Recensions

Les possibles du féminisme : agir sans « nous », de Diane Lamoureux, Montréal, QC, Les Éditions du Remue-Ménage, 2016, 280 p.[Record]

  • Priscyll Anctil Avoine

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Diane Lamoureux, militante et professeure de philosophie politique, est une auteure centrale pour la pensée féministe québécoise. Dans Les possibles du féminisme : Agir sans « nous », elle se propose de revenir sur son oeuvre politique depuis la parution de son premier livre, Fragments et collages. Essai sur le féminisme québécois des années 70, publié également chez Remue-Ménage, en 1986 (p. 7). Quoique ce soit une tâche plutôt ardue, faire le point sur plus de cinquante ans de féminisme au Québec était plus que nécessaire : c’est ce qu’elle se propose avec ce vibrant témoignage sur les contradictions, les avancées et les reculs du mouvement féministe au Québec. Plus particulièrement, elle veut rendre compte des contributions féministes à l’avancement des droits des femmes et des droits humains en général tout en montrant les apports du mouvement aux diverses luttes pour la justice sociale à l’« ère néolibérale d’injustice légitimée » (p. 8). Rassemblant des articles et des chapitres parus entre 1991 et 2014, son argumentaire s’articule autour de trois éléments importants du contexte actuel, soit la montée du discours sur « l’obsolescence du féminisme » ; l’apparition du discours sur l’égalité entre les femmes et les hommes comme une valeur fondamentale de la société québécoise ; et les enjeux d’un mouvement féministe québécois qui se comprend de plus en plus à partir de la notion d’intersectionnalité (p. 8-10). C’est ainsi que le concept d’égalité apparaît comme insuffisant pour l’engagement social féministe du fait que ce dernier peut masquer les différences entre les femmes et ainsi conduire à la reproduction des rapports de pouvoir. Pour Lamoureux, cet ouvrage vient donc réaffirmer sa posture pour la liberté : en reprenant ses mots, il s’agit pour le féminisme de faire émerger des « individues » – notion qu’elle utilise dans son ouvrage – en luttant contre l’assignation sociale (p. 18). Et cette lutte ne peut que se donner dans la « pluriversité » : c’est son concept « d’agir concerté » (p. 20). Basés sur ses expériences dans la militance au sein des collectives, les premiers chapitres font le point sur l’évolution du féminisme au Québec depuis les années 1960-1970, voulant montrer les principaux champs de bataille du mouvement qu’elle identifie comme étant l’égalité civile et politique, les droits reproductifs, l’éducation, le droit d’accès au travail et les conditions s’y appliquant, ainsi que la lutte contre la violence faite aux femmes (voir principalement chap. 1 et 4). De cette analyse, Lamoureux constate que l’égalité est loin d’être atteinte : au contraire, elle identifie de nombreux reculs, notamment en ce qui concerne la précarisation des conditions de travail et la féminisation de la pauvreté (p. 33). Cependant, les changements ne sont pas uniquement externes : pour l’auteure, le mouvement féministe a vécu plusieurs mutations internes. Au chapitre deux, elle aborde les notions d’émancipation et de liberté pour dessiner les évolutions du mouvement féministe et montrer les contradictions qui ont émergé lorsque ce dernier s’est confronté aux « voix discordantes » qui se sont élevées contre le féminisme blanc, hétérosexuel et de classe moyenne (p. 45). Le féminisme avait opéré une « révolution individualisante » (p. 44) qui, en fin de compte, a mis à mal la notion de sororité : de fait, la lutte devrait être axée sur un retour de la radicalité et sur une solidarité politique et engagée dans la différence. Parallèlement, Lamoureux identifie une transformation importante dans le féminisme québécois qui a de nombreux impacts sur la lutte politique : son institutionnalisation. Ainsi, elle constate un passage du mouvement féministe vers un « mouvement des femmes », qui …