Recensions

Esthétique du mur géopolitique, d’Elisa Ganivet, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2015, 220 p.[Record]

  • Nicolas Paquet

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  • Nicolas Paquet
    Doctorant, École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD)
    Membre étudiant du Conseil québécois d’études géopolitiques, Université Laval
    nicolas_paquet@hotmail.com

La parution du livre d’Elisa Ganivet tombe à point. À travers le monde, après une période de plus grande ouverture, les frontières semblent perdre de leur souplesse. Plus dures et plus agressives, celles-ci se remilitarisent. Désormais, l’enjeu n’est plus de laisser circuler librement les flux, mais bien de les contenir. Près de trente ans après la chute du mur de Berlin, il n’est pas étonnant que le thème du mur géopolitique revienne à l’avant-scène de l’actualité internationale. Plusieurs questions politiques contemporaines lui redonnent une certaine importance, qu’il s’agisse des flux migratoires, du terrorisme ou encore du trafic de la drogue. L’examen de la littérature spécialisée permet également de constater que de plus en plus de chercheurs publient sur le sujet. Esthétique du mur géopolitique de Ganivet s’inscrit donc dans ce contexte d’intérêt renouvelé pour la question des murs géopolitiques. La thèse défendue par l’auteure est que les murs révèlent l’existence de malaises géopolitiques. Selon elle, ils seraient la tentative, plus ou moins adroite, de répondre à des situations perçues comme problématiques aux zones limitrophes ou aux frontières. Cela dit, les murs géopolitiques contribuent aussi à donner, dit-elle, une réalité tangible et géographiquement localisée à des problèmes difficilement perceptibles et diffus. En leur donnant une inscription spatiale et un support matériel, les murs ne viennent-ils pas cristalliser et délimiter des zones de tension souvent floues ? Bien que les murs géopolitiques n’activent pas à eux seuls les passions politiques, il est vraisemblable qu’ils contribuent néanmoins à les exacerber. Ganivet observe que les murs ne sont jamais totalement étanches et qu’ils finissent toujours par tomber. Malgré tout, ils peuvent être décrits comme des réponses étatiques imparfaites à des réalités complexes et ambiguës. Confrontés à leur incapacité à faire face à certains problèmes politiques persistants, des États en viennent à recourir aux murs géopolitiques. Avec les murs, il n’est plus question de l’immigration illégale, de l’enlisement d’un conflit ou encore du trafic des stupéfiants ; il est question, comme par métamorphose, de la violation d’une délimitation physique, qui ne peut que venir légitimer l’intervention, souvent armée. En ce sens, si les murs-frontières constituent, sur le terrain, des artéfacts indéniables d’une situation immaîtrisée, voire d’une impasse historico-politique, ils sont aussi des gestes esthétiques, initialement politico-militaristes, mais dont la signification est souvent détournée par l’activisme artistique et pacifiste. À travers l’étude de cas de trois murs géopolitiques – le mur de Berlin, la barrière de séparation entre Israël et l’Autorité palestinienne, et la frontière de sécurité entre le Mexique et les États-Unis –, Ganivet rattache l’art contemporain à la géopolitique. Elle demande : pourquoi le mur est-il présenté comme une solution dans l’histoire ? Dans quel contexte géopolitique peut naître un mur ? Quelles sont les missions de l’objet-mur ? Comment fonctionne-t-il ? Et comment est-il détourné ? Enfin, comment fait-il réfléchir les artistes ? Pour Ganivet, les murs posent le problème de l’unilatéralité. Ils réduisent à néant les droits à la libre circulation, à l’asile et à la nationalité, pourtant reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Plus encore, ils dénient le droit à l’étranger d’exister. Ethnocentriques, les murs constituent des formes de rejets des moeurs et des coutumes de ceux qui ne sont pas de notre culture. En d’autres termes, les murs représentent, pour l’auteure, la démonstration massive de l’asymétrie de puissance entre les peuples. Utilisée depuis toujours pour se protéger et se défendre, la matérialité archaïque du mur semble toutefois inconciliable avec l’image du monde postmoderne et hypertechnologique qui est le nôtre. Mais, comme le note Ganivet, le mur a toujours favorisé simultanément l’expression artistique et les dénonciations diverses. Événement …