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Genre et professionnalisation de la politique municipale : un portrait des élues et élus du Québec étudie l’intersection du genre et du discours des élues et élus municipaux québécois à l’égard de la professionnalisation de leur mandat. Il s’inscrit ouvertement dans la lignée des ouvrages suivants : La politique : un monde d’homme ? Une étude sur les mairesses au Québec (d’Évelyne Tardy, Anne-Marie Gingras, Ginette Legault et Lyne Marcoux, Hurtubise, 1982) ; Maires et mairesses. Les femmes et la politique municipale (d’Évelyne Tardy, Ginette Legault et Manon Tremblay, Liber, 1997) ; et Les femmes et les conseils municipaux du Québec (d’Évelyne Tardy, Hurtubise, 2002). Les auteures, Anne Mévellec et Manon Tremblay, ont sondé (par questionnaire) 269 conseillères, conseillers, mairesses et maires de villes de 20 000 à 500 000 habitants au Québec en 2010. Elles ont ensuite interviewé 57 conseillères et conseillers ainsi que six mairesses et quatre maires. Il en ressort, comme résultat principal, que ces édiles municipaux voient leur mandat se professionnaliser. Les différences entre les genres subsistent, mais avec des nuances. Les conseillères et les mairesses semblent, à certains égards, plus professionnelles que leurs homologues masculins.
L’« Introduction » du livre présente la sociologie politique qui le soutient, puis les questions de recherche. Ces dernières sont ainsi résumées : « 1) Quelles sont les caractéristiques nécessaires à l’accès au mandat ? 2) Quelles sont les conditions d’exercice de mandat ? 3) Comment le rôle politique municipal est-il conçu par les élues et élus ? » (p. 243). Le premier chapitre, intitulé « État du savoir sur la sociologie des élues et élus municipaux », propose une revue de la littérature sur la sociologie politique et une brève présentation de la méthodologie sur laquelle repose l’ouvrage. Le deuxième chapitre, « Accès à l’Hôtel de Ville, profils et trajectoires », répond à la première question de recherche en divisant ledit accès en quatre étapes : éligibilité, recrutement, sélection et élection. Au contraire de ce que Tardy et ses collègues (cités ci-dessus) avaient observé dans les années 1980 et 1990, les femmes élues sondées sont moins âgées que leurs confrères. Voilà une nouvelle prometteuse pour la représentativité des élues et des élus, de plus en plus égalitaire sur le plan du genre. Le même chapitre rappelle que les candidates ont eu plus de succès que les candidats aux élections municipales de 2009 ; il remarque le possible rôle des partis politiques avec lesquels les candidates sont plus susceptibles de s’associer que les candidats. Le chapitre trois, « Conditions d’exercice des mandats municipaux », répond à la deuxième question de recherche en présentant les données du sondage. Il révèle que les mairesses interrogées rapportent passer plus de temps que leurs homologues masculins au travail et suivent plus de cours qu’eux. Les mairesses et les maires étaient souvent conseillères et conseillers avant d’obtenir leur mandat actuel. Les chapitres quatre et cinq répondent à la troisième question de recherche en s’appuyant sur des entrevues. Le chapitre intitulé « Conseillères et conseillers municipaux » divise le mandat de ces derniers en quatre axes et conclut que les conseillères sont plus « professionnelles et politisées » et moins « amatrices et apolitiques » que les conseillers. Le chapitre « Mairesses et maires » montre quant à lui que les élus détenant ces postes, tous genres confondus, ont souvent été sollicités par d’autres pour se présenter aux élections. Toutefois, les mairesses semblent travailler davantage en équipe avec les conseillères et conseillers et la direction générale de leur ville, et aussi s’impliquer davantage auprès des institutions régionales. La « Conclusion » résume le contenu de l’ouvrage et suggère des pistes de recherche.
L’ouvrage repose sur une théorie bien établie et reprend l’ensemble de la littérature québécoise et européenne sur les différences entre femmes et hommes dans les élections (ne mentionnant qu’à quelques reprises la littérature états-unienne, pourtant abondante). Les auteures relèvent honnêtement la petite taille de l’échantillon tout au long du livre et en particulier au chapitre cinq. Il y a lieu de souligner le possible biais de sélection : les sondés et les interviewés des deux sexes, qui reconnaissent vraisemblablement l’importance de la recherche universitaire puisqu’ils ont répondu au sondage ou accepté l’entrevue, sont-ils plus susceptibles de ne pas contribuer au « régime du genre », affaiblissant l’apparence de ce dernier dans les résultats obtenus ? La recherche peut souffrir d’un biais supplémentaire, plus sournois : il est envisageable que les conseillères et les mairesses aient répondu différemment, mais qu’elles agissent à l’instar de leurs homologues masculins. Par exemple, au chapitre cinq, les mairesses semblent plus enclines au travail d’équipe, mais leurs actions ne le sont peut-être pas et elles pourraient répondre ainsi parce qu’elles y ont été culturellement encouragées depuis des années. Malgré ces quelques considérations méthodologiques, quasi inéluctables, Genre et professionnalisation de la politique municipale : un portrait des élues et élus du Québec d’Anne Mévellec et Manon Tremblay repose sur une recherche originale et pertinente. Il s’avère incontournable pour quiconque s’intéresse aux études du genre et à la politique municipale au Québec et au Canada, d’une perspective universitaire autant que pratique.