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Depuis ses débuts, la revue Politique et Sociétés oriente sa recherche en discutant cette question fondamentale de la politique : comment les citoyens sont-ils représentés et comment se représentent-ils ? La question de la représentation est au coeur de la démocratie et attire l’attention des politologues vers des acteurs clés de nos systèmes politiques : les citoyens et les mouvements sociaux, les partis politiques, les institutions représentatives et les médias. Jusque vers 2005, les textes dans ce domaine sont signés presque exclusivement par des hommes, à l’exception des articles liés aux femmes en politique. La très grande majorité des textes portent sur le Québec, ce qui semble logique considérant le positionnement de la revue dans le champ de la science politique francophone. Fait à noter, il n’y a pratiquement aucun article qui traite du « Rest of Canada » (si l’on exclut les analyses d’élections fédérales). À l’international, la France est souvent un objet d’étude (parti Front national, population musulmane en France, etc.), mais aussi l’Amérique latine, en particulier l’Argentine (Pujol, 2008) et le Brésil (Sa Vilas Boas, 2010), ainsi que le Mexique auquel la revue a consacré un numéro spécial sous le thème « Transition démocratique et gouvernance locale au Mexique », dirigé par Julian Durazo Herrmann (2011). Le numéro spécial sur les populismes, dirigé par Chedly Belkhodja (2002), traite lui aussi de l’Amérique latine, mais également de l’Europe ainsi que du duplessisme. Les autres régions de monde sont absentes de la revue pour ce qui a trait aux études sur la démocratie et la représentation, hormis quelques cas d’exception (par exemple l’Égypte, avec l’article de Ben Néfissa, 2013).

Nous avons eu le plaisir de revoir 35 ans de publications de la revue abordant la question de la représentation et de la démocratie, et quatre sous-thématiques se dégagent de ce survol. Premièrement, les mouvements sociaux ont toujours occupé une place importante dans la revue. Dès les premiers volumes, les auteurs qui contribuent à Politique et Sociétés se questionnent sur la nature et les transformations des mouvements sociaux et leur impact, surtout sur la société québécoise. Dans un numéro spécial publié en 1983 sous la direction de Denis Monière, intitulé « Crise et changements idéologiques », les auteurs s’interrogent sur la place du mouvement syndical face à une intervention étatique de plus en plus importante, ainsi que sur les transformations liées au capitalisme contemporain. D’autres mobilisations ont pareillement fait l’objet d’études dans les années qui ont suivi : la mobilisation de la classe ouvrière en Argentine (Ducatenzeiler, 1987), la mobilisation des personnes âgées (Noreau, 1990), la seconde vague féministe (Praud, 1998) et les mouvements LGBT (Smith, 1998), pour ne nommer que celles-là. La revue se consacre encore davantage à la thématique des mouvements sociaux dans les années 2000, avec un numéro spécial, en 2000 (sous la direction de Hamel, Maheu et Vaillancourt), intitulé « Mouvements sociaux, enjeux institutionnels et démocratisation », où les enjeux économiques et la classe ouvrière sont au coeur des analyses, ainsi qu’en 2009 (sous la direction d’Agrikoliansky et Dufour), avec la publication d’un numéro sur « Les frontières des mouvements sociaux / Les mouvements sociaux aux frontières », où les auteurs mettent à jour les pratiques des mouvements sociaux qui sont « une forme routinisée, pacifiée et devenue socialement légitime, d’expression de revendications pour des groupes socioprofessionnels de plus en plus larges » (Agrikoliansky et Dufour, 2009 : 3). Les façons dont les mouvements sociaux interagissent avec les autres acteurs politiques aux niveaux national et international et avec la déconstruction des frontières dans la mobilisation sont au centre des analyses.

Deuxièmement, l’analyse des partis politiques et des choix électoraux a été centrale à l’étude de la représentation. Les articles publiés s’intéressent à la fois à la nature et à la transformation des systèmes partisans québécois et canadien, ainsi qu’aux comportements des électeurs. Depuis les années 1980, quelques articles traitent des systèmes formels de représentation, notamment le système électoral (Lemieux et Lavoie, 1984 ; Massicotte, 1993 ; Elias, 2003 ; Labbé St-Vincent, 2013) et les institutions parlementaires (Gaboury, 1984, Rocher, 1984). Plus généralement, une attention continue à être portée sur le comportement électoral des citoyens, surtout au Québec aux niveaux municipal (Quesnel, 1986 ; Belley, 1992), provincial (Blais et Crête, 1986 ; Lachapelle, 1986 ; Daoust, 2015) et fédéral (Lamoureux, 1989). L’élection fédérale de 1993, qui a changé de façon durable le système partisan au Canada avec l’émergence du Bloc québécois et de l’Alliance, a même fait l’objet d’un numéro spécial (sous la direction de Pelletier, 1995). Une des contributions importantes de cette littérature est l’exploration des enjeux liés à la souveraineté dans le comportement électoral des citoyens (par exemple, voir Boucher, 1984 ; Saint-Germain et Grenier, 1994 ; Maillé et Tremblay, 1998 ; Bélanger et Perrella, 2008). Au-delà des articles sur les comportements des citoyens, nous trouvons un nombre important d’articles sur les partis politiques (Blais et Crête, 1986 ; Lamoureux, 1988 ; Landry, 1988 ; Lemieux, 1988 ; 1993) et les caractéristiques et la représentativité des candidats et des élus (Simard et Monière, 1984 ; Leydet, 2002 ; Tremblay, 2002 ; Simard, 2003 ; Röcke, 2006 ; Paquin, 2010 ; Navarre, 2014). Finalement, les articles sur les partis politiques et le comportement électoral incluent plusieurs survols et critiques de la méthode des sondages (Cloutier, 1986 ; Lachapelle, 1995 ; Bastien, 2001).

La troisième thématique est celle de la participation politique où les objets d’analyse sont le citoyen et les processus plus formels de consultation, soit les élections et les autres lieux de consultations publiques. L’étude de la participation a pris de plus en plus de place dans la revue depuis le milieu des années 1990. Avant cela, outre les articles sur les mouvements sociaux, il y avait peu de discussions sur la participation politique. Dès le milieu des années 1990, les auteurs commencent à s’intéresser à la relation entre les unités administratives et leur « clientèle » à travers l’étude de l’administration publique québécoise (Bouchard, 1996) et des systèmes scolaires à Montréal (Proulx, 1997). En plus, la démocratie directe fait l’objet de plusieurs articles (par exemple Gow, 1998 ; Gingras, 1999). La consultation publique et le lien entre la société civile et le gouvernement occupent pareillement une place importante au sein de la revue (entre autres Laforest, 2000 ; Chanial et Laville, 2001 ; Fontan et al., 2001 ; Laforest et Philips, 2001 ; Savard et Chiasson, 2001 ; Montpetit, 2002 ; Bherer et Quesnel, 2006 ; Montambeault, 2011). La participation aussi aura été le sujet principal de trois numéros spéciaux : « Représentation et participation politiques » (sous la direction de Fournier et Reuchamps 2008) ; « Pouvoir, participation et capacité » (sous la direction de Cantelli, Garon et Schiffino, 2013) ; et « Socialisation et intérêts politiques : nouvelles contributions empiriques » (sous la direction de Fournier et Grandjean, 2013). Fabrizio Cantelli, Francis Garon et Nathalie Schiffino (2013 : 16) nous rappellent que l’étude de la participation politique « exige d’intégrer les dimensions plus « micro » associées aux conduites individuelles, aux capacités, réelles et attendues, des citoyens dans les exercices de participation, et de les inscrire dans une perspective élargie de reconfiguration institutionnelle et organisationnelle. » Ces trois numéros mettent en évidence ces dimensions.

Finalement, la revue consacre aussi beaucoup de ses pages aux médias en tant qu’objet d’étude. Dès la première année, les auteurs ont essayé de décrire et d’expliquer le rôle des médias en politique (Blais et Crête, 1982) – thématique qui reviendra pendant les 35 ans de la revue. Les articles s’intéressant aux médias se divisent en trois types : ceux qui traitent des acteurs médiatiques et de leur construction des enjeux politiques, ceux qui visent la communication politique, surtout dans le contexte des campagnes électorales, et ceux qui abordent des transformations médiatiques. En ce qui concerne le premier, soulignons en particulier le numéro spécial de 2008, intitulé « La construction de la légitimité dans l’espace public », qui consiste en une série d’études sur le discours journalistique (voir aussi Charron, 2006). Les études sur l’impact de la couverture médiatique des campagnes électorales sont beaucoup plus diversifiées et souvent publiées en amont des études sur les comportements électoraux (Gauthier, 1990 ; Beaud, 1991 ; Monière, 1992 ; 1994 ; 1995 ; Gosselin et Gauthier, 1995). Il y a également au sein de la revue une série d’articles sur les transformations des pratiques de communications, par le gouvernement, mais aussi en lien avec les transformations technologiques. Par exemple, un numéro spécial publié en 1999 sous la direction d’Anne-Marie Gingras, intitulé « Démocratie et réseaux de communication », discute de la manière dont les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) pourraient modifier notre lien avec l’État. Outre ce numéro, Patrick Amey et Sébastien Salerno (2009) attirent notre attention vers le développement de l’infotainement dans la couverture politique en France, et Thierry Giasson, Cynthia Darisse et Vincent Raynauld (2013) s’intéressent aux comportements des blogueurs dans le contexte québécois.

Ces quatre thématiques ne sont pas cloisonnées les unes des autres, mais sont transversales. Les deux articles choisis pour republication démontrent bien les intersections entre ces thèmes. Inutile de préciser que retenir seulement deux articles a représenté un exercice difficile, puisqu’il a fallu considérer plusieurs textes d’excellente qualité ayant une portée plutôt générale pour la science politique et les études québécoises.

Paru en 2008, le premier texte, « Les représentations sociales de la démocratie : réflexivité, effervescence et conflit », est signé par Anne-Marie Gingras, en collaboration avec Adriana Dudas, Magali Paquin et Marc Foisy. Ce qui rend cette recherche particulièrement intéressante, c’est qu’elle porte sur les perceptions d’acteurs qui connaissent le système « de l’intérieur », et dont on cherchait à révéler les représentations sociales : journalistes, chroniqueurs, patrons de presse, politiciens, représentants de groupes communautaires, représentants économiques, syndicalistes et experts gouvernementaux.

En contraste, le second texte, « Nouveaux mouvements sociaux et partis politiques au Québec : un défi organisationnel ? », est signé par Réjean Pelletier et Daniel Guérin (2000). S’inspirant des travaux sur les « nouveaux mouvements sociaux », les auteurs identifient des éléments qui rendent difficile l’arrimage politique stratégie et tactique avec les partis politiques. Fondée sur une quarantaine d’entretiens avec des activistes et des membres d’une association de circonscription de partis politiques au Québec, cette recherche démontre l’existence d’un fossé entre mouvements sociaux et partis politiques qui s’explique par des différences de structure organisationnelle, mais aussi la priorité accordée à des mobilisations pour une cause spécifique, chez les mouvements sociaux, alors que les partis se pensent comme des organisations qui peuvent prendre en considération toutes les causes (partis omnibus).

Nous avons retenu ces deux textes qui ont de nombreuses qualités : ils proposent une réflexion plutôt générale quant à des enjeux et des objets centraux de la science politique – démocratie, représentations sociales, partis politiques et mouvements sociaux – et fondent cette réflexion sur un travail de recherche empirique originale, plus spécifiquement des entretiens semi-dirigés. En plus, chacun des deux textes discute de plusieurs des thématiques soulignées ici. Celui de Gingras et de ses collaborateurs cible les articulations entre des idées et des discours pour dévoiler un système de valeurs, d’idées et de pratiques qui permet un processus de légitimation, offre des outils de communication, mais aussi structure l’organisation sociale. Celui de Pelletier et Guérin parle de l’intersection entre la politique formelle (les partis politiques) et les mouvements sociaux.

Pour conclure, reprenons les mots de Gilles Labelle (1997 : 7) qui, dans un numéro spécial traitant de la démocratie de façon davantage philosophique, explique que « les débats sur la démocratie sont toujours, d’une certaine façon, des débats qui participent de la démocratie, qui la nourrissent ». Les études publiées sur le thème de la démocratie et de la représentation dans Politique et Sociétés sont des contributions non pas seulement pour le développement des connaissances, mais font aussi partie d’une discussion plus large au sein de notre société sur la place des acteurs dans nos institutions et nos processus de représentation.