Recensions

Les tentatives de banalisation de l’extrême droite en Europe, sous la dir. de Nicolas Guillet et Nadia Afiouni, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2016, 185 p.[Record]

  • Frédéric Boily

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Banal : ce qui est « commun au plus grand nombre ». Telle est la définition que proposent en introduction les directeurs de ce collectif, en rappelant l’origine de ce terme qui découle du substantif « banalité » qui, au temps de la féodalité, faisait référence au droit du seigneur d’assujettir ses vassaux à l’utilisation de ses biens (p. 9). À partir de là, les auteurs se demandent si l’extrême droite, terme élastique s’il en est, s’est banalisée à travers l’Europe occidentale. Plus précisément, leur terrain d’enquête consiste à examiner la France, la Suisse et le Royaume-Uni. Cette question de la banalisation est encore plus cruciale aujourd’hui qu’au moment de la journée d’études qui s’est tenue en 2012 à l’Université du Havre et qui a donné naissance à cet ouvrage. Le premier texte, de Kevin Passmore, propose une réflexion sur la question de la prégnance de l’extrême droite dans l’histoire politique française. C’est là une question qui a donné lieu à des débats passionnés entre les tenants de la thèse immunitaire, pour la plupart des historiens français, et celle de l’existence d’une « droite révolutionnaire », bien ancrée dans l’histoire profonde de la culture politique française, et qui a été développée depuis les années 1980 par Zeev Sterhnell. Passmore avance qu’il est nécessaire de se dépêtrer des « luttes classificatoires » au motif qu’elles essentialisent les catégories politiques pour en faire des instruments dans les luttes politiques qui se déroulent depuis les années 1990 au sujet du Front national (FN). À partir de l’idée que la caractérisation ou la catégorisation ne constitue pas une explication, Pasmore croit que les intellectuels et les historiens français ont eu tendance à minorer le phénomène fasciste en France. Pour autant, il n’endosse pas la thèse d’un FN fasciste, mais plutôt celle d’un parti qui, dirigé par Marine Le Pen, navigue entre les bornes du radicalisme et de la modération pour éviter l’opprobre jeté sur le label fasciste après 1945. À cet égard, le second texte montre comment la remise en selle politique de l’extrême droite s’est réalisée après l’échec de l’Algérie française. L’auteur, Todd Shepard, explique que Mai 1968 a été, paradoxalement, un moment qui a permis à l’extrême droite, éclatée après la crise algérienne, de retrouver son unité autour de la critique de la décadence et de la « dévirilisation », et même de se rapprocher de la droite traditionnelle. Dans un texte mélangeant sa propre expérience à des considérations théoriques, Daniel Bizeul s’interroge sur la manière d’aborder le FN. Selon lui, la banalisation, réelle, ne découle pas seulement de l’irresponsabilité des électeurs ; elle s’ancre aussi dans celle des élites politiques qui ont laissé les classes populaires à elles-mêmes. Ce texte fait réfléchir sur la nature de la banalisation puisqu’on en vient à en rejeter la responsabilité sur les électeurs jugés aveugles aux menaces que font peser les partis d’extrême droite. Le texte de Nicolas Guillet rappelle par ailleurs que le problème de l’extrême droite n’est pas seulement intellectuel, celle-ci devant aussi être définie juridiquement par les autorités, ce qu’il est difficile de faire dans le cas du FN qui a dépassé l’étape du groupuscule depuis longtemps (p. 93). Une question qui taraude aujourd’hui les chercheurs français est celle de la nature du « nouveau » FN : à quel point existe-t-il un nouveau FN avec Marine Le Pen ? À cette question, le politologue Alexandre Dezé répond que le « logiciel programmatique » du FN n’a guère changé entre le père et la fille, la nouveauté étant factice ou médiatique et elle relèverait davantage de la sémantique que du fond. Ainsi, …