Recensions

Éthique de la considération, de Corine Pelluchon, Paris, Seuil, 2018, 281 p.[Record]

  • Didier Zúñiga

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  • Didier Zúñiga
    Department of Political Science, University of Victoria
    dzuniga@uvic.ca

Dans son plus récent ouvrage, Éthique de la considération, Corine Pelluchon défend une éthique des vertus qui repose sur la philosophie de la corporéité et du sujet relationnel, telle qu’exposée dans ses travaux antérieurs. L’objectif du livre est de dépeindre l’idée de la considération, ainsi que de tracer un chemin vers sa réalisation. L’auteure propose une conception de la considération en tant qu’attitude réflexive pouvant servir de fondement pour repenser l’environnement, la cause animale et la démocratie. En partant du sujet, et donc du rapport à soi, l’éthique de la considération vise à déterminer les dispositions morales requises pour « être-avec-le-monde-et-avec-les-autres » (p. 233). L’ouvrage se divise en trois parties. La première retrace l’itinéraire de l’éthique de la considération et offre une discussion qui permet à l’auteure d’éclairer cette idée qu’elle reconstruit en puisant dans les réflexions de philosophes aussi variés que Platon, Aristote, Bernard de Clairvaux et Descartes, parmi d’autres. Mais la pensée de Bernard de Clairvaux occupe une place primordiale dans le projet de Pelluchon. Dans son traité De la considération, ce dernier insiste sur l’importance de l’humilité en tant que première étape de toute réflexion éthique. Cela s’explique par le fait que le rôle de l’humilité chez Bernard de Clairvaux est de retisser le lien entre notre condition corporelle et notre humanité. L’humilité nous conduit non seulement à la reconnaissance de notre vulnérabilité et, par conséquent, à la réalisation de l’égalité inhérente de tous les êtres (humains et non humains), mais aussi à la compassion, à l’empathie et donc à l’amour du prochain (p. 35). Pelluchon prend également soin d’étayer son argument en le contrastant avec certains courants influents de l’éthique des vertus, notamment avec les approches de Philippa Foot et d’Alasdair MacIntyre (p. 59-61). De plus, elle démarque l’éthique de la considération des éthiques du care et soutient que la pensée de Descartes offre une position intéressante du fait qu’elle permettrait d’établir un juste milieu entre l’idéal de transformation de soi que l’on retrouve chez les Anciens et l’importance de l’interdépendance qu’avancent les philosophes du care (p. 66-67). Dans la deuxième partie, l’auteure poursuit sa réflexion sur la vulnérabilité et s’appuie sur la notion de « trandescendance » qui désigne un mouvement d’approfondissement du moi ainsi que du monde commun auquel ce moi appartient (p. 95-96). L’une des motivations de son oeuvre est de renouer le fil entre la théorie et la pratique, et la transdescendance permet justement de partir de notre existence en tant qu’êtres charnels et relationnels afin de s’ouvrir et de se rapprocher d’autres êtres vivants. Nous voyons ici le potentiel radical de ce savoir vécu qui nous unit à autrui et nous enjoint de changer notre rapport avec les animaux, les écosystèmes et la terre. L’auteure élabore sa conception de l’éthique de la considération en s’appuyant sur l’idée de la convivance, qui fait référence à la coexistence pacifique et à la convivialité. Cet idéal permet d’ancrer le politique dans la recherche du bien commun tout en incarnant la diversité socioécologique des formes de vie. Cet engagement envers le monde commun est décrit par les trois dimensions du vivre dont parle Pelluchon, c’est-à-dire le passage du « vivre de » au « vivre avec » et au « vivre pour » (p. 159-160). Enfin, la dernière partie s’efforce de penser les conditions de la transformation de l’humain afin de renforcer les liens intellectuels, moraux et affectifs avec d’autres vivants et avec les milieux à qui nous devons non seulement notre survie mais aussi notre épanouissement. Dans cette partie, Pelluchon indique les contours de ce que devrait être le rôle d’une éducation …