense, mais plutôt dans une perspective psychologique, voire spirituelle, de préparation à l’effondrement, dans la formule « perte, éveil et renouveau ».
En liant son exposé à sa propre histoire, elle vise, sans tomber dans le fatalisme ou l’utopie, à nous conscientiser face à l’engagement personnel que nécessite ce changement de paradigme, un peu comme une personne atteinte de cancer qui doit changer son mode de vie, sa diète et sa relation avec la mort. S’appuyant à plusieurs reprises sur la sagesse traditionnelle, Baker cherche à nous faire prendre conscience de notre « moi profond » qui, chez le poète Rumi, se présente sous la forme de « mourir avant de mourir » non pas pour envisager la fin en soi, mais le renouveau qui peut en émerger. De sorte que cette préparation consciente et intentionnelle se fera, selon elle, dans la joie, avec cette capacité d’apprécier les petites choses de la vie, plutôt que de poursuivre inlassablement la course au bonheur. En faisant face lucidement au changement de paradigme, en cessant de percevoir la réalité de façon binaire, noire ou blanche, Baker expose la capacité de l’individu à être émotionnellement résilient, à reprendre contact avec ses ressources intérieures, à mettre en action son « emploi spirituel » afin de le placer au service de la communauté. Par un exercice de présence dans le corps, elle formule une réflexion critique relative à la supériorité de l’esprit sur le corps. Là où la théologie de la chrétienté, les Lumières et la révolution industrielle ont donné préséance à la raison comme moteur du progrès, Baker souligne l’importance de reprendre contact avec le corps afin de construire cette résilience émotionnelle, puisque, même bien préparé, personne ne peut se fier exclusivement à ses facultés mentales pour survivre. L’effondrement engendrera inévitablement une douleur, ce sera une étape difficile pour ceux qui sont préparés et un traumatisme important pour ceux qui n’y ont jamais réfléchi. De sorte que la société industrielle et son idée du bonheur, liée à sa capacité de consommer, en prendra pour son rhume. L’auteure suggère ainsi de porter attention au « sens » plutôt qu’au bonheur, puisque celui-ci permettra en temps de crise certes de voir l’obscurité, mais aussi la lumière au sein des petites choses de la vie. Elle invite à reprendre contact et à transformer notre monde intérieur, notre âme, avant de chercher à modifier celui à l’extérieur et ainsi à se confronter à notre part d’ombre et aux dangers possibles pouvant découler de l’effondrement. Cette capacité de reconnecter avec notre corps est, selon Baker, la voie pour reprendre contact avec notre animalité, le « moi sauvage » et donc notre instinct animal, nos intuitions. La quête du progrès et de l’innovation technique salvatrice de tous les maux hérités de la société industrielle empêche une pleine présence dans notre corps. Cet anthropocentrisme aveugle entraîne une négation de l’effondrement, ce qui nous mène à nier notre propre mort. La prise de conscience du « moi sauvage » facilite l’écoute et l’apprentissage et participe à déboulonner le mythe de l’autosuffisance. Selon Baker, l’effondrement ne devrait pas être synonyme d’isolement, mais devrait plutôt être une occasion de redévelopper le sens du bien commun. La capacité des individus à écouter serait ainsi une compétence primordiale afin de préparer le « vivre ensemble » en vue de l’effondrement tout en permettant une meilleure connexion avec leur instinct. Elle s’attaque d’une certaine façon à ce qui constitue le « rêve américain » du self-made man qui vise l’accumulation de valeur monétaire, séparant les humains les uns des autres et de la nature, faisant de leurs relations une simple structure utilitaire. La prise de conscience à l’effondrement des uns permettra d’accompagner les autres à le reconnaître et à s’y ouvrir paisiblement. Cet accompagnement, tel qu’un ancien le ferait, aurait pour effet d’aider notre jardin intérieur à faire face à ce chamboulement extérieur. Faire consciemment face à l’effondrement c’est accepter les limites de la civilisation industrielle et accepter les incertitudes qui en découleront. Tout n’est pas mauvais dans l’effondrement, il y aura une crise, mais il y aura aussi une renaissance.
La préparation consciente que propose Carolyn Baker face à l’effondrement s’adresse à un large éventail de lecteurs désireux de reconsidérer l’anthropocentrisme aveugle qui compose la société industrielle. En prenant appui sur la psychologie de l’inconscient et sur l’histoire, elle établit un pont entre, d’un côté, les préoccupations soulevées par des activistes, des environnementalistes, des climatologues, ainsi que des maîtres spirituels et, de l’autre, les préparatifs émotionnels qui doivent être développés. L’angle spirituel et émotionnel qu’elle adopte pourrait crisper certains lecteurs. Ces derniers auraient tort de se donner une contenance puisque le court récit qu’elle présente dans L’effondrement : Petit guide de résilience en temps de crise est loin d’être apocalyptique ; il propose plutôt une réflexion personnelle consciente des défis émotifs et relationnels que posera l’effondrement de la société industrielle tout en cherchant à lui donner un sens. L’auteure accompagne progressivement le lecteur sur la voie de la résilience, une résilience consciente qui porte un regard sur la part d’ombre, mais aussi de lumière qui suivra l’effondrement de la société industrielle.