Recensions

La révolution des moeurs. Comment les baby-boomers ont changé le Québec, de Jean-Marc Piotte, Montréal, Éditions Québec Amérique, 116 p.[Record]

  • Mélanie Boyer

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  • Mélanie Boyer
    Doctorante en sciences sociales appliquées, Université du Québec en Outaouais
    boym18@uqo.ca

Le politologue Jean-Marc Piotte propose, dans cet essai, un traitement inédit des changements sociaux de la Révolution tranquille. Normand Baillargeon, qui signe la préface, souligne l’apport important de l’auteur à une réflexion philosophico-historique de la nation québécoise, mais également à l’étude des changements sociaux en général. Cet ouvrage est très accessible, même si les références à certains acteurs et événements de la scène québécoise sont nombreuses et spécifiques. Très bon vulgarisateur, Piotte pourrait s’adresser à un public très large : des gens qui s’intéressent à l’histoire du Québec et à la Révolution tranquille, jusqu’aux universitaires qui voudraient se documenter sur l’évolution des moeurs qui a mené à la laïcisation et à l’émergence de la lutte pour les libertés individuelles. La thèse principale de l’auteur est que, parallèlement aux changements socioéconomiques de la Révolution tranquille, il se serait opéré, durant cette période (1945-1973), une Révolution des moeurs aux origines distinctes. Cette dernière aurait émergé dans l’ensemble des pays « dotés d’un régime politique libéral et d’une économie industrielle », et serait donc issue d’une mouvance internationale (p. 17). Au Québec, elle aurait été portée par les baby-boomers : génération caractérisée par une négation du devoir de « subordination des individus aux diverses autorités » (p. 18). La Révolution tranquille, bien qu’arrivée simultanément, serait plutôt propre au Québec. Cette période, aussi appelée les « Trente glorieuses », est définie par une croissance et un développement économiques sans précédent dans les pays occidentaux, et serait née des grandes initiatives économiques et sociales américaines qui ont résulté en des changements profonds dans pratiquement tous les secteurs, dont l’un des principaux aura été la création d’une classe moyenne suivant la hausse importante des revenus – et de la consommation –, tendance que même la crise de 1973 n’a pas pu renverser. Ainsi, dans « la plupart des pays occidentaux », la Révolution des moeurs se préparait et aurait émergé du monde culturel des années 1950-1960. Cette explosion artistique aurait influencé la jeune génération qui souhaitait se dégager des contraintes sociales imposées à leurs parents. Leur quête de liberté économique, politique, sociale et sexuelle aura eu de nombreux impacts sur leur conception du monde, notamment sur l’avancement du droit des femmes et sur l’émergence d’une société des loisirs. Piotte décrit le chemin vers ces deux grandes révolutions comme étant empreint de la domination des communautés religieuses sur la vie des Canadiens français, surtout par leur contrôle « [d]es établissements d’éducation, de santé et de services sociaux » (p. 31). À l’époque, la hiérarchisation stricte de ces institutions et le fossé entre l’Église et ses fidèles étaient renforcés par l’obligation des catholiques de respecter les voeux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté. Il n’y avait pas de place pour les libres penseurs, et ce serait justement cette culture du « sacrifice de soi » et de « l’agir par devoir » que les baby-boomers auraient rejetée. Malgré les apparences, cependant, le clergé et ses supporteurs, de même que les partisans de la contre-culture, n’avaient rien de « blocs monolithiques » (p. 40). Autant l’Église que les laïcs étaient divisés sur la façon d’interpréter les conséquences de ce nouveau courant individualiste et d’y réagir. L’auteur suppose qu’un certain assouplissement a eu lieu, autant de la part de l’Église qui pouvait se montrer plus indulgente que du côté de la jeune génération, par « l’expansion au Québec du mouvement de l’Action catholique […], et [par] l’influence intellectuelle du personnalisme chrétien […] » (p. 40). En effet, les (jeunes) laïcs chrétiens, par le biais des mouvements Jeunesse étudiante catholique (JEC) et Jeunesse ouvrière catholique (JOC), ne se considéraient aucunement subordonnés …