Recensions

Humour et politique. De la connivence à la désillusion, sous la dir. de Julie Dufort et Lawrence Olivier, Québec, Presses de l’Université Laval, 2016, 310 p.[Record]

  • Antony Vigneault

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Il n’y a pas – heureusement – de définition consensuelle sur ce que sont le rire et l’humour. Les deux peuvent se manifester sous de multiples formes, et ce, à partir de causes tout aussi diverses. Prendre le temps – celui d’un livre – afin de tirer les maux de la blague à l’aide d’un air sérieux et étudié me semble des plus approprié. D’autant plus que le Québec est le pays par excellence de la comédie. En effet, y règne en maître le plus grand festival d’humour au monde, la seule école d’humour répertoriée accréditée par un gouvernement, endroit où « le tiers des spectacles en salle relèvent de l’humour » et où « 45 % du temps de programmes des principales chaînes de télévision francophones » (p. 22) est comblé par des émissions humoristiques. C’est exactement ce monde, à la fois imposant et incompris, que les auteurs derrière l’ouvrage Humour et politique. De la connivence à la désillusion, dirigé par Julie Dufort et Lawrence Olivier, ont, à leur manière, tenté de questionner. L’arrivée du lecteur dans cet univers se fait en douceur grâce à la brillante introduction de Julie Dufort. On y apprend que l’humour a depuis toujours intéressé les philosophes. Platon, Aristote, Descartes, Hobbes, Schopenhauer, Kant, Darwin, Hegel, Freud ou encore Bergson s’y sont frottés chacun à sa manière. Toutefois, le champ d’études de l’humour est excessivement récent. En effet, il s’engage dans le monde universitaire étatsunien dans les années 1920-1930 par l’entremise des cultural studies. La légitimité formelle du champ de recherche de l’humour fut – et est peut-être encore dans certains milieux – difficile à défendre et même à être simplement accepté. Clairement, cet ouvrage n’aurait peut-être pas pu exister au Québec il y a à peine vingt ans. À la suite de cette ouverture, Dufort s’assure d’outiller le lecteur afin qu’il puisse manoeuvrer à travers les différentes perspectives du livre grâce à une exposition succincte des grandes théories de l’humour : celles de la supériorité, de l’incongruité et de la libération. Enfin, à la défense de son champ de recherche, Dufort expose une courte histoire de l’évolution de ce domaine – « l’humourologie » –, lequel rencontre de nombreuses embûches à son institutionnalisation. En effet, les recherches entre l’humour et le politique restent minimales, au Québec comme ailleurs. C’est exactement à cette pauvre condition que l’ouvrage s’attaque, soit « renouveler les approches de l’étude du politique en n’opposant plus le sérieux à l’humour, mais en comprenant que l’un ne va pas sans l’autre » (p. 26). La première partie de l’ouvrage s’interroge sur les paradoxes de l’humour et plus précisément sur les relations de pouvoir entre l’humour et le politique au Québec. Le premier texte, d’Emmanuel Choquette, interroge la part de politique dans le discours des humoristes québécois. Il démêle les volontés et les objectifs des acteurs du milieu, tout comme les effets sociopolitiques directs et indirects des humoristes qui travaillent par et pour l’identité québécoise. Le second texte se penche sur l’industrie québécoise de l’humour, comme champ politique à part entière. Christelle Paré et Christian Poirier développent une sociologie politique de l’humour au Québec. Le lecteur est convié à une exposition précise des différents groupes d’intérêts qui peuplent la faune du comique québécois. Il y découvre une guerre « d’écurie » où se côtoient une recherche de légitimité et une volonté de solidarité, lesquelles sont fragilisées par plusieurs individus à la « mentalité très carriériste, égocentrique et mégalomane » (p. 94). Suit un texte de Robert Aird qui analyse en profondeur les neuf revues humoristiques de Gratien Gélinas produites lors de …